Posté en tant qu’invité par Kodiak:
Allez, à mon tour.
Cette histoire a lieu à la sympathique falaise de Châteauneuf-de-Chabre.
J’étais venu passer quelques jours dans le lieu, histoire de goûter à des horizons nouveaux…et de ramener quelques croix si les conditions voulaient bien s’y prêter.
Une chouette falaise, pas immense mais bien assez grande pour y grimper pendant plusieurs jours sans répéter les mêmes voies en continu. Du beau rocher de toutes les couleurs, quelques colonnes…chouette, quoi.
J’étais ce jour accompagné de deux amis qui n’avaient non plus jamais mis les pieds à la falaise : nous étions donc en pleine découverte d’un territoire inconnu.
Nous avions heureusement pu nous procurer le topo local par l’intermédiaire d’un des équipeurs du site (salut paulo), et ainsi équipés nous étions parés à grimper jusqu’à la limite de nos forces.
Après une agréable marche d’approche et une micro via-ferrata pour se mettre dans l’ambiance, nous voilà au pied de la falaise : « Ooooh, c’est beau ! » Et c’est vrai que quand on a l’habitude des sites-écoles entièrement constitués de dalles grisâtres aussi monotones qu’un mur de béton, ça dépayse !
Une des premières voies que nous situons sur le topo, c’est un alléchant 6a+ avec une petite colonne beige au milieu : « c’est bon, celle-là passe à la casserole ! » nous disons-nous.
Mais, raisonnables que nous sommes, nous décidons de nous échauffer dans un 5c avant : on n’est jamais trop prudents !
Un bref regard au topo : facile, la voie immédiatement à droite du 6a+ est justement un 5sup. C’est parti !
J’attaque bille en tête, 5sup, ça va aller tout seul.
Bon, le début n’est pas facile facile. Si c’est comme ça tout le long, on va atteindre le 6a sans problème.
Après la peu commode dalle grise de départ, une zone plus aisée me rassure. Bon, ça va, mettons que c’est le début qui vaut 5c.
Je suis à peu près à la moitié de la voie, et au-dessus de moi se trouvent, dans l’ordre : une zone de rocher noir qui vue d’ici a l’air bien lisse, mais bon, c’est 5sup, suivie d’un petit surplomb, mais bon, y’aura des bacs, c’est 5sup, et enfin d’une courte partie verticale après la sortie du surplomb.
Allez, c’est reparti. J’attaque le morceau de rocher noir : c’est pas facile ! Pas de prises de pied, les mains plus ou moins sur des pinces plates glissantes…la galère, quoi.
Puis je débouche, à la base du surplomb, sur de bonnes prises qui me permettent de me reposer un peu.
Ouf ! Et ben tu parles d’un 5c ! Dur dur !
Bon, plus que ce surplomb à passer, le réta, et c’est gagné.
…seulement voilà, ça bloque.
Une vacherie d’inversée impossible à tenir. Mais alors, vraiment.
Je ne sais comment, mais ça finit par passer.
Ma main gauche tient maintenant un bon trou et la droite est un peu à la ramasse mais ça va, je suis calé.
La suite, maintenant.
Je bloque bien haut de la main gauche, je monte les pieds sur de petites croûtes et, le tout en stat’, j’envoie ma main droite à la recherche du bac salvateur à la sortie du surplomb.
Ma main droite cherche. Ma main droite ne trouve pas.
Mes yeux cherchent. Mes yeux ne trouvent pas.
C’est pas que, mais fermer le bras ça fatiguerait presque au bout d’un moment.
Je redescends un poil histoire de me refaire un peu, tout en continuant à chercher la prise (forcément bonne, c’est 5sup bon sang !) qui va me permettre d’enchaîner ce foutu 5c d’échauff qui commence à me gonfler !
Zou, je repars.
Je bloque.
Je monte les pieds.
Et…toujours rien.
En désespoir de cause je finis par arquer une réglette dont je ne doute pas un instant de mon incapacité à la tenir, et…miracle, ça tient ! Allez, vite, une bonne prise !
M…
Pas de bonne prise.
Juste une autre simili-prise à peine tenable.
En envoyant la main gauche, je sais déjà que dans quelques secondes…
« SEC ! »
Viouffff…Pouf !
Pas de bobo grâce au dévers, mais bien les nerfs : « Mais merde, qu’est-ce que c’est que ce 5sup ? », « Argh ! », « Grr ! », etc…
Après un peu de repos, je repars, pas question de laisser un maillon dans un 5c ! Je me fais tirer jusqu’au niveau du passage-clé, je monte, je bloque la réglette main droite, j’attrape la croûte main gauche…
Bon, pas deux fois de suite !
Dopé par les encouragements de mes compagnons de déroute (aussi décomposés que moi par mon échec qui n’augure rien de bon quant à la suite du séjour), je force, je serre, et…cette fois ça passe ! Quelques mouvements après, je suis au niveau du relais.
Vite vite, « mou ! », je passe la corde, « Prends ! », ouf, ça y est…
Mon assureur me descend.
Une fois en bas, une seule phrase : « c’est dur ».
Assez convaincus par le plomb que je me suis mis et les litres de sueur que j’ai perdus durant l’ascension, mes deux camarades décident d’essayer la voie en moulinette. Résultat : ça ne passe pas.
Tout le monde descend, on tire la corde, et on se regarde.
Merde.
5c…
Pourtant on en a connu des voies sous-côtées, des 5b qui mériteraient leur 6a, voire des 3 qui seraient côtées 5 partout ailleurs…
Mais là, on bat tous les records. Si c’est comme ça partout, c’est cuit pour la moisson de voies.
Une grosse vague de découragement s’abat sur notre trio, qui décide d’aller se caler à l’ombre un peu plus bas pour ruminer des idées noires.
…finalement, l’ami paulo arrive à la falaise et nous trouve tous trois abattus et superbement inactifs.
« Que se passe-t-il donc, amis ? » nous hèle-t-il.
« Beuh, c’est le 5c, là, il nous a mis une rouste. »
« Le 5c ? Quel 5c ? »
« Là, à droite de la voie avec la colonnette beige. Dans le surplomb. »
« Attends, tu parles de cette voie-là, avec une inversée, et un gros trou au milieu du dévers ? »
« Ben oui. »
« Mais c’est pas 5c, ça, c’est…7a+/b ! »
« Hein ? Mais dans le topo y’a marqué 5sup ! »
« Fais voir…ah oui, en effet, ils se sont plantés, faudra le leur signaler. Ils ont inversé les cotations avec la voie d’à côté. »
« … »
« … »
« … »
(ben oui, on était trois)
Ah ben d’accord. 7a+/b.
Et dire qu’avant ce jour aucun de nous n’osait se lancer dans le 6b+ !
Du coup, une fois remis de nos émotions, on a pu constater l’effet positif de cet échec. Après avoir relativisé ce dernier et l’avoir transformé en victoire (mince, je ne suis pas passé tellement loin de l’enchaînement !), on a osé se confronter à des voies plus dures qu’habituellement. Résultat des courses, l’enchaînement de mon premier 6b+ à vue et, le lendemain, de mon premier 6c à vue !
Malgré la frayeur que je me suis faite à l’occasion de mon plomb et le sale moment qu’on a passé tous les trois à déprimer sur nos capacités (« pfff, incapables de sortir un 5c à nous trois, quelle bande de nuls… »), ou peut-être grâce à ça, cette ascension m’est restée en mémoire comme la plus mémorable parmi toutes celles que j’ai effectuées.
Et un de ces quatre, il faudra bien que je retourne dans cette voie et que je l’enchaîne !
Reste à espérer que la barrière psychologique ne sera pas insurmontable…
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