Mais faut voir le pourquoi du comment.
Chacun dans sa discipline, ce sont des pros; et un pro, ça se vend d’une certaine manière. Ils sont sponsorisés par des marques, il faut donc qu’il y ait de leur part une certaine visibilité, retour sur investissement oblige. D’où « challenges », vitesse, risque (pour moi c’est là où le bât blesse), etc…, avec le corollaire, images, médiatisation.
Mais d’un autre côté, c’est aussi ce qui leur permet de faire ensuite des projets plus personnels; de vivre de ce qu’ils aiment, ou dans le milieu qui les passionne; les accuser alors de « désacraliser » la montagne me semble donc mal venu: leur vision de ce milieu n’est simplement pas la même que la nôtre, mais pas moins « sage » pour autant.
De toute façon, je ne me permettrai jamais de dire du mal de François D’Haene: un type qui cultive la vigne et fait du vin ne peut être mauvais de nature !
C’est assez fou comme certains sont très rapidement méprisants et condescendants dès la première réponse au lieu de partager de manière un peu plus constructive la vision de « leur » milieu… puisqu’apparemment il s’agit de « leur » milieu. On parle ici de vitesse en montagne illustré par cet exploit fou de F. d’Haene, inutile d’y voir basiquement une provocation ou une controverse gratuite ! C’est peut-être le style d’écriture ou le « …n’ont rien compris à la montagne ? » qui ne passe pas ? Mille excuse d’avoir écorné les dieux vivants cités plus haut mais il me semble, sans se prendre trop le chou, que le style fait aussi partie du jeu dans un forum comme en témoignent les « trollesque » ou autres tournures de phrase de certains membres ! Et heureusement que la prose est ici un peu fun ! Passons pour la forme…
Pour le fond, je suis tout à fait d’accord avec El. gringo et néthou sur l’aspect pro de la discipline et la rentabilité, productivité, médiatisation qui va avec pour la maintenir. Ce qui me gêne en fait c’est de prôner la vitesse, de la mettre sur le devant de la scène comme un nouvel alpinisme, comme une spécialité de certains. La vitesse dans le sens du record n’est selon moi pas la bonne approche de la montagne car ce n’est pas une « vraie » composante de l’alpinisme comme je le conçois. Quand on a fait une première, pourquoi vouloir refaire la même PLUS VITE au lieu de la faire autrement (solo, hiver, sans artif ou par une nouvelle ligne improbable)? Vu la capacité, le talent et les possibilités de ces mecs-là, il y a tant d’autres trucs à imaginer car ces mêmes mecs savent aussi très bien contempler et prendre le temps, bien évidemment ! (je l’ai dit au début malgré ce que tu dis Seb) !
2h30 ou je sais plus combien pour faire AR Zermatt-Cervin ou Cham Mt-Blanc ou la face Nord de l’Eiger, ça m’émeu pas (et par « désacraliser » je veux dire qu’on réduit un peu ces 3 sommets mythiques au rang de piste de course) alors que je suis resté émerveillé par la perf de Kaldwell et Jorgeson à El Capitan (tout en libre) ou la première hivernale du Naga Parbat cet hiver (avec des femmes sur le devant de la scène!)… Et avec ces perf là, tu peux en vivre, tu rentabilises, tu fais rêver, t’es médiatique, et il y a là de la productivité et du professionnalisme et pas de notion de « course ».
Bonatti disait (Seb a certainement lu Bonatti puisqu’il me conseille avec modestie d’autres lectures que je ne manquerai pas d’aller explorer) qu’un projet démarre au moment où on l’imagine et que c’est là qu’il se joue… Sa réalisation physique et matérielle n’est pas le plus important et qu’il faut, une fois qu’il est imaginé, en profiter au maximum et le vivre intensément. Je pense qu’il y a encore énormément de choses à imaginer, surtout par ces prodiges de la montagne qui peuvent le faire mieux que quiconque, afin de redonner à ces sommets un élan d’impossible ! Mais, svp, pas les mêmes choses avec juste un chrono à la main… !
joall, il y a un monde entre dire qu’une perf ne t’émeut pas - ce qui est évidemment ton droit - et prétendre que ces athlètes n’ont rien compris à la montagne, ce qui sous-entendrait qu’il y a une bonne et une mauvaise vision de la pratique de la montagne.
