Posté en tant qu’invité par PASCAL:
Petit clin d’œil au Pierre, la veille de lui dire « au revoir, rendez-vous dans un autre monde » avec sa famille et ses amis…
Cette histoire, Pierre, je crois que je te l’avais mailé, je la donne aujourd’hui à tous.
C’était en 1995 ou 1996, au Verdon, plusieurs héraultais avaient débarqué là pour grimper.
On s’était déniché un coin sympa pour se poser le soir venu et prendre des forces pour le lendemain. Nicolas et Daniel dormaient ensemble dans la CX break de Nicolas, je dormais dans l’express de Fabrice avec… Fabrice.
4 étoiles ? Les seules étoiles sont dans le ciel, et encore, elles tendent à disparaître, mangées par de méchants nuages. En fait de prendre des forces, la nuit est très agitée : eau rage, eau désespoir, le bruit de la pluie sur la carrosserie achèvent de ruiner mon rythme de sommeil, mais, plus encore, les cris de Nicolas et Daniel, trempés, finissent de me réveiller définitivement ; leurs pieds dépassant, ils avaient laissé le coffre ouvert !
Le lendemain matin, le réveil est très difficile pour tous, j’ai bien du mal à tenir sur mes jambes. Après un petit déjeuner où nous comatons tous, direction le belvédère ….
A notre arrivée, on ne peut manquer un camion aménagé, son propriétaire est seul, il semble regarder le paysage, très absorbé par sa contemplation. On n’ose le déranger, on commence à se répartir le matériel. Tous occupés à cela, nous remarquons à peine qu’il entre dans son camion. Je suis le seul à m’apercevoir qu’une fois ressortit, il porte un accoutrement et un baudrier plutôt inhabituels. Un signe à Fabrice, celui-ci prévient discrètement les autres. Nous nous arrêtons tous et commençons à nous rapprocher du gars, d’autant que celui-ci vient de se mettre debout sur le muret qui surplombe le vide ! « Bonjour, ça vous dérange pas si on regarde ? » demande l’un d’entre nous. « Pas de problème » nous répond-il.
Chacun se tait pour laisser notre homme se concentrer. « Bon, j’y vais ? » nous lance-t-il ; nos réponses sont un peu confuses mais il ressort un « c’est comme tu veux, gars !». « OK, c’est partit ! ». Dans la fraction de seconde qui suit, une légère flexion des jambes et le voilà qui se jette dans le vide, les mouvements comme dans un film au ralentit. Les gestes sont sûrs, maîtrisés. Quelques uns lâchent un « Oh putain ! » un peu étranglé par l’angoisse. Et, les yeux écarquillés, le rythme cardiaque s’accélérant, nous suivons tous ce corps qui n’en finit pas de tomber au fond des gorges ! « Mais jamais il ouvre ? ! » se demande l’un de nous ; les secondes paraissent des minutes, on a tous l’impression que ça fait trop longtemps qu’il tombe, le soleil qui écrase la perspective renforçant l’impression qu’il va finir dans le Verdon. La tension est trop forte et l’un de nous ne peut contenir un cri libérateur. Comme si notre homme volant nous avait entendu, on voit sa main droite se rabattre vers sa hanche et chercher la poignée libératrice. Après un ou deux tâtonnements, il l’attrape et tire, le parachute est libéré ! Un virage et il disparaît de notre vue derrière un surplomb.
Nous restons tous quelques instants le regard bloqué sur ce morceau de caillou derrière lequel la voile s’est volatilisée. Puis, les commentaires commencent : on est tous impressionnés, sous le coup de l’émotion, on a tous cru que sa chute avait duré une éternité. Et c’est partit pour la discussion sur les dangers de cette pratique, la prise de risque, la technique prépondérante pour limiter les variables aléatoires, a-t-il ouvert au dernier moment, quand sait-il qu’il doit ouvrir…
On met un bon moment à se replonger dans les préparatifs du matériel. Prêts pour descendre en rappel, on entend une voix nous demander « Oh putain ! Qu’est-ce que vous foutez là ? ! ». Nous nous retournons et nous voyons Domi, un Héraultais qui avait eu la même envie que nous de grimper au Verdon et qui sort d’une voie sous le belvédère (laquelle ?). On lui demande tout de suite s’il a vu passer notre homme volant. « Arrête ! Le boucan qu’il a fait ! J’étais en train de grimper quand j’ai entendu un bruit tellement monstrueux que j’ai cru que la falaise toute entière me tombait sur la gueule ! La peur de ma vie ! Je me suis vu mourir ! Puis j’ai aperçu un corps qui tombait. » Il était dans un état émotionnel tel qu’il a pensé à un suicidé, un touriste qui aurait perdu l’équilibre, un accident d’escalade.
Je vais garder cette image de cet homme qui tombe toute la journée.
Est-ce une explication à ma piètre performance grimpesque ce jour là ? Ca m’arrange de le croire…