Pulsion de mort et inconscient en montagne

Merci pour le lien, et tant pis pour le côté marronnier! L’article est passionnant. Nous connaissons tous, hélas, des montagnards, souvent professionnels, qui ont été victimes de décisions inadéquates, et qui possédaient une grande expérience. Je note une chose dans cet article : sous la notion de « pièges de l’inconscient », l’auteur recense et classe des comportements ou des attitudes, mais pas vraiment de faits ayant un lien avec l’inconscient proprement dit. Sa recension est excellente; toutefois, il faudrait selon moi se pencher sur le rôle des pulsions, en particulier de la pulsion de mort. L’approche psychologique américaine est souvent plus comportementaliste que psychanalytique. Bien sûr, en entrant dans le domaine de l’inconscient, on a affaire à des cas strictement singuliers, et la statistique est difficile… Dans la conduite névrotique, le sujet peut savoir intimement qu’il prend la mauvaise décision, et une pulsion peut néanmoins l’enfermer dans cette décision. Il y a aussi cette notion d’erreur, qui peut parfois être associée à ce qu’on appelle communément « acte manqué »… De ce côté, il y a toujours quelque chose à élucider. Encore faut-il, pour que l’étude soit possible, que le sujet ne soit pas mort suite à cette mauvaise décision! Mais nous sommes nombreux à pouvoir témoigner de ce genre de situation, sans en avoir été fatalement victimes.

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Intéressant, qu’entends-tu par pulsion de mort?

OSalut.
N’étant pas psychanalyste, j’ai conscience d’utiliser une notion qui a donné lieu à controverses dans le milieu et l’histoire de la psychanalyse. Sous cette notion, apparue chez Freud essentiellement après les massacres de la Première guerre mondiale, se rangent plusieurs notions. C’est donc plutôt une topique. Parmi ces notions, le principe de répétition, conduisant à l’échec, à la douleur. Il y a aussi une notion biologique: la tendance de l’organisme vivant à retrouver l’état inorganique (Freud, c’est là sa force et son lien avec la science expérimentale, a toujours recherché un soubassement biologique à ses recherches). Mais aussi un principe lié au plaisir: la recherche de l’état de Nirvâna, qui nous rapproche du précédent… Enfin la pulsion autodestructrice. J’oublie certainement bien des aspects… La première et la dernière des notions énumérées se rejoignent. On connaît cette tendance terrible, bien identifiée dans la névrose obsessionnelle, à recommencer encore et toujours les mêmes erreurs, les mêmes conduites destructrices. Freud relia plus tard, dans les années vingt, cette tendance au surmoi tyrannique, sadique, source d’un sentiment de culpabilité, menant à l’autoflagellation, à l’autodestruction. Alors parler de pulsion de répétition ou de pulsion de mort, pour des non psychanalystes, c’est un peu la même chose.
Quand un responsable de groupe, face à une pente douteuse, décide de « traverser quand même », que se passe-t-il dans son inconscient, dans le duel entre les forces (elles mêmes déjà contradictoires) de son désir et son surmoi? À mon humble avis, que le sujet soit majoritairement obsessionnel ou simplement fragilisé à cet instant t, l’action destructrice de son surmoi est ici en jeu. Et cela d’autant plus que la responsabilité d’un groupe le rendra encore plus coupable! Je ne pense pas que, même le plus névrosé des skieurs de montagne (j’en connais…) soit systématiquement exposé à ce genre de mauvaise décision. Je pense qu’il faut pour cela des conditions générales (affectives, matérielles, sociales, somatiques probablement aussi), mais que la notion de « mauvaise décision » a bien à voir avec cette pulsion terrifiante de répétition. Pas la répétition de CETTE décision, mais, d’une façon générale pour le sujet, la répétition de ce qui lui fait du mal. Parce qu’un fois qu’on aura dit: " ce gars a agi ainsi par désir de séduire", ou « c’est un obstiné », on n’aura pas expliqué grand chose en profondeur. On sera resté au niveau phénoménologique élémentaire. On ne se sera pas demandé si son action n’est pas compulsive.
Ta question m’a amené à réfléchir, à essayer de préciser, en restant à mon niveau réel de non psychanalyste s’intéressant à la méthode freudienne. Ma réponse est certainement pleine d’erreurs ou d’approximations. D’autres y apporteraient probablement bien des correctifs. Mais par ces temps de scientisme imbécile, de croyance au comportementalisme, et de calomnies contre la psychanalyse (et de tout ce qui en est proche, comme le Surréalisme), il est bon de revenir à ces fondamentaux.

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C’est bien de le reconnaitre, car ça fait peur !
Car expliquer des comportements au XXIe siècle en utilisant les conclusions foireuses (= pas du tout scientifique) d’un gars qui a étudié des comportements 100 ans plus tôt dans une société différente, en extrapolant à l’humanité entière sans aucune précaution, ça ne peut qu’aboutir à un blougiboulga complètement à côté de la plaque.

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Salut Michel !

Merci de ton apport.

Cela me rappelle que Jean Bococagno (je fis sa connaissance à Berlin) soulevait cette « histoire » de « Pulsion de mort » dans Camptocamp.org

A+

Borut

Ok j’ai mieux compris! Mais du coup je pense que l’article relate ton approche, mais plus simplement et directement. On peut prendre par exemple le désir de séduction et l’associer a l’action destructrice de son surmoi. Tout comme le désir de SE séduire. Certains prennent des risques de ce type, destructeur, en pensant par exemple qu’il ne vont pas mourir car c’est une petite plaque, ou qu’il se sentent tout simplement plus fort. Donc oui l’action destructrice est en jeu dans ces moments, après, on pourrait aller bien plus loin…
Merci de ta réponse!

quand on a vécu un accident, ou quand des proches en ont subi, des fois on s’interroge. Et le concept de pulsion de mort n’a beau n’avoir jamais été démontré par des équations ou par des expériences en labo, il n’en est pas moins éclairant. Je suis étonné d’ailleurs que si peu de gens (et en particulier dans le monde de la montagne, rempli de scientifiques) le connaissent.

Il vaut mieux s’interroger avant un accident.

Salut Borut,
Content de te retrouver! Le lien ne permet pas de retrouver l’article en question, mais j’ai les trois premiers numéros de « Passages » dans ma maison à la montagne. Je relirai ça dans huit jours. Tu me ramènes ainsi à une époque délicieuse, quand je rencontrai l’équipe de cette revue très originale. Ils m’avaient publié une nouvelle, et ce fut le point de départ de pas mal de choses dans ma vie. J’avais ainsi fait la connaissance de Xavier Fargeas, psychiatre psychanalyste, grimpeur de première force, qui avait déjà à son actif des hivernales extrêmement difficiles dans le massif du Mont Blanc. Le niveau intellectuel et artistique de « Passages, cahiers de l’alpinisme » était excellent. L’ensemble était parfaitement atypique, libre, ouvert à toutes les recherches, à toutes les rencontres artistiques et scientifiques. Des gens parfaitement dépourvus de préjugés; de véritables aventuriers de la poésie et de la montagne.

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(…) Mais, si le sport est investissement musculaire, ce « culte du muscle agressif » (Marcuse) est un culte de la pulsion de mort. En fait, le sport est alors la « culture de la mort », la « pratique volontaire du risque de la mort ». Et à ce point de vue, l’alpinisme est sans doute bien placé. (…)
Jean Bocognano, dans Alpinisme et politique (Passage - cahiers de l’alpinisme 1, Ed. Fernand Lanore, Paris - 1977)

Dans ce même cahier, je viens aussi de relire le très beau texte de Xavier Fargeas : Symbolique ?

Pour éviter ça, il vous reste plus qu’à éviter d’aller en montagne, surtout dans les massifs où je vais :slight_smile: Surtout que si vous me rencontrez, vous seriez face à qqun qui cultive la pulsion de mort, quasi un serial killer. Il ne faut surtout pas approcher à moins 200km.

Pour éviter quoi ?

Pour éviter la pratique volontaire du risque de la mort.

Ces gens (ceux qui écrivent ces biiiiiiip) sont quand même bien dérangés.
Ils ont une pratique perso de l’alpinisme qui se révèle être une confrontation volontaire à la mort.
Ok pourquoi pas si ça les amuse.
Mais ça ne leur pose aucun problème d’affirmer que tous les alpinistes sont dans le même état d’esprit.
Ils sont incapables de penser une pratique différente de la leur, et donc ils en concluent qu’il est impossible d’avoir une pratique différente.
Perso, je fuis ce genre de pensées réductrices / avec des œillères / enfermé dans ses certitudes.
Ca permet d’explorer un champ des possibles qui se révèle être bien plus grand que leurs petites pensées.

Adressez vous au Comité des Cahiers de l’alpinisme (par exemple : @amy )

No fear, one life :slight_smile:

Ah mais je n’ai pas envie de les convaincre, ils pensent bien ce qu’ils veulent. Surtout si leur conclusion est qu’il ne faut pas aller en montagne :slight_smile:

c’est plus compliqué que ça. Pour simplifier, parmi les choses qui nous attirent dans ces sports, il y a cette pulsion de mort… Tu la nies, c’est normal, c’est un truc inconscient que notre pulsion de vie essaye de cacher au fond. Enfin, c’est très simplifié mais moi je vois ça comme ça. Cette pulsion peut se cacher derrière des raisons du genre « j’aime me retrouver seul en train de skier dans la nature, pour echapper à la civilisation » , raisons valables mais plus complexe en réalité.

Ben non désolé.
Il faut prouver que cette pulsion de mort est plus importante en montagne que dans la vie quotidienne.
Tu arriveras peut être à le prouver pour toi même, avec ta pratique.
Mais démontrer que les millions d’alpinistes fonctionnent aussi de cette façon, c’est une autre affaire !

Du calme. La pulsion de mort n’est pas spécifique à l’alpinisme.
C’est humain http://psycha.ru/fr/dictionnaires/laplanche_et_pontalis/voc245.html

J’ai bien peu de connaissances et de recul sur les pratiques des autres.
Mais je crois que je connais un peu mes moteurs, et je n’ai pas l’impression que ce soit une pulsion de mort. En escalade je prends plaisir à améliorer ma technique d’une part, à regarder le paysage, à faire confiance à l’autre, à être digne de la confiance de l’autre, et aussi à affronter et dépasser ma peur non fondée. J’ai bien écrit ma peur non fondée, parce qu’il n’y a pas d’autre danger qu’une entorse ou quelque chose du genre.
En montagne, ben c’est pareil, sans quoi je ferais du solo intégral. Idem à ski: même si j’adore la poudreuse et le défi de ne pas tomber dans des trucs durs pour moi, je passe plus de temps à freiner les envies de pentes raides et de sorties par risque élevé de mon partenaire préféré qu’à l’encourager. Ça ne veut pas dire que je ne me ferai jamais prendre hein.
Le seul truc difficile à appréhender en neige et glace et dont je me méfie, c’est que j’ai souvent envie de savoir si le support « aurait tenu », c’est donc juste le côté expérimental qui me frustre, le fait de ne pas savoir si c’était solide ou pas. Et pas le fait de jouer à pile ou face avec ma vie.

Disons que mon surmoi reste suffisamment puissant pour que ma pratique soit à peu près sage.