Vive la diversité
ce qui est quand même assez éloigné de « prétendre » quelque chose
seulement voilà, sur c2c les formulations excessives sont à réserver aux loups, aux écolos et aux cathos quand tu veux émettre des réserves sur les idoles locales, faut être infiniment plus précautionneux parce les c2cistes n’ont pas plus de recul sur les choses que la moyenne des imbéciles sur terre… voilà voilà
Quand on émet une opinion, il est tout à fait légitime que d’autres puissent émettre une opinion contraire. C’est ce qu’on peut faire sur C2C (et en général en démocratie). Je ne vois pas où est le problème.
Quant aux histoires de records et tout ça, du moment que ça ne gêne personne et qu’on redescend ses poubelles… chacun fait bien ce qu’il veut.
Parce qu’on en a la capacité.
L’évolution de l’alpinisme, ç’a toujours été ça, en fait:
Un pic inaccessible
La plus difficile course des Alpes
Une course facile pour dames (copyright Mummery)
Donc refaire les mêmes choses mais plus vite, ça existe depuis toujours. Des Drus en un jour depuis Chamonix (Brulle en 1885) aux 2H30 (28, 27, 25…) d’Ueli Steck à l’Eigerwand, en passant par l’obsession de la vitesse chez Lachenal ou la face ouest des Drus de Profit en 3H, c’est une évolution classique. Les enchaînements d’escalades extrêmement difficiles, les 3 faces nord, etc, etc… n’en sont que la suite logique.
Et il faudrait être de mauvaise foi pour nier que justement ça fait partie de l’évolution de l’alpinisme vers un niveau toujours plus difficile. Voire impensable 30 ans auparavant.
Le même discours était peu ou prou tenu quand le dry-tooling est apparu, sur le côté artificiel de la chose (on voyait des reportages sur des anglais excentriques (les anglais sont par nature excentriques mais néanmoins souvent à la pointe de l’innovation en alpinisme…) ancrant leurs piolets improbables dans les falaises crayeuses de Douvres), et le parallèle fait avec l’escalade de difficulté sur structure artificielle.
Sauf que le dry-tooling, en s’implantant vraiment en haute-montagne, a fait considérablement progresser le niveau en mixte (de la même manière que l’escalade sur pans ou bloc ou falaise a fait considérablement progresser le niveau appliqué ensuite en haute-montagne puis en Himalaya), et permis ainsi des ascensions « impossibles », notamment en Himalaya, Andes ou Alaska, ou des solos spectaculaires, très engagés mais avec quand même une certaine marge technique, là où auparavant, c’était un peu « à la vie à la mort » (Tomaz Humar au Dhaulaghiri, Beghin au Makalu, les ascensions de Cesen (réelles ou inventées), etc…).
Ce qui me paraît plus contestable, c’est la logique « médiatique » de prise de risque.
Je fais mais je n’existe que si je suis filmé, et montré.
La médiatisation pousse ontologiquement à faire plus, puisque ce n’est plus la difficulté elle-même qui devient critère, mais le risque pris à surmonter la difficulté; on « sort » de soi, ce n’est plus le plaisir personnel, intérieur, qui compte, mais l’image-même de l’adrénaline qui en résulte, soit le résultat. C’est le comble du grimpeur cycliste: descendre de sa machine pour se regarder pédaler… (le dopage produit d’ailleurs cette impression, avec des descriptions de « se regarder » dans l’effort, comme d’ailleurs dans des récits d’himalayistes -Robert Schauer au GIV en 85-).
Bon, on est loin de François D’Haene, qui dans sa traversée du GR20 ne prend le risque que de « rater » son record. Il ne conserve que la nécessité de médiatiser son record (les vidéos qui en peuvent être vues sont sponsorisées par ? gagné: Red Bull…) parce que s’il ne le faisait pas (outre le fait de ne pas pouvoir se faire payer tous les frais engagés par lui et l’équipe qui l’a accompagné-entouré), sa traversée n’« existerait » pas (comme disent souvent les joueurs de rugby dans leur sport: « On a pas existé » (traduction: « On s’en est pris 60 »…)).
Et crois tu que ça se passe différement quand un trailer se lance dans un record de ce genre? En profiter au maximum ne signifie pas forcément y passer un max de temps, quand à l’intensité…
Quant au fait que le dry tooling qui a fait progresser le niveau en montagne, je suis d’accord. Après Ueli Steck qui a énormément impliqué le trail dans son entrainement, j’aimerai bien entendre quelqu’un dire qu’il n’a rien apporté au niveau en montagne (ne serait ce que dans la manière d’envisager les grandes faces…)
Bien sûr que si !
C’était la course à la première hivernale !
Pourquoi tant d’équipes avaient ce projet, certaines après avoir buté plusieurs fois les années précédentes ?
Seb bien sûr que les trailers, alpinistes, explorateurs font la même démarche dans leur tête à la base, c’est indéniable : imaginer un projet aussi fou soit-il, une Aventure ! Mais si la vitesse est la composante majeure de ce projet, c’est-à-dire juste battre le précédent record et donc refaire quelque chose déjà fait mais plus vite, je trouve qu’on n’est plus vraiment dans l’Aventure, qu’on banalise le projet et donc le support (sommet mytique, GR mythique…) et qu’on ne donne pas le meilleur exemple notamment médiatiquement avec au final cette notion tout à fait vraie qu’aborde néthou du simple résultat quantitatif au détriment de tout le reste. Il n’y a pas vraiment d’inconnu, de surprise ! "Les ingrédients mêmes de l’Aventure sont la surprise et l’inconnu (encore Wlater ^^- Montagnes d’une vie). Il y a tellement d’autres façons d’aborder un projet, et si j’ai dit que je trouvais finalement que ces mecs-là n’avaient rien compris (bien sûr c’est rhétorique ils ont apporté beaucoup par ailleurs) c’est que je trouve dommage qu’ils fassent à présent de la vitesse leur spécialité… et ne parlent que de ça. Son solo en face sud de l’Annapurna m’a fait rêver en termes d’entreprise ! mais finalement quand tu lis les articles, beaucoup pour ne pas dire tous mettent en avant la vitesse de l’ascension (30h AR) et pas l’ascension en elle même en tant que véritable Aventure !
C’est sûr… c’est bien la réalité et c’est justement dommage à mon sens que la difficulté ne s’oriente pas vers d’autres techniques ou d’autres approches que la simple vitesse dans les mêmes faces ou GR ! En fait c’est une question de perception d’un projet : je trouve que de tenter les 3 faces nords mythiques des Alpes à la suite c’est top ! Profit n’a pas mis en avant la vitesse de son ascension mais plutôt le côté solo en face ouest des Drues… respect total. Mais de le faire en 1 jour ou en moins de X heures et d’en faire l’objectif numero 1… je trouve ça peu intelligent. Ok, le record de vitesse du GR 20 ou du Mont-Banc existe mais voilà, ils ne sont pas « beaux » à mes yeux.
Très intéressant ton exemple sur le dry et bien tu vois, je ne suis pas du tout critique là dessus car effectivement je trouve que c’est « autre chose », que ça fait évoluer la technique. Il n’y a pas de notion de vitesse là dedans mais quelque chose d’imaginatif et d’intelligent.
[quote=« Bubu, id: 1839267, post:52, topic:165919 »]Bien sûr que si !
C’était la course à la première hivernale ![/quote]
Non, ceux qui ont tenté cet hivernale l’ont tenté pour être les premiers à réaliser ce projet ! Pas de notion de record de vitesse et de chrono ici ! Ils ne se sont pas dits : il faut qu’on le fasse le plus vite possible ! Non, ils se sont dits : ils faut qu’on le fasse. Il y a une différence entre le faire le premier (c’est à dire simplement y parvenir) et le faire le plus vite possible (ici peu importe qu’on soit le premier ! d’ailleurs on ne le sera pas puisqu’il faut battre celui qui l’a fait avant !)
Qu’on veuille gravir le K2 en hiver c’est génial ! Mais une fois qu’il sera fait par une voie, de vouloir le refaire par la même voie en 13 minutes de moins c’est quoi l’intérêt ? Il faudra plutôt essayer par une autre voie ou en style alpin par exemple !
Pour le coté vitesse de Steck dans l’Annapurna il faut quand même pas oublier que la vitesse était la composante clé rendant possible la réalisation: chopper les conditions là où elles étaient.
Pour l’opposition que tu met entre les premières et les records (au passage Profit et consorts qui enchainent les 3 faces nord ans la journée ils mettent pas en avant la vitesse peut etre?), il faudrait à ce moment là dénigrer aussi les répétitions de voies.
Ca me choque pas que l’on aime pas la notion de vitesse, ce qui m’embête dans ce genre de critiques c’est vraiment le dénigrement de la virtuosité. Parce que pour moi c’est bien de ça qu’il s’agit: développer sa virtuosité au maximum pour exécuter de la façon la plus parfaite une partition. Et soit dit en passant, d’Haenne il l’avait pas forcément fait le GR20. Il allait pas rester chez lui sous prétexte que ses potes étaient passé avant.
Les 3 face Nord en enchaînement très bien je trouve ça énorme ! Mais pourquoi dans la journée, là je trouve ça déjà moins énorme? L’enchaînement n’implique pas forcément le record de vitesse. Comme la répétition de voie n’implique pas le record de vitesse ? Répéter une voie c’est cool, pourquoi le dénigrer ?! On le fait tous ! Mais pas pour battre le temps du précédent ! Encore une fois Seb c’est uniquement la notion de vitesse pure dans les projets qui me gêne dans l’approche. Et je sais très bien que la vitesse est une notion de sécu en montagne sur certains aspects, bien évidemment, mais ce n’est pas de celle là dont on parle quand on parle de record.
Si la virtuosité se réduit à la vitesse d’exécution, alors oui je la dénigre bien volontiers que se soit Steck, Jornet ou autres illustres inconnus. Pour parfaire une partition, Mozart n’a jamais tenté de la jouer le plus vite possible,mais peut-être en y ajoutant un autre instrument, une tierce, ou en modifiant certains passage.
Enfin, tu m’as compris, et le Professeur Tournesol aussi.
Le fait est que les adeptes de la vitesse mettent en avant la notion de sécurité (il me semble que c’est dans les Carnets du vertige de Lachenal qu’il est fait mention de « détracteurs » de certaines de ses courses hyper-rapides pour l’époque, et où il répond qu’en allant plus vite, il se donne une marge de manoeuvre de sécurité.
Ça me semble aussi être le cas pour l’alpinisme actuel de haute difficulté: pouvoir faire la même chose mais beaucoup plus vite te donne une certaine « marge » technique qui peut être utile ailleurs ou à d’autres moments.
Pour ce qui est de l’Himalayisme, c’est encore autre chose: quand il y a un fort engagement, pouvoir aller très vite (enfin, c’est relatif…) en altitude dans un terrain mixte technique devient une nécessité presque vitale pour utiliser les créneaux météo que le routeur aura signalé (puisque maintenant avec le progrès technique, toute expé avec un gros objectif a un routeur météo associé).