Posté en tant qu’invité par Romain:
[camptocamp : je me permet de préciser que ce texte est extrait d’un article écrit par Bernard Amy et paru dans Vertical en Avril 2000]
[quote=Bernard Amy]Le même mot, escalade, qui désigne une technique - l’usage des pieds et des mains pour s’élever sur une paroi plus ou moins raide - est utilisé dans différentes disciplines sportives parfois très différentes. Cette équivoque ne serait pas gênante - la plupart du temps, on sait de quoi on parle - si elle n’était pas utiliser par certains grimpeurs pour s’approprier le domaine de la verticalité et vouloir niveler l’ensemble des pratiques à leur seul profit.
A la base de ce comportement, on trouve des certitudes bien ancrées, telle que « l’escalade, c’est nous », qui ne peuvent conduire qu’à des impasses. Elles permettent certes d’indéniables perfectionnements techniques, mais elles laissent bien des grimpeurs en marge des grands courants de l’innovation alpine. Le cas est aujourd’hui flagrant en France dans le domaine de l’équipement des voies et du développement exclusif d’une forme très particulière de l’escalade sportive.
MASSACRE AMORCE
Les signes ne manquent pourtant pas devraient montrer à tous que cela pose un réel problème. Citons par exemple :
- Michel Piola, la référence certaine en matière d’éthique de l’équipement, s’inquiétant (voir alpirando 2000) de « la perte du respect des lignes existantes, soit le massacre programmé des lignes classiques dans les Alpes (sécurisation en spits de voies ouvertes de façon naturelle) ».
- Catherine Destivelle, déclarant dans un débat public (Fontaine en Montagne 1999) : « Quand on va dans les Dolomites (ça c’est pour Christophe !) après avoir pratiqué l’escalade sportive moderne, on s’aperçoit que l’on ne sait plus grimper ».
- Des grimpeurs supposés multidisciplinaires – ils ont le diplôme de guide – maîtrisant si peu les techniques modernes d’assurage qu’ils en arrivent à écrire dans un projet de rééquipement des voies d’alpinisme du massif du Mercantour : « Sur une longueur ou la progression peut s’effectuer uniquement sur friends ou coinceurs, quelques points pourront être néanmoins être fixés pour la sécuriser » . Quand on sait que certains grimpeurs étrangers sécurisent les pitons en place avec leurs coinceurs, cette phrase est ahurissante.
- Un magazine de montagne sérieux mettant en couverture une photo permettant de croire qu’il est normal de se lancer dans de grandes voies au fin fond du Mali avec le seul équipement utilisé dans les moulinettes aseptisées de nos falaises proches (Vertical n°119, Juin 99)
- Deux vieux de la vieille de l’escalade, grands grimpeurs devant l’éternel au temps ou l’on ne se demandait pas s’il s’agissait d’aventure au retour de la voie classique de la face ouest du Naranjo de Bulnes dans les Picos de Europa, vitupérant contre les grimpeurs Espagnols, coupable à leurs yeux de n’avoir pas équipé la voie à « la moderne ».
- Et pour donner une idée du climat socioculturel qui préside aujourd’hui en France aux destinées de l’Aventure, de doctes professionnels du sport discutant sur le thème : « Peut-on pratiquer des sports extrême sans risque ? » (Sic ! France-inter 2002)
De tels signes auraient du être pris en compte, d’abords au plus haut niveau, celui des grimpeurs de poinite et des institutions. Mais comment se remettre en question quand on est persuadé d’avoir raison aux yeux du mone entier ? il y a 3 ans, un responsable de la FFME commençait le compte-rendu d’un colloque national par ces mots : « Il revenait à la France, leader et pionnière incontestée de l’équipement des falaises dans le monde, d’organiser… » Il parut surpris de s’entendre dire que cette phrase était discutable. Mais il accepta de la supprimer pour en parler plus tard. Les années ont passé sans que nous ayons eu l’occasion de le faire. La France est leader. Soit ! mais de quoi ? du meilleur ou du pire ? elle serait incontestée ! Est-ce vraiment le cas ?
LA GUERRE DU FER
Se croire incontesté, et donc incontestable, est sans doute une attitude typiquement Française qui a conduit notre alpinisme dans des impasses tout au long de l’histoire de la conquête des montagnes. Aujