Bonjour
Je viens de lire l’ensemble des messages de ce fil.
Nous allons aller grimper avec des amis à San vito di capo en novembre prochain.
J’avais déjà vu passer des infos sur ce problème de corrosion sous contrainte apparu sur les ancrages fixés à proximité de la mer.
Je précise que je travaille depuis 20 ans dans le domaine des matériaux et de la corrosion dans la chimie, où les problèmes de corrosion sous contrainte et d’autres phénomènes de corrosion font parties de nos problèmes de corrosion à résoudre.
Je vais essayer de clarifier qq points car il est écrit beaucoup de choses fausses ou contradictoires dans ce fil ainsi que quelques énormités : désolé si ce post est long mais j’ai essayé de répondre au maximum de questions et interrogations discutées dans ce post.
Les aciers inoxydables sont des alliages base fer (contenant donc en majorité du fer) avec des éléments d’alliages variés qui leur apportent des caractéristiques spécifiques (résistance mécanique, résistance à différents modes de corrosion, etc …). Pour qu’un alliage soit considéré inoxydable il faut qu’il contienne au minimum entre 11 et 12% de chrome qui permet de créer une couche d’oxydes submicronique de protection contre la corrosion en surface du matériau : cette couche est plus ou moins protectrice et s’adapte en permanence au milieu en contact (ce n’est pas de la peinture pour simplifier). Elle empêche l’oxydation du fer en oxydes type rouille.
Comme il a été dit dans ce fil, la corrosion connue par tous (oxydation de l’acier pour donner de la rouille) s’appelle corrosion générale (uniforme) : elle se produit sur des aciers peu ou pas alliés, sur la totalité de la pièce, et est relativement facile à contrôler : on perd de l’épaisseur pour schématiser.
La corrosion sous contrainte est un mode de corrosion localisée : elle ne se produit pas sur toute la pièce mais dans certaines zones spécifiques : à proximité des zones de contraintes. Ce mode de corrosion comme d’autres modes de corrosion localisée se produit plus particulièrement sur les aciers inoxydables.
Ce qui est Important à savoir c’est que ce mode de corrosion est quasi indétectable sans observations précises de la pièce voir en utilisant des techniques spécifiques de mise en évidence des fissures compliquées à mettre en oeuvre sur les ancrages posés (par exemple par une technique qu’on appelle ressuage http://www.cofrend.com/controles-non-destructifs/methodes-de-controle/ressuage-pt/, qui permet de révéler les fissures après imprégnation avec un liquide coloré : cette technique est employée sur site industriel directement sur les équipements en place).
Il est également connu que lorsqu’une pièce est fissurée par CSC (donc multitude de fissures) elle « sonne » creux quand on tape dessus … ça pourrait être un moyen de détecter les ancrages détériorés mais ça reste très qualitatif et il faudrait un point de comparaison fiable pas évident à mettre en oeuvre.
La CSC est un problème de corrosion qui nécessite 3 choses :
- un matériau sensible à ce mode de corrosion : c’est le cas des aciers inoxydables type 304/316. Même si les données théoriques donnent généralement une température minimum de 60°C pour amorcer la CSC sur le 316L, les observations de rupture relevées montrent bien que d’autres paramètres jouent un rôle défavorable et aggravent le risque de CSC (le pH du milieu en particulier).
- un agent corrosif : dans notre cas ce sont les IONS chlorures (Cl-) qui sont un poison pour les matériaux inoxydables (acier inoxydables ou autres alliages inoxydables). Les embruns d’eau salée sont une des pires situations car l’eau se dépose sur l’inox (avec le sel) et l’eau s’évaporant les chlorures se concentrent et finissent pas atteindre une teneur préjudiciable, qui peut entrainer de la corrosion sous contrainte.
Il faut également avoir à l’esprit que la CSC nécessite dans quasiment tous les cas un temps d’incubation très difficile à évaluer puis une phase de propagation (également difficile à évaluer) qui finit par entrainer de MANIERE IRREVERSIBLE la rupture du matériau. Ce point est très important car une fois les fissures amorcées il est quasi impossible d’empêcher les fissures de se propager (en tout cas impossible dans le cas d’ancrages). C’est là qu’intervient la notion de lessivage des falaises non surplombantes par la pluie, qui permet probablement d’augmenter le temps d’incubation par rapport à des zones non lessivées comme les dévers et les grottes, voire de ne pas permettre à la CSC de s’amorcer.
- une contrainte mécanique résiduelle : celle-ci peut provenir de la mise en forme de la pièce (pliage), de l’installation de celle-ci (impact donc déformation) ou des soudures.
En résumé, la CSC est un phénomène particulier qui vient d’une synergie entre une contrainte permanente élevée qui s’applique sur la couche protectrice, elle-même plus ou moins affaiblie par les chlorures. La difficulté avec ce phénomène est qu’il est soumis à de très nombreux paramètres dépendant du métal (quel alliage, quelle mise en œuvre et en particulier son taux de déformation à froid) et du milieu (apport de chlorures par les embruns, mais lavage par la pluie, possible lixiviation des chlorures directement des roches, possible acidification liée à cette lixiviation, taux d’ensoleillement et donc évaporation …). C’est la raison pour laquelle il est très difficile de prédire le comportement du matériau et qu’il peut y avoir des conditions très différentes d’un site à l’autre avec, par exemple, un site plus risqué même s’il est plus éloigné des côtes.
- Le rôle du matériau
Sans rentrer dans les détails les aciers inoxydables utilisés comme ancrages (la série des 300, c.à.d. 304, 316 etc.) sont une variété de nuances (dite austénitiques) qui présentent des caractéristiques intéressantes (en terme de corrosion, soudabilité, facilité de mise en œuvre) et sont beaucoup utilisés dans plein de domaines.
Le L que l’on trouve après les 3 chiffres veut simplement spécifier que le taux de carbone est faible (< 0.03%) dans la nuance d’inox (304L, 316L).
Les nuances non « L » (carbone de l’ordre de 0.08%) (304, 316) existent (ou existaient), sont ponctuellement utilisées en boulonnerie (et lorsqu’il n’y a pas de soudure) car elles amènent un gain potentiel de 10 à 20% en caractéristiques mécaniques. Mais elles nécessitent un traitement thermique particulier et sont donc plus rares car la majorité des aciéristes font aujourd’hui des bons inox avec carbone faible. Pour différencier en 304 d’un 304L cela nécessite une analyse chimique fine difficile à mettre en œuvre ailleurs qu’en labo.
Typiquement :
Famille 304 : Acier inox avec 18% de chrome et 10 de Nickel
Famille 316 : Acier inox avec 17% de chrome, 12 de nickel, et 2 de Molybdène.
Autre identification : 304L : n° EN 1.4307
316L : n° EN 1.4404
on trouve également des 304 Ti (ou 321) et 316 Ti : ceux-ci contiennent plus de carbone que les 304L et 316L (comme les « non L ») mais avec ajout de Titane (env. 5 x le taux de carbone) pour limiter un comportement spécifique qui engendre un autre mode de corrosion (corrosion inter-granulaire) qui peut se produire sur les inox à haut carbone dans certaines conditions, mais qui ne nous concerne pas dans ce cas.
Comme on le voit, la différence entre ces inox est la teneur en éléments d’alliages : pour simplifier plus on « allie » le matériau avec des éléments tels que le chrome et plus particulièrement le nickel et le molybdène, meilleure est la résistance à la CSC. Cependant comme il a été très bien relevé dans le fil, la qualité du matériau a une grosse importance : tous les 316 ne se valent pas, la principale différence étant la présence ou pas d’impuretés (Manganèse, soufre, carbone, etc.), l’élaboration (traitements thermiques), etc… qui peuvent être préjudiciable à la CSC.
Comme il a été bien précisé dans ce fil, monter dans la gamme d’inox 304L --> 316L est effectivement un moyen pour améliorer la résistance aux différents modes de corrosion dont la CSC : cependant tous ces matériaux, même les plus alliés, peuvent fissurer par CSC.
Boris et Bubu citent le 1.4439 qu’on peut considérer comme un « 316L » à plus haut nickel et molybdène, qui sera donc également un peu plus résistant à la CSC.
Il existe enfin des inox dit « super austénitiques » tel le 904L (ou 1.4539) qui contient 20% de Chrome, 25% de nickel et 4% de molybdène (et un peu de cuivre) qui ne devrait pas fissurer dans ce domaine de température (voire d’autres nuances encore plus alliées (haut molybdène etc. …))
Parmi les solutions abordées, certains proposent le titane : cela peut effectivement être une solution (le titane est quasiment insensible à la CSC) mais le cout de ce matériau est beaucoup plus cher (x20 par rapport à inox 316L), et il faudrait probablement aller vers des alliages de titane spécifiques pour avoir des caractéristiques mécaniques équivalentes aux aciers inoxydables.
Une autres solution pourrait être pertinente tout en restant d’un cout « normal », ce serait de passer à des aciers inoxydables d’une autre famille appelée « duplex » ou « austéno-ferritiques » (je sais ça embrouille encore plus :). ce sont des aciers inoxydables qui présentent 2 phases de solidification dues à leur composition, une phase austénitique comme le 316 et une phase ferritique (autre mode de solidification) à environ équi proportion (50/50) :
Ils n’ont pas de n° d’identification à 3 chiffres, mais le plus connu est le EN 1.4462 (dit également duplex 2205, ou Uranus 45N en France (nom commercial Arcelor)).
Ces types d’inox présentent des caractéristiques mécaniques beaucoup plus élevées que la série 300 et sont moins sensibles à la CSC dans des conditions équivalentes. Ils sont un peu moins faciles à souder mais cela reste réalisable aujourd’hui. Ayant des caractéristiques mécaniques plus élevées il est donc plus difficile à déformer (ex plaquettes), ce serait donc un point à valider. En termes de cout matière, ils sont du même ordre d’idée que le 316L dans l’industrie. Par contre vu que ce n’est pas habituel, et que ce matériau est plus difficile à former, il est probable que ce serait plus cher que les fournitures standards en goujons, broches et plaquettes.
Enfin il existe aujourd’hui des techniques de traitement de surface par grenaillage (projection de billes sur la surface) dites « grenaillage de précontrainte », qui permettent de mettre des contraintes de compression en surface du matériau ce qui empêche donc l’amorçage des fissures : cette technique est utilisée sur de nombreuses pièces spécifiques, beaucoup en aéronautique (amis aussi sur les rayons des roues de vélo par ex) mais dans ce cas c’est surtout pour éliminer un autre phénomène de fissuration (fissuration par fatigue). elle permettrait de rester avec des matériaux de relativement faible cout, tout en garantissant une résistance accrue à la CSC.
Voilà c’est un long post, avec bcp d’infos, mais si certains veulent des précisions pas de souci.