Juste un tout petit truc : n’est-ce pas un peu ridicule de catégoriser (les coureurs de l’UTMB ceci ou cela, ils ne regardent pas le paysage, ce sont des gogos, ils sont déresponsabilisés au possible, ou à l’inverse ils adorent la montagne, ils ont une forte conscience de leur prochain, une forte conscience écologique, etc) 2500 personnes (grosso modo le nombre de participants à l’UTMB chaque année) sous leur seul dénominateur commun, participer à l’UTMB ? N’avez-vous pas envisagé qu’un lot de 2500 personnes ayant un point commun qui est ici mis en exergue aient en parallèle 2500 visions différentes de leur pratique, de la société, de la vie ?
Bref, cette vision simpliste et manichéenne des choses - et ça vaut pour les deux « camps » - est bien rigolote. Ou bien triste, faut voir. J’y réfléchirai tout à l’heure, en courant dans « ma » montagne.
Heu, sinon, juste vite fait, voilà ce que je retiens de mon UTMB, en 2007, histoire d’apporter un peu de concret dans ce débat un peu superficiel : un salon où je fais partie des exposants, c’est chiant, mais ça permet de discuter course à pied, montagne, parcours, avec des tas de gens connus ou pas, ça fait passer le temps. Un départ qui m’emmerde avec des types qui brandissent dangereusement leurs bâtons et des discours trop ronflants. Des premiers kilomètres trop serrés, avec des gens trop bruyants. Enfin de la place avec la première ascension, puis un magnifique coucher de soleil sur le massif du Mont-Blanc depuis le Col de Voza. Le passage à Notre-Dame de la Gorge est magnifique, l’humidité ambiante, les dalles glissantes, la vapeur exhalée par les coureurs, on fait corps avec le sentier. Le thé chaud au ravitaillement de La Balme, et ma vanne à la personne qui m’a servie, malheureusement tombée à plat. Ma gamelle dans la descente sur Les Chapieux, ouille la cuisse et les fesses. Les cinq kilomètres sur route vers la Ville des Glaciers, seul sous une superbe voûte étoilée. Le passage au Col de la Seigne est une merveille, lune suffisante pour progresser sans frontale entre les rochers, silence à peine dérangé par les pas feutrés. Le lever du soleil du côté de l’Arête Mont Favre éclaire d’une manière irréelle le massif, c’est inoubliable. Courmayeur et un plat de pâtes servi par une « mama italienne », excellent ! Quelques dizaines de minutes avec un pote, un Monégasque à l’accent prononcé et aux expressions très fleuries : 800 mètres de dénivelé qui passent à rigoler pour monter au refuge Berton. Les balcons entre Bertone et Bonatti, avec à main gauche le côté italien du massif, énorme, imposant. Le Grand Col Ferret qu’on m’avait décrit comme « l’ogre » du parcours et que j’ai monté plutôt facilement : joie simple au sommet de bientôt fouler le sol suisse. Découverte d’une Suisse qui fait tellement carte postale, avec ses petits hameaux, ses ruisseaux, son air paisible. Échange jovial avec des locaux qui proposent un peu d’eau, échange de sourires avec leurs enfants qui accompagnent quelques instants chaque coureur. Champex, le lac, l’effervescence d’un gros ravitaillement, l’envie de ne pas traîner, deux trois mots de réconfort à un pote que je retrouve attablé devant des pâtes, le regard dans le vide. La montée aux alpages de Bovines, un régal de jeu dans la caillasse, sur un sentier qui flirte avec le torrent. Puis Trient, bientôt la nuit, encore un pote rattrapé puis qui me larguera sur la fin, discussion de tout et de rien. Moments difficiles vers Catogne, grosse fatigue, il doit être 22 h, je me couche sur un tas de cailloux pour ne pas m’endormir trop longtemps, dix minutes se passent. Descente sur Vallorcine, je retrouve mon Monégasque, nous finirons ensemble, lui à jurer dès que ça monte, moi à jurer dès que ça descend, nous deux à rigoler des jurons de l’autre. Fin de parcours pas marrante, il fait noir, on est en forêt, ça ondule gentillement, ça manque de peps. Du côté du golf de Chamonix, un troisième copain nous rattrape, nous terminons ensemble sur le coup de 3 h du matin, grosse émotion partagée, partagée comme la bière que nous retrouvons instantanément dans nos mains. C’était bien !