Suicide en montagne et sports à risque

Peut-être faudrait-il relativiser en prenant en compte le degré de fascination. Car l’être humain a, dès la prime enfance, conscience de la mort, de sa propre finitude, et de celle des êtres aimés. Qui n’a pas fait l’expérience d’un très jeune enfant terrorisé par la perte d’un grand-parent (« Où elle est partie, Grand-mère ? ») ? De fait, c’est une minorité des hommes qui reste indifférent à la mort : L’homme est un animal métaphysique, selon Shopenhauer, car doté de conscience, c’est le seul capable d’envisager la mort. 100 % des ados se posent la question du sens de la vie, et donc de la mort ; et quels que soient les éléments ou fragments de réponse qu’il trouve - ou qu’on l’aide à trouver - l’adulte en devenir restera toujours, consciemment ou non, et avec différents degrés d’obsession, en questionnement face à la mort (la sienne et celle de l’autre). Après, donc, chacun vit ce questionnement avec plus ou moins de fascination.

Tenter de trouver une réponse à la question de la fascination particulière (et de son degré) qui serait inhérente à la pratique de l’alpinisme (si j’ai bien compris le point de départ de cette discussion) me semble périlleux hors d’une étude suivant des protocoles et des procès scientifiques. Chacun ici peut donner son opinion, ou son point de vue, mais cela - me semble-t-il - ne peut rester intéressant qu’à titre individuel (et cela reste véritablement intéressant à ce titre). Difficile de généraliser. Même si un certain Ministre de la Culture, plutôt au fait de son sujet :wink: , n’a pas hésité à généraliser la réponse pour les artistes en disant que L’art est un anti-destin

Quant au sacrifice suprême d’Herzog, je le lis plus comme une expression ancrée (datée ?) dans une époque, venant d’un homme qui doit sa réputation internationale à la mission nationale, pour ne pas dire militaire, qui lui avait été confiée pour la conquête du premier 8000. Les expés d’alors étaient financées par l’État, et la gloire nationale était en jeu ; il fallait donc accepter le sacrifice suprême (sans même faire référence à Pétain, dont la fin politique ne datait d’à peine 5 ans, au moment de l’Annapurna - pas au moment du bouquin de Boivin), en prenant le risque de mourir pour son pays. Pour autant, Herzog est-il représentatif de l’alpiniste lambda, ou même de l’alpiniste de son époque ?

Pour Herzog je pense qu’effectivement il faut remettre dans le contexte historique de l’époque.
Les dictature soviétiques, fascistes dont les nazis, ont utilisé l’alpinisme comme propagande pour montrer leurs supériorités. (mais aussi en France etc)
Pour les pays de l’est cela a perduré jusqu’au la chute du mur de Berlin.
Chez les nazis, il me semble que tous les grands alpinistes connus appartenait au ss, avec à leur tête Himmler, tristement célèbre (qui s’est suicidé d’ailleurs à son arrestation) , prônait la sacralisation du sacrifice (pas uniquement chez les alpinistes bien sûr) et voulait via l’Ahnenerbe ss (dont il était également le responsable) la généraliser à l’ensemble du futur empire nazi.
les alpinistes ss étaient appelé les surhommes, en référence à Nietzsche je suppose dont ils ont puisé une partie de leurs délires.
L’un des plus connus grâce à son livre et surtout au film (7 ans au Tibet) est l’alpiniste autrichien et ss Heinrich Harrer. (son passé et ses fonctions furent découvert une fois le film terminé, et c’est assez étonnant d’imaginer un ancien sa, devenu ss et l’un des protégé d’Himmler grâce à ses exploits alpins, expliquer au jeune daila lama dont il était l’un des professeurs, éducateurs, les valeurs européennes…)
Enfin bon il est donc tout fait probable qu’Herzog soit représentatif de la mentalité de l’époque, ou le nationalisme et l’alpinisme ne faisait qu’un. Le sacrifice suprême.

En fait, c’est le terme de sacrifice que je n’arrive pas à comprendre. On se sacrifie pour une cause, ou pour quelqu’un. Mais pas pour soi. En quoi, en dehors du contexte de la compétition entre nations, l’acceptation ou la recherche du risque, même « suprême », pour soi-même, sont-elles un sacrifice ? Dans l’exemple de Boivin, justement, lorsqu’on sait comment la prise de risque s’est terminée, pour qui/quoi y aurait-t eu sacrifice ?

[quote=« Antoine M, id: 1729039, post:141, topic:152754 »]En parlant de sport à risque et de rapport à la mort, quid de l’apnée ?

Je ne retrouve plus la référence, mais je me souviens avoir lu une interview d’un champion du monde qui expliquait ses sensations, entre lutte contre son instinct de survie, petite mort et résurrection. Si quelqu’un retrouve un lien …[/quote]

Peut être Guillaume Nery ?
Je laisse le lien de Narcose, un film qui met en scène tout ce que Guillaume peut voir dans sa tête au cours de l’une de ses plongées extrêmes…

ceux qui ont déjà vécu ce genre d’état devraient s’y retrouver à certains moments :wink:

->http://m.youtube.com/watch?v=ldgxr4f6pWI

C’est le lien mobile, pour les curieux chez qui ça ne fonctionne pas, cherchez « Narcose+Guillaume+Nery » sur YouTube (et pas youlube sinon vous allez avoir de drôles de résultats :lol: )

[quote=« Antoine M, id: 1729039, post:141, topic:152754 »]En parlant de sport à risque et de rapport à la mort, quid de l’apnée ?

Je ne retrouve plus la référence, mais je me souviens avoir lu une interview d’un champion du monde qui expliquait ses sensations, entre lutte contre son instinct de survie, petite mort et résurrection. Si quelqu’un retrouve un lien …[/quote]

Oui le grand bleu (attention spoiler)

Ce texte a été écrit en décembre 1990.

C’est très mal connaître Maurice Herzog que de le réduire à ceci.

Le Maurice, il aimait la vie, et pas qu’un peu.

Bien sur il ne faut pas réduire Herzog à ma phrase, et évidement cela ne veut pas dire qu’il n’aimait pas la vie ??!! (je ne vois d’ailleurs pas le rapport )
Mais il a vécu durant sa jeunesse dans un climat ou le nationalisme et l’alpinisme était lié, c’est comme cela et n’a pas pu passer à travers, ce qui n’est plus du tout le cas aujourd’hui comme tu le sais. (en tout cas en France, Allemagne etc etc…peut être encore dans qq dictatures )
Après la date de ce texte n’a à mon sens aucune importance car il parlait de ce qu’il avait vécu, ressenti personnellement, du passé donc.

Posté en tant qu’invité par gitaneau:

Je pense qu’il y a une mauvaise interprétation de l’expression « sacrifice suprême » qui ne fait pas référence, dans ce contexte, à l’autodestruction mais au don de soi, l’abnégation, l’intérêt supérieur, les idéaux.On n’est plus du tout dans la même démarche et les acteurs en présence ne sont clairement pas des profils suicidaires ! On dérive du sujet initial vers un hs mais c’est en même temps l’occasion d’explorer des territoires très éloignés des sujets de discussion classiques.

pour ma part pas de problème pour explorer un peu plus loin que mon sujet initial…

et d’ailleurs, je trouve à posteriori que je l’ai mal formulé car je ne pensais pas tellement au suicide en montagne mais plutôt au suicide de grimpeurs/montagnards, ce qui n’est pas nécessairement la même chose.

j’ai connu au moins 3 grimpeurs (assez forts et radicaux dans leur pratique) qui ont mis fin volontairement à leurs jours mais jamais en montagne

mon interrogation était donc plutôt d’ordre « caractérielle » : est-ce qu’une partie des grimpeurs/alpinistes est plus prompte à passer à l’acte (et à ne pas se louper) quand le moral est en berne parce qu’ils ont une certaine habitude de la proximité de la mort ? ou est-ce que les gens qui ont des tendances suicidaires sont attirés par les sports « engagés » ?

« Morts en montagne », du guide Daniel Grevoz évoque aussi ce sujet :

Posté en tant qu’invité par Cand1:

[quote=« csv, id: 1732618, post:151, topic:152754 »]« Morts en montagne », du guide Daniel Grevoz évoque aussi ce sujet :
http://www.alplib.com/morts-en-montagne-daniel-grevoz-xml-309_342-8580.html[/quote]

Il s’agit d’un autre sujet celui de prendre/choisir les risques que l’on prend et pour lequel un homme incroyable a déjà répondu il y a quelques temps.

« Le bon sens populaire dira qu’il fallait être fou, ou inconscient, pour sortir avec de pareilles conditions. Comme nous étions parfaitement conscients des risques, on pourra conclure que nous étions donc fous. Le bon sens a sans doute raison, mais sa raison pèche en ceci qu’il s’agit précisément de bon sens: c’est une denrée qui n’existe pas à l’état pur dans la panoplie des alpinistes. Demande-t-on à un amoureux d’être de bon sens ? Allons donc ! Le bon sens, cela consiste à rester chez soi et à y demeurer une fois pour toutes, tant il est vrai que le moindre pas au-dehors met en péril la sacrosainte sécurité, surtout par les temps qui courent !

Mais si l’alpiniste va en montagne, ce n’est pas parce qu’elle est dangereuse, ou du moins ce n’est pas principalement pour cela, encore que la corporation doive bien comprendre quelques spécimens que ce côté-là des choses excite plus spécialement - quelle caste n’a pas ses extrémistes ? Je parle pour la moyenne des sectateurs, chez qui l’appétit du risque est des plus médiocres… » Chap’s

Je ne vois rien à ajouter, certain utilise la montagne comme d’autre le TGV ou encore les médicaments, ce n’est pas parce qu’on démystifie la mort ou le risque en le côtoyant plus ou moins que cela crée un mal-être perceptible pour d’autre raison sur le plan personnel qui fera passer à l’acte.

lire « pourquoi j’aurais dû mourir en montagne » d’Emmanuel Ratoui (guide et psycho généalogiste)

L’obscur auteur en question s’appelait Albert Camus, et il reprenait une idée développée par Emile Durkheim, un des premiers grands noms des sciences sociales. Un peu le Jésus de la sociologie en fait ! (enfin, un des Jésus, il y a aussi deux Allemands dans la sainte trinité fondatrice des sociologues).
L’ouvrage de ce dernier, « Le suicide », se trouve en PDF sur Internet est à mon avis abordable pour n’importe qui a l’habitude de lire autre chose que des romans de gare. En revanche je ne sais pas si c’est très indiqué pour quelqu’un qui est en train de faire son deuil d’une personne qui s’est donnée la mort. Vaut mieux le lire quand ça commence à aller mieux et qu’on peut relativiser… En revanche, ça date d’avant le sport :slight_smile:

oui enfin faut aimer cette théorie de la psycho généalogie qui est très critiquée…

La vie commence au-delà de notre zone de confort, n’est-ce pas simplement ce que l’on recherche en montagne (et à satisfaire son ego)?
Après la chimie du corps humain (sécrétion d endorphines, …) nous pousse à aller toujours plus loin (Ce qui peut s’apparenter à de la toxicomanie à la différence près que l’on garde un control partiel et une moindre dépendance). Cela fait partie de notre instinct de survie pour le développement de notre espèce (comme les virus, les bactéries, …).
Dans ces situations, on allume alors des petites lampes de bonheur et on a toujours besoin de plus …(ca marche aussi avec l’amour, les relations avec les êtres vivants (positive et négative), la cigarette, …)

De ma compréhension des lectures faites sur l’état suicidaire, ce qui nous pousse à vouloir mourir c’est notre perception négative de nos capacités a avancé, explorer… (à la base une souffrance, un choc émotionnel (maladie, …), dépassement d’un obstacle, absence de stimuli+/- …).
A partir de là, notre corps émets des fluides qui vont renforcer cette spirale négative et nous pousser vers la fin sans réels consciences. Et la boucle est bouclée vers les abysses (d ou les antidépresseurs)

Avec les sports à risques, les efforts demandés au corps sont importants et provoques un état de faiblesse. Dans ces situations, l’équilibre « hormonal » est subtil et la bascule vers la fin peut être soudaine et imprévisible pour une personne en situation de fragilité
Prendre les adeptes des sports dit extrêmes pour des candidats potentiels aux suicides, nous permets surtout de satisfaire notre ego (image positive du courage et de la force (mental) qui est nécessaire - John Wayne a été le meilleur fournisseur de GI pour l’armée US avec l’image du soldat indestructible alors que la guerre est un bien triste sport)) .Quant à déclarer qu’ il n y a pas d’alpinisme s il n y a pas de risque, je pense que c’est une erreur de perception, il n y a pas d’alpinisme s il n y a pas de « dépassement » de soi (le risque n’est qu’ une composante du dépassement)

+1 pour l’idée qu’un suicide en montagne est bien plus « acceptable » (faute, manque de chance, …) . Il est plus agréable de mourir pour sa passion que tragiquement dans un accident de la circulation ou d’une maladie

Posté en tant qu’invité par gitaneau:

J’aime bien ce point de vue.

Heu…agréable ?? T’as déjà essayé ? Je remplacerais « agréable » par " valorisant".

Posté en tant qu’invité par Reiser:

Une fois mort, que ce soit plus agréable ou plus valorisant, on s’en fou, ce sont les autres seuls qui peuvent juger de l’aspect valorisant ou pas!
C’est pour cela que les islamistes radicaux, on en a rien à foutre …

hum …
agréable, valorisant … pour le mort ?
même son fantôme n’en a plus rien à faire

il est plus agréable pour le mourant de passer très rapidement de vie à trépas, plutôt que de trainer dans un lit des mois durant
à cet égard, le suicide peut être une bonne solution

[quote=« pain d epices, id: 1738646, post:156, topic:152754 »]a vie commence au-delà de notre zone de confort, n’est-ce pas simplement ce que l’on recherche en montagne (et à satisfaire son ego)?
Après la chimie du corps humain (sécrétion d endorphines, …) nous pousse à aller toujours plus loin[/quote]

je dirais plutôt « nous pousse à rechercher nos limites »
cela reste vrai quand tu vieillis, même si tu ne peux plus « aller aussi loin » qu’autrefois

Posté en tant qu’invité par gitaneau:

[quote=« vref, id: 1738688, post:159, topic:152754 »]

hum …
agréable, valorisant … pour le mort ?
même son fantôme n’en a plus rien à[/quote]

Meuh non :mad: …pour le vivant, qui se « projette » dans un temps où il espère donner de lui une image valorisée où se mêlent idéaux, courage, désintéressement, valeurs humaines, etc…

[quote=« gitaneau, id: 1738670, post:157, topic:152754 »]

J’aime bien ce point de vue.

Heu…agréable ?? T’as déjà essayé ? Je remplacerais « agréable » par " valorisant".[/quote]

Essayé : Malheureusement oui (et encore merci à ceux qui m ont permis de revenir même si le chemin a été long) .

Si agréable est choquant, je propose" facile, acceptable," . Il n y a pas de de valeur dans la mort . L ego en a besoin par contre quand on est en vie pour mieux repousser nos peurs .

[quote=« Reiser, id: 1738680, post:158, topic:152754 »][/quote]

Bien que le sujet sur les islamistes radicaux soit délicats, c est le contraire… ils y trouvent enfin une façon d exister , de sortir de l’anonymat, unependant le bref instant ou ils sont sortis de leur zone de confort et font, pour une fois, preuve de courage . Malheureusement il font l erreur de se tromper d analyse… Il suffirait seulement de leur faire découvrir le bénéfice du dépassement de soi envers soi mêmes pour qu il change de vision (mais c est un autre sujet)

pour ceux qui restent, la raison de la mort permet juste d accepter et de tourner plus facilement et rapidement la page sur la suite de la vie