Ça n’est pas aussi simple.
Déjà on ne grimpe pas tous pour les mêmes raisons, la plupart d’entre nous grimpons pour le plaisir d’être dehors, d’avoir une activité physique assez ludique, et de vivre de petites aventures où nous ne prenons pas trop de risques. C’est confort, et je n’y vois aucun problème, c’est même l’essentiel de ma pratique personnelle. Maintenant c’est aussi un sport qui s’articule autour des émotions que l’on y vit, en particulier le dépassement de soi et surtout de ses peurs. Bon nombre d’entre nous y vont aussi pour avoir des sensations fortes, se dépasser, vibrer et finir la journée avec cette banane caractéristique des journées qui laisseront des souvenirs impérissables. Du coup la peur, quoi qu’on en dise fait partie de la pratique.
Pour certains c’est même tout le sel du jeu. Pour d’autres c’est ce qui est recherché dans un itinéraire : l’engagement avant tout le reste. Il y en a également qui associent cet engagement a une expérience spirituelle intense, dans laquelle on se transcende. Ça semble pompeux dit comme ça, mais c’est très bien raconté dans la bio de Pierre Béghin. L’engagement permet de rentrer dans un autre monde, ou en tout cas de quitter celui du tout confort et de l’aseptisé de notre quotidien. C’est se retrouver en dehors des codes qui nous ont été fixés, c’est un voyage à sa manière.
Pour ma part je trouve que c’est ce qu’il y’a de plus intéressant dans l’escalade et l’alpinisme, c’est aussi le plus difficile, mais une grande richesse réside dans cet aspect de la pratique.
Maintenant si on respecte le fait que certains ne veulent surtout pas prendre le moindre risque ou se mettre terreur (ils sont plutôt sensés), il faut de la même manière respecter ceux qui cherchent cet engagement. Aujourd’hui il y à suffisamment de voie clef en mains, sans risques, pour que ces personnes puissent vivre cette pratique à leur manière. Mais pour les autres, pour ceux qui ont rêvé de faire (et de trembler dans) une Estampo, une Walker, une Fête des Nerfs, il est important me semble t’il que ces voies gardent ce qui a construit leur légende, sinon elles en perdraient toute leur substance…
La plupart des souvenirs marquants que j’ai me viennent de ces voies dans lesquelles les points m’ont semblés trop loin, et où le fait d’avancer m’a coûté des ressources surtout mentales. Évidemment je ne veux pas faire ça tous les jours, mais ce sont les plus belles. Et ce n’est pas pour pavaner, mais simplement que l’expérience, l’intensité de la vie vécue a ce moment-là, les souvenirs qu’elles auront laissés ne se trouvent pas dans ces voies dans lesquelles on avance sans se poser de question.
Je ne suis pas partisan des voies engagées, les voies très équipées ont leur importance aussi, elles rendent une discipline qui s’est toujours voulue un peu élitiste et difficile a appréhender beaucoup plus accessible, mais voilà… Il en faut pour tout le monde, et ce serait priver notre discipline d’une de ses plus grandes richesses de vouloir supprimer l’engagement de toutes les voies.
D’autre part, se pose aussi la question de l’héritage, trop accessible signifie trop de passage. L’usage du monde, dans le Verdon a été équipée en 2018, elle est très très équipée et… Déjà patinée.
Pensons également aux générations de demain.
Le rocher ne doit pas être vu comme un consommable, le parcourir doit être une démarche un peu plus complexe et approfondie me semble t’il.