Votez contre les vélos!

Vendredi 28 juin 2024, 16h04, gare de Grenoble. Le train de 16h09 à destination de Chambéry arrive en gare. Habituellement, ce train comporte trois wagons mais cet après-midi il n’y en a qu’un ! Sans explication, la SNCF vient de semer quelques dizaines de graines de mécontentement, et les passagers en surnombre remplissent rapidement l’unique rame. Pour ajouter aux difficultés que chacun devine, la climatisation est en panne ; il fait 33°C. Le train vient à peine de partir que les passagers commencent à suer à grosses gouttes dans cette promiscuité. Entassés, les valises, vélos et piétons se frôlent, se touchent, se contorsionnent pour habiter leurs quelques centimètres carrés loués à la SNCF. On remarque également au milieu de cet imbroglio une grosse poussette. Son propriétaire commence à taquiner son voisin cycliste : « le problème c’est les vélos en fait ». Ce dernier, observé par des voisins qui pourraient devenir hostiles, essaye de détourner cette remarque en faisant remarquer que le problème c’est plutôt qu’il n’y a qu’une seule rame, au lieu des trois habituelles, qui sont déjà largement surchargées pourtant. Sur ces paroles, le premier arrêt, à Echirolles, ajoute son flot de candidats au voyage. Évidemment il faut augmenter les contorsions, mettre les vélos en position verticale, se serrer dans les allées, mettre ses genoux contre ceux des voisins, tasser, empiler, caler un dos humide contre sa main, un sein contre son épaule, tasser encore pour que tout le monde rentre, mais déjà quelques cyclistes sont laissées sur le quai. J’observe la gare suivante approcher, Gières, et ses futurs candidats au retour chez eux qui ne savent pas encore quelle hérésie les attend. Tandis que le train ralentit, leurs visages qui défilent témoignent de leur incrédulité croissante. Une seule rame ! Des mains appuyées sur les vitres par dizaines leur font comprendre que de surcroît cette rame solitaire tient plus du wagon à bestiau surchargé, du train indien qu’on voit dans les documentaires d’Arte, que du spot publicitaire de la SNCF ; images non contractuelles n’oublions pas. La grogne contenue explose soudain lorsqu’un client, qui a pourtant payé son billet, ne peut pénétrer dans la rame et s’insurge contre ce foutage de gueule du train playmobil. Oui on quitte le registre de langue précédent, les faits le réclame. « Je vais bloquer le train, c’est inadmissible » crie le client furieux. Et c’est là que le sociologue se régale, devant cette société en action, devant ces humains qui se mélangent. Quelques passagers essayent d’inciter gentiment le client mécontent à laisser partir le train, mais il refuse le bougre. Alors le ton monte, si certains essayent encore l’argumentation sur la vanité de son action, d’autre commencent à l’invectiver. Il se fait honnir, fustiger, vilipender et quelques insultes fusent. Qu’il est difficile d’avoir raison contre tous. Sous cette pression énorme de la foule le mécontent finit par abandonner, non sans traiter tout un chacun d’« égoïste ». Oui ami mécontent, je le suis moi aussi, car j’ai ma fille de 8 ans à récupérer le plus rapidement possible. Je te soutiens homme raisonnable et perspicace, mais en silence, car la solidarité va me coûter mon rendez-vous de 17h et ma fille qui m’attend. Tu as pourtant raison, si on ne veut pas que cela se reproduise, il faut bloquer ce train et créer une pagaille médiatique que la SNCF ne tiendra pas à revoir une prochaine fois. Si on ne dit rien, cela se reproduira, on continuera à dire que c’est la faute des vélos, et la SNCF n’aura plus qu’à finaliser un projet qui lui tient à cœur depuis longtemps, applaudie par un tas de mécontents : faire payer les cyclistes. Il faut bien des boucs émissaires.
Cela s’est passé ce soir, et pendant tout l’incident j’ai vu dans cette rame le reflet de notre société. Il y a ceux qui sont dans le train et ceux qui sont en dehors. Ceux qui sont dedans défendent leur privilège et voient ceux qui sont dehors comme des enquiquineurs qui les empêchent de profiter de leur privilège. Qu’un enquiquineur se rebelle et les nantis sortent la menace puis la violence, les privilèges ne se partagent pas, il fallait arriver le premier cher client. J’ai observé cette division qui tentait beaucoup de monde : personne n’a pointé du doigt la SNCF qui a fourni un service dégradé, mais on a cherché l’ennemi intérieur, c’était ce soir, le cycliste. C’est à cause de lui qu’il n’y a pas assez de place dans le train. Le cycliste a essayé de dire que c’était plutôt la faute de la poussette, la poussette de celle des bagages, les bagages auraient peut-être accusés les étrangers si ils avaient eu la parole, bref, c’était la faute de celui qui n’est pas comme moi. Il ne me reste donc plus qu’à conseiller à mes concitoyens de bien réfléchir dimanche. Votez contre les cyclistes ! Ça résoudra tous vos problèmes. Ou alors contre les poussettes, contre les bagages, contre les étrangers. Et j’en profite pour répondre aux deux contrôleurs qui disaient « vivement qu’on fasse payer les cyclistes », vous avez bientôt gagnés, le peuple est mûr. Une fois que ce sera acquis sous les applaudissements, peu importe que la foule se rende compte alors que faire payer les cyclistes ne diminue pas leur nombre dans les rames playmobil. Ce sera toujours autant le bazar, mais les bénéfices auront augmenté. Restera plus qu’à resservir le même plat à la foule agité avec les fauteuils roulants, les poussettes puis les étrangers, ça va passer crème je vous assure.
N’oubliez pas dimanche, votez contre les cyclistes.

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Bonjour,
Je comprends ta colère, ton désarroi, et partage ton ressenti face à « la SNCF ».
Mais :
C’est une très bonne chose qu’il y ait autant de voyageurs qui prennent le train plutôt que la voiture.
Ce n’est plus la SNCF qui achète et programme ces trains régionaux, c’est la Région, donc c’est un peu maladroit de critiquer la SNCF alors qu’elle ne fait que subir les décisions politiques de la décentralisation voulue par l’Etat, économiques décidées par la Région, et techniques par le manque de fiabilité du matériel fourni par le constructeur choisi.

Bernard

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Oui mais la SNCF a peut-être un peu plus de poids pour négocier avec la Région ou le constructeur de son matériel que le voyageur lambda. On ne peut pas se contenter d’un « c’est pas ma faute, je ne fait que subir » quand on est une entreprise de cette taille, c’est un peu facile.

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Mais oui ! Qu’ils pédalent pour de bon !

Mais oui ! Qu’ils marchent ces minots !

Mais oui ! Qu’ils arrêtent avec leur avoir, leurs petits objets et qu’ils s’allègent !

Ah ça, c’est déjà fait, la haine contre eux est déjà bien installée.

Pas sûr que la dame, certainement avec un contrat précaire, qui était en charge de la gestion des vélos sur le TER Montélimar>Lyon soumis à réservation que j’ai pris à la Pentecôte soit de cet avis.

La SCNF ne maîtrisant pas la composition de ses trains longtemps à l’avance, le nombre de réservation n’est pas en adéquation avec le nombre de place réelle. A mon avis, même avec résa payante, il y aurait eu des problèmes dans ta rame unique.

Et la dame qui se démène pour faire rentrer tous les vélos des clients qui ont leur réservation, certes gratuite mais annoncé comme garantissant une place dans le train !

Je pense qu’en ce lundi de Pentecôte, elle a été contente de finir sa journée.

Bref, y’a du boulot à la SNCF !

Région dirigée par ? (Un indice, il porte tout le temps une veste rouge pour etre bien reperable sur les photos et espère être notre prochain rempart contre Marine pour se faire élire à la présidence de la république).
Un copain prend quotidiennement le train entre Gieres et Valence. Il me raconte que ce genre de galère est quotidien.
Et je crois que avec les prochaines rames achetées par la Region, ça sera pire…

Texte génial sinon, je peux le partager sur facebook ?

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Même ligne, même problème (dans un fil sur les vélos dans les trains) :


Mais il n’y est question que de vélos et de trains, contrairement à la prose de ce fil…

Je pense que ce n’est pas l’esprit de son texte et qu’il partage tes réflexions en maniant l’ironie.

Oui, il est amusant de voir certains hommes politiques aux manettes dire « tout pour le train » et voir le concret vécu à cause de leurs décisions/inactions.
Et oui, il est amusant de prendre du recul sur les mécanismes amenant la société française, là où elle est en partant d’une situation particulière…

C’est mieux que de se lamenter, je trouve ce texte plus productif :wink:

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Alors la faute à qui si les trains sont raccourcis, si l’entretien et donc les disponibilités sont chaotiques, si le service est minable, mais qu’on paye quand même comme si tout allait bien ???

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Il me semble qu’il y a confusion. Pour le quotidien, la solution n’est pas d augmenter les places dans le train, mais de permettre de poser son vélo au départ,en sécurité ,et d avoir à l’ arrivée un autre vélo, location par exemple. Prévoir 50 places n’ est pas réaliste. Pour le loisir, la réservation est une bonne solution, à condition de prévoir suffisamment de places le weekend ou sur les lignes fréquentées, ce qui est très loin d être le cas. La région aura n’ est pas vraiment pilote pour ça, je le constate tout le temps.

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Comme l’écrivait Pastoute, il reste encore la possibilité de pédaler.
C’est toujours faisable, même si on est encore loin du Graal avec le peu de voies dédié aux cyclistes.

Et puis faudrait voir aussi à ne pas empiéter de trop sur les plates-bandes de nos chers constructeurs automobiles et de nos non moins chers producteurs de pétrole.

Je pense que c’est valable pour toutes les société, ou à l’humain plus généralement.

Avant 2000, et depuis les années 1950 au moins, les trains pour les trajets quotidiens avaient un wagon dédiés aux vélos, avec plus d’une centaine de place.

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Oui bien sûr. J’aurai aimé le mettre ailleurs mais mon allergie numérique me cantonne aux « vieux » forums (pardon camptocampeur de vous traiter de vieux :wink:
Diffuse, c’est copyleft.

il reste encore la possibilité de pédaler.

J’ai du m’y résoudre un soir où le dernier train avait disparu des écrans sans sommation. 40 kilomètres une nuit de novembre, sous la pluie, il faisait 5°C, c’est intéressant pour l’aventure, mais comme disait une héroïne de ma génération « eh ben j’ferai pas ça tous les jours ».

Oui, encore une ironie de ma part mais je précise toutefois que malgré les quelques désagréments ferroviaires erratiques, je béni l’existence et la qualité de ma ligne quotidienne Chambéry/Grenoble. 6 ou 7 jours de galère sur plus de 350 trajets annuels, pour un coût très modeste par rapport à la voiture, il faut saluer.

Et comme disait @fanoitbeny, plus que la situation, je pointe du doigt la dynamique sociale, cela arrive ailleurs que dans les rames de la SNCF .

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Bonjour,

C’est la réflexion de la SNCF quand elle a son mot à dire, c’est la logique, c’est la même chose que de dire qu’on pourrait utiliser une voiturette plutôt qu’un gros SUV quand on va seul au boulot. Mais beaucoup d’usagers, peut-être la majorité, n’ont pas cette volonté d’économie sur les moyens de transport.

Bernard

La dynamique sociale, quand il fait 33°, que tu es serré comme une sardine en boîte dans un compartiment surchauffé et que ton seul souhait c’est de rentrer chez toi après une journée de boulot, elle manque soudain de vigueur.
C’est humain.

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Je t’assure que le « client mécontent » en avait pourtant encore beaucoup de la vigueur. Ses opposants également, tout sardinés et étuvés qu’ils étaient pourtant.

Oh, je te crois.
On dira que râler comme ça, c’est aussi une forme de dynamique sociale.

Un peu comme voter RN parce qu’on est mécontent de… d’un peu tout, quoi.
Et donc on se soulage.

En Suisse, il faut payer pour son vélo dans le train (logique, tout est payant en Suisse…). Mais c’est pas pour ça que c’est mieux. Y’a quand même pas assez de place (ou trop de monde, comme on veut).

Et des fois, y’a les cyclistes qui gueulent sur les trottinettistes (qui eux ne payent pas, mais prennent la place) :laughing: