Posté en tant qu’invité par François Sivardière:
Bonsoir,
Permettez-moi d’intervenir dans votre discussion pour clarifier certains points. Je décompose mon propos point par point, mais dans la réalité, toutes les réponses sont en lien les unes avec les autres.
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« Il semble d’après les statistiques qu’il y a plus de morts lorsqu’il est tombé moins de neige que beaucoup de neige ».
Je n’ai pas connaissances de telles statistiques, mais si elles existent, je suis très intéressé et donc preneur des références. D’avance merci.
Ce qui est vrai, c’est que les hivers les plus enneigés ne sont pas les plus meurtriers, en particulier pour la raison suivante (mais pas seulement, car en nivologie comme dans bien d’autres domaines, il y a souvent plusieurs explications qui concourent à la réalisation d’un même phénomène).
La formation des grains à faces planes et gobelets, constituants les plus fréquent des couches fragiles, est favorisée par de faibles épaisseurs de neige. Or, une couche fragile est un des 4 ingrédients d’une avalanche de plaque (les 3 autres étant l’existence d’une plaque, c’est-à-dire d’une couche de neige présentant une certaine cohésion, d’une pente suffisamment raide et d’un facteur de déclenchement, qui est la victime dans 90 % des accidents d’avalanches en France).
Donc, qui dit hivers faiblement enneigés (en particulier en début de saison), dit conditions favorables au développement des faces planes et des gobelets, donc des couches fragiles, qui sont elles mêmes une condition nécessaire (mais pas suffisante ) aux accidents d’avalanches. Plus il y a de couches fragiles, et plus elles sont fragiles, plus le manteau neigeux est propice aux accidents.
Un deuxième élément de réponse : ça n’est pas la quantité de neige qui est importante, c’est sa qualité associée à celle de la couche sur laquelle elle se trouve. La combinaison dangereuse, c’est une plaque (=couche de neige avec une certaine cohésion, pas forcément importante, donc pas forcément dure) reposant sur une couche fragile (= couche de neige sans -ou à très faible- cohésion).
Troisième élément de réponse : quand il y a peu de neige, on se concentre là où il y en a (sauf pour les adeptes du ski-cailloux). Et là où il y en a, c’est qu’elle a été accumulée par le vent. Or le vent, en transportant la neige, lui donne une certaine cohésion, qui fait que de la neige transportée par le vent a la caractéristique qui en fait une plaque. On a donc là l’un des 4 ingrédients des accidents d’avalanches de plaques. C’est un peu comme si, dans ces situations, en allant chercher la neige là où elle est, on se jetait dans la gueule du loup… -
« si une épaisseur importante ne part pas alors ce n’est pas le poids d’un ou plusieurs skieurs qui va faire la différence ».
Cette explication n’est pas la bonne, car les mécanismes de départ des avalanches spontanées (qui partent toutes seules pendant ou juste après une chute de neige) ne sont pas les mêmes que les mécanismes du déclenchement des avalanches de plaques. En plus, quoi qu’il en soit, le poids d’un skieur/snowboarder, c’est de toute manière "pinuts "par rapport au poids d’une plaque de neige.
Typiquement, les purges des couloirs ne mettent absolument pas en cause une éventuelle couche fragile, alors que c’est le cas pour les accidents d’avalanches (qui sont à 80/90 % des avalanches de plaques).
Quant aux avalanches de plaque spontanées (celles qui partent toutes seules pendant ou dans les heures qui suivent une chute de neige ou une période de transport de neige par le vent), je n’ai pas encore lu (depuis 15 ans) une réelle explication du mécanisme. Et il suffit de sortir un peu en montagne pour constater qu’il y en a des épaisses (record = 5 m !) et des minces (< 50 cm). -
« Ca marche surtout pour les plaques friables (la simple couche dû à la chute de neige). Pour les plaques à vent, c’est différent (grosse cohésion dans la plaque dès sa formation) ».
C’est un non-sens d’opposer plaque friable et plaque à vent.
Plaque friable = plaque dont la neige n’a qu’une faible cohésion (malgré une certaine cohésion, elle a une consistance poudreuse).
Plaque à vent = plaque formée par le vent (ce qui ne préjuge pas de la qualité de la neige). Les plaques à vent peuvent être friables ou très dures, avec naturellement toutes les duretés intermédiaires. -
« bon enneigement l’an passé, 14 décédés au 20 janvier. mauvais enneigement cet année, 4 décédés au 20 janvier ».
Ne faîtes pas dire aux statistiques ce qu’elles ne disent pas… Et en premier lieu, que signifie « bon enneigement » ? -
« Ce n’est pas tant le poids des personnes qui va déclencher une plaque, c’est surtout les vibrations qu’elles transmettent au manteau neigeux jusqu’à la couche fragile, et qui peuvent la faire s’effondrer ».
Désolé, mais si, c’est le poids des personnes qui est la première étape du déclenchement accidentel d’une avalanche de plaque, et pas les « vibrations »… D’ailleurs, quelles vibrations ? -
« Tu ne peux pas dissocier plaques à vent et couches fragiles ».
Tout juste ! Une plaque (à vent ou non, d’ailleurs et friable ou dure) n’est (sauf exception) pas dangereuse si elle ne recouvre pas une couche fragile (il en faut une, même mince et difficilement détectable). Et une couche fragile n’est pas dangereuse en tant que telle si elle n’est pas recouverte par une plaque. C’est pour cela que c’est un non-sens de dire « … 80% des accidents sont dus aux plaques à vent ça ne veut pas dire que moins de 20% des accidents sont dus aux gobelets ou aux faces planes … ». -
« Oui mais une plaque à vent ne va reposer qu’exceptionnellement sur des gobelets ou face planes parce qu’ils se forment à l’intérieur du manteau ».
Malheureusement non. Les FP et les G se forment principalement quand la couche de neige dont ils sont issus est en surface. Il suffit alors que le vent (pendant ou après une chute de neige) dépose dessus de la neige pour qu’on ait une plaque (à vent) qui repose sur une couche de FP ou G. C’est très classique. -
« Pas besoin d’une couche fragile existante cependant pour qu’une plaque à vent soit dangereuse ».
Si, sauf cas très particulier et donc exceptionnel. -
Givre de profondeur (terme ancien, qui temps à disparaître, justement pour éviter les malentendus avec givre de surface) = gobelets. Il se forme la plupart du temps en surface, sauf dans quelques cas particuliers (juste au-dessus d’une croûte de regel enfouie dans le manteau neigeux, par exemple). Le givre de surface se forme toujours en surface. Dans les deux cas, ils sont appelés à être recouvert par une chute de neige ultérieure.
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Les constituant des couches fragiles. Faces planes, gobelets, givre de surface et neige roulée (= les « fameuses » boules de mimosa…) sont constitutifs des couches fragiles persistantes car elles ne vont disparaître, grosso modo, qu’avec leur humidification (qui ne vient souvent pas tout de suite, donc elles peuvent persister plusieurs semaines, voire mois). Les couches de particules reconnaissables peuvent aussi constituer des couches fragiles, mais on dit qu’elles ne sont pas persistantes, car avec leur tassement, elles vont prendre de la cohésion et donc perdre leur caractère fragile.
En ce qui concerne les couches de neige humide, les choses sont beaucoup moins claires. La neige humide n’a pas tout à fait les mêmes comportement que la neige sèche. -
« Les plaques à vent sont un cas bien particulier : elles se forment souvent très rapidement, elles sont constitués de grains fins mais qui ont une cohésion plutôt faible comparée aux couches de grains fins qui se forment par tassement, beaucoup d’air reste emprisonné dans la couche (ce qui provoque des whoumfs), et la cohésion avec la couche inférieure peut être mauvaise ».
Première partie fausse : les plaques à vent peuvent avoir une très bonne cohésion (ce n’est pas systématique, puisque les plaques à vent peuvent aussi être friables), et même meilleure que les plaques formées uniquement par faible gradient.
Le whoumf ne vient pas de l’air contenu dans la plaque, mais de l’air contenu dans la couche fragile. -
En fait le problème n’est pas l’épaisseur de la chute de neige, mais l’épaisseur de la plaque qui recouvre la couche fragile.
C’est vrai que plus la couche fragile est profondément enfouie (plus de 1.2 m au moins en général, mais cela dépend de la qualité de la neige qui la recouvre), plus il sera difficile d’en provoquer la rupture par surcharge (souvent rendu sensible quand la CF est suffisamment épaisse pour que sa rupture se traduise par un effondrement). Mais attention, une plaque à vent (mais elles le sont quasiment toutes !), n’a pas une épaisseur homogène (c’est même le contraire) : on peut donc très bien provoquer la rupture de la couche fragile à un endroit où la plaque n’est pas très épaisse, même si ailleurs elle est épaisse. C’est même souvent comme cela que ça se produit.
Et en plus, l’épaisseur d’une plaque ne correspond que rarement à celle de la chute de neige. Là où le vent a soufflé, elle sera moins épaisse, et elle sera plus épaisse dans les pentes à l’abri du vent.
Donc méfiance, sens de l’observation, esprit critique, humilité et prudence tout le temps : qu’il y ait beaucoup de neige ou non.
Voilà pour ce soir.
Bonne nuit à tous.
François Sivardière, directeur de l’ANENA.
[%sig%]