Ultime détresse

Posté en tant qu’invité par hervé:

Mardi, en fin d’après-midi, je remontai les derniers mètres sur ma statique, à grandes brassées de jumards. Quelques mètres avant le sommet, je l’ai aperçu, assis à côté de mon relais, l’air pensif, sévère, pas vraiment le visage radieux d’un touriste en admiration devant le paysage.
J’étais un peu surpris de le voir de l’autre côté des rambardes du belvédère, juste à côté de mon sac. Peu de touristes s’aventurent jusque-là.
Nous avons échangé quelques paroles, plus pour masquer notre gêne réciproque que pour vraiment communiquer. Ce n’est guère surprenant avec moi, je suis d’une timidité presque maladive, au point que Gilles pense que la Voie du « Muet qui rit » à Castelvieil est un hommage à ma légendaire volubilité avec ceux que je ne connais pas.
J’ai rejoint ma voiture sur le parking du belvédère, histoire de me restaurer un peu avant de replonger pour placer les points de la nouvelle voie. Trois heures de jours devant moi, trois petites longueurs à équiper, ça devait aller.
Lorsque je suis revenu à mon relais, l’homme avait changé de place et s’était assis sur une minuscule vire à l’extrême rebord de la falaise. J’ai failli lui dire que ce n’était pas très prudent sur ces blocs peu stables enchassés dans la terre, mais Il avait l’air totalement absorbé, « ailleurs », et je n’ai pas osé le déranger. Les autres visiteurs semblaient indifférents, tout à la contemplation du panorama.
Lorsque je suis arrivé en bas de la falaise, deux heures s’étaient écoulées. La voie était presque finie, hormis quelques points à rajouter dans le haut.
C’est alors que j’ai entendu tomber des blocs. Cela ne m’a guère surpris, avec le belvédère juste au-dessus, il y a souvent des touristes qui lancent des pierres par jeu, sans penser qu’il peut y avoir du monde en dessous.
Je n’avais pas pris de casque et j’ai pensé que la paroi n’était pas assez raide pour me protéger des projectiles venus d’en haut. Je me suis dit qu’il fallait être très attentif et je me suis dépêché d’amorcer la remontée.
Je n’avais pas fait vingt mètres que j’ai entendu un gros choc sourd plus haut sur ma droite.
Ce n’était pas le claquement sec d’un caillou sur le rocher et j’ai tout de suite compris que ce n’était pas une chute de pierres. Non, pas avec ce son lourd et mat.
Ce que j’ai vu dans la fraction de seconde suivante, je ne peux pas le raconter.

La suite s’est déroulée dans un brouillard… ne pas perdre son sang-froid, ne pas trembler, se concentrer sur les gestes simples de la remontée, souffler, ne plus trembler, ne pas crier… même si le silence est trop lourd, il est aussi le plus beau des linceuls, alors ne pas faire de bruit, ne pas troubler cette quiétude qu’il est venu chercher ici et comme ça… simplement monter sans réfléchir, agir pour ne pas penser… pas encore… pas avant le sommet.
Après il a fallu reprendre pied, prévenir les secours… police… hélicoptère… tout ce tourbillon dérisoire à présent, mais qui permet encore un moment de ne pas se retrouver seul avec ses pensées… car après vient la tristesse, une infinie tristesse… celle de n’avoir pas su voir la détresse, de ne rien avoir osé dire… et puis des images… trop dures.

Posté en tant qu’invité par Eloi:

Ce touriste a choisi un lieu grandiose pour mourrir en beauté.

Eloi

Posté en tant qu’invité par martin:

on ne sait pas ??
peut etre a t-il glissé ??

Posté en tant qu’invité par hervé:

Peut-être, peut-être pas. J’ai rarement vu un touriste solitaire rester ainsi deux heures et demi à un belvédère en fin de journée quand il n’y a plus de soleil.

Posté en tant qu’invité par fred:

Difficile de juger ce qu’on aurait pu faire après coup… C’est sûr que c’est choquant et qu’on se sent responsable mais c’est ainsi et de totues façons tôt ou tard la vie nous échappe alors …

Posté en tant qu’invité par alain:

Dramatique. On est moins confronté à ce problème que les chauffeurs de train ou de métro… mais, de toutes façons, on ne peut se prémunir je pense…

Pour avoir vécu la chute et le rebond sur le rocher d’un grimpeur en solo à quelques mètres de moi, je sais que cet écoeurement, cette culpabilité idiote, ce refus d’y croire (j’avais cru à la chute accidentelle d’un sac à dos alors que je voyais distinctement un corps humain) et cette envie de crier à l’injustice lors de la descente en rappel vers le corps fracassé au pied de la parois ne s’évacuent pas facilement.

C’était au Coudon en 1987. On avait beaucoup bu ce soir-là …

Bon courage Hervé

[%sig%]

Posté en tant qu’invité par Marcello:

C’est un bel hommage ,je trouve, que d’en parler

Posté en tant qu’invité par hervé:

J’espère ne pas avoir choqué en en parlant. Cela fait aussi partie de ces histoires tristes que l’on peut être amené à vivre un jour ou l’autre.

Posté en tant qu’invité par local:

Mon métier est d’aller essayer de faire que la vie continue, et ces corps détruits j’en ai vu plus qu’il n’est raisonnable.
Hervé, ce que tu écrit est un hommage et un salut magnifique à un homme qui a fait un choix. Et ce choix est dur parcequ’il ne se partage pas. Ce n’est pas choquant d’en parler, au contraire, et c’est que tu as déja fait la part des choses entre ta vie, qui continue, et sa mort, qui ne t’appartient pas.
Bon courage.

Posté en tant qu’invité par jérôme:

C’est clair que voir ça, doit retourner un peu les tripes…Je te souhaite bcp de courage.

Posté en tant qu’invité par luccio:

idem, j’ai entendu un jeune impacter ce week end, le bruit que tu décris, plus les gemossement de quelqu’un à l’agonie, ça donne pas envie d’aller voir…

redescente en auto moulinette, la copine choquée en bas alors que continuent les gémissements, je me freine avec les mains de peur qu’elle ne me fout au sol…

je vois un bout de corde qui pendoille, seul à 30 mètres du sol, je « vois » (j’imagine) le gars en bouillie qui agonise…
ma copine pleure en bas, les gemissements s’arretent , « il est mort? »

je vais voir à reculons, le coeur est à s’enfuir, mais bon…

heuresement, la chute n’était que de dix mètres, le jeune est conscient, mais bon…

les secours sont gérés par les compagnons de cordée, nous donnerons un petit coup de main aux secours, trois fois rien, on se sent impuissant, de trop…

     les pompiers, en bas, disent que ce n'est pas si grave, à priori quelques os cassés, je ne sais pas la suite...

Hélitreuillage et compagnie, quelles seront les séquelles phisiques et psychologiques.?

la cause est un noeud pas fait, à ce que je sais, à vérifier, en bref, j’ai "vu " (dans ma tête, c’était réel…)la mort à la falaise, et même si ce n’est pas le même cas de figure, on se demande ce qu’on aurait pu, dû faire…

on ne peut pas être derrière tout le monde, et un gars qui saute de je ne sais pas combien, à mon avis, c’était pas un appel au secours…

dans mon cas, l’horreur était plus ou moins imaginaire ( moins « définitive »), mais c’est sûr qu’on se pose des question…

alors bon courrage, et bonne continuation…

Posté en tant qu’invité par goethe:

Quelle tristesse… sûrement le mal du siècle, trop souvent étouffé.

Et courage à toi

Posté en tant qu’invité par Eric:

Salut,

Emotion en te lisant, je partage ta tristesse, cela m’a rappelé le saut raté d’un jeune base jumper niçois en 2000 à côté de Nasiaque …Ces images sont terribles et je compatis sincèrement.

Posté en tant qu’invité par Coco:

Bonjour Hervé,

Je suis vraiment touchée par ton message.

la liberté c’est aussi de choisir la façon de mourir. Il avait décidé de ses derniers instants. Le hasard à voulu que tu croises son regard ce jour - là. Tu n’y peux rien.

Pour ceux qui restent, il y a le partage de la détresse… c’est pas évident de respecter des choix aussi… décisifs…

Tu lui a fait un bel hommage, et tu fais partager des ressentis que nous risquons malheureusement tous de connaitre un jour par le biais de notre passion commune.

Je trouve cela courageux de balancer ainsi tes émotions et surtout tellement sain !!! Pour quelqu’un qui parle peu… tu le fais bien.

Bon courage, sincèrement, et continues d’avancer ainsi , avec élégance et sincérité.

C.

Posté en tant qu’invité par Paul G:

« Ce touriste a choisi un lieu grandiose pour mourrir en beauté. »

Cette remarque remarque me laisse dubitatif…
Le suicide, ce n’est sûrement pas une belle mort. Moi, je trouve ça abominablement triste, et j’imagine la quantité de désespoir qu’il faut accumuler pour en arriver là…
Je ne parlerai pas non plus de « liberté de choix ». Je vois plutôt ça comme un nageur à bout de force qui se laisse couler.

Pour Hervé, je comprends que tu sois remué. Pas facile de faire face à ce genre de situation. C’est toujours dur de rencontrer le fond de la misère humaine.

Posté en tant qu’invité par xxx:

moi je trouve sa, limite obscène !

Posté en tant qu’invité par lagopede67:

Tu n’y peux rien, mais je sais que c’est dur… La vie, c’est bien la seule chose qui nous appartient pour tjs, de notre premier à notre dernier souffle! Si par hasard tu apprends son prénom, tu pourrais peut-être nommer cette voie en sa mémoire? Juste une idée.

Bon courage!

Posté en tant qu’invité par Papy:

Je ne sais pas qui est obscène dans cette histoire… mais je ne pense pas que ce soit Hervé.

Son témoignage n’est ni cynique ni obscène. Il est au contraire chargé d’émotion et d’humanité. Sans chercher à me mettre à sa place, ce qui est impossible, je pense que n’importe quel individu ayant vécu cette situation (mais il semble qu’il y ait des exceptions) doit être bouleversé. Et je ne souhaite à personne de vivre ça.

Et c’est certainement beaucoup plus difficile et courageux d’en parler comme il le fait que d’assener un commentaire qui, lui, est choquant.

Je ne connais pas Hervé mais je crois que j’aimerais bien le rencontrer.

Pierre

Posté en tant qu’invité par K’ascade:

Je pense que l’on ne peut imaginer ce que tu ressens Hérvé (tristess, culpabilité), mais cela ne m’empêche pas de te souhaiter tout le courage et la force qu’il te faudra sûrement pour remonter cette épreuve. Ton témoignage est touchant, troublant, sincère et boulversant.
Je ne sais pas de quel site il s’agit, mais je suis assez d’accord avec Lagopède67 qui suggère de donner le prénom à la voie. Cela serait un bel hommage.
Bon courage

[%sig%]

Posté en tant qu’invité par xxx:

papy doit etre un grand amateur de bataille et fontaine…
a lire cet argumentaire,celà pourrai etre signer patrick lelay !
je trouve que ce post est obscene et je le dit…pour ce qui est des raisons j’ai aussi ecrit a l’auteur avec mes arguments…et voyant le sujet perdurer et de plus prendre des penchants …d’une …lourdeur …