Posté en tant qu’invité par Idée:
Je me rappelle, un matin dans une célèbre falaise du sud, longue de deux kilomètres et encore vide de toute cordée, un groupe d’environ huit personnes souhaitant exactement grimper dans les voies où nous venions d’arriver une vingtaine de minutes auparavant. L’air très dépité, ils s’éloignèrent finalement d’une trentaine de mètres, s’équipèrent, se lancèrent dans les voies et commencèrent à bloquer aux troisièmes points.
Rapidement, l’une des personnes de ce groupe, une fille à la voix irritante comme une crécelle, vint se renseigner sur les voies. Je me dévouai avec plaisir. Elle ne reconnaissait pas, sur le topo récent, les lignes où ses camarades grimpaient. Nos voies lui semblaient plus faciles. Je lui confirmais que le dièdre incliné où grimpait l’une de ses amies était bien un 4c et que l’autre grimpeur, pendu dans son baudrier, était bien dans un 6a, beaucoup plus raide d’ailleurs. Elle m’objecta qu’il devait y avoir un 5c entre ces deux voies, mais que cela n’était pas « normal », parce que le schéma ne correspondait pas exactement et qu’elle ne voyait pas où était situé le premier point. Et puis elle me demanda à nouveau si c’était bien un 6a où est le type était suspendu. Je regardais. Effectivement entre le 4c et le 6a, il y avait bien une voie pas trop raide … avec un spit à 5m dans un départ qui devait donner dans le 4. Chacun son niveau d’autonomie, mais subitement je me dis que cela n’allait pas être une partie de plaisir. Leurs voies en avaient encore pour deux heures à être à l’ombre tandis que celles où nous étions commençaient déjà à être en plein soleil. Elle se plaignit alors que leurs voies étaient vraiment mal équipées, que le premier point était trop haut et que dès que nous en aurions fini elle trouverait sympa que nous leur laissions le terrain. En somme, donc, quelqu’un qui n’hésitait pas à répéter lourdement ses messages…
Mais nous étions neuf à grimper sur cinq voies malheureusement chacune distantes de deux à trois mètres, avec parfois des relais communs, et ce dans le 5c/6a. Je lui répondis diplomatiquement qu’ils auraient bien le temps, un peu plus tard, de venir faire ces voies et que nous les libérerions dès que possible. Ces gens, ou du moins cette fille, étaient visiblement peu débrouillés et assez stressés, sinon stressant. Peut-être avaient-ils besoin qu’on leur prenne la main et de se sentir rassurés de voir des gens grimper à côté d’eux ? Il y avait plusieurs voies dans le 4/5, juste à gauche des voies que nous faisions. Ils auraient du les remarquer sur le topo. Je me gardais de les renseigner sur ce point, trouvant la situation de plus en plus pénible.
Le temps passa. Les cris de type « sec prend-moi sec » de la fille à la voix de crécelle commencèrent. A tour de rôle, « ils » venaient voir si nous n’en avions pas fini là où nous étions. Plusieurs fois, mes amis leurs indiquèrent, diplomatiquement, l’existence d’autres secteurs, ailleurs dans la falaise, un peu ou même beaucoup plus loin, et même parfois tout proches, par exemple juste là, à droite, derrière ce pilier. Intérieurement je me disais que nous étions un peu égoïstes, mais que des voies dans ce niveau il y en avait tellement d’autres dans cette immense falaise par chance encore totalement déserte en cette fin de matinée qu’à leur place, je serais déjà allé les grimper en nous foutant la paix, à nous autres. Après tout, ce n’était pas comme s’il n’y avait eu que deux ou trois lignes entre le 4 et 5 … Un peu comme si vous déjeuniez sur l’herbe dans une prairie ou un alpage et qu’un groupe arrivait, se posait juste à 5m de vous et vous demandait de vous déplacer parce que là où vous êtes, pile à 5 m, c’est forcément beaucoup plus sympa.
Non, décidément, je commençais à les trouver manquer réellement de sens psychologique. Ils pouvaient comprendre qu’à tord ou à raison nous ne souhaitions pas bouger pour le moment, et en tirer les conséquences sans trop insister. Mais non, ils se faisaient de plus en plus pressant, semblant ne vraiment pas saisir la situation. Et les piaillement de l’autre stressée qui continuaient…
Et puis à un moment, à peine l’un de mes amis avait-il ravalé la corde pour se lancer dans un petit 6a, entre deux lignes que des amies gravissaient qu’une cordée de leur groupe arriva pour se lancer dans la même voie. S’en était trop. L’ami a froidement explosé. Il les envoya paître avec fermeté et sans plus aucune ambiguïté. Et bien pensez-vous que cette artillerie lourde suffît à se faire entendre ? Et bien non ! Les leçons de morale ont commencé, avec des « On ne vous a donc jamais appris que la montagne ça se partage ? » et des plaintifs « Je ne comprends vraiment pas pourquoi vous monopolisez les voies ! », bref, sottement et imbécilement de pire en pire, car après tout, si nous avions vraiment été les indécrottables salauds qu’ils croyaient, pourquoi cherchaient-ils alors encore à nous convaincre ?
A quelques mètres du sol, dans un beau calcaire bien sculpté, je me rappelais les belles draperies du nouveau monde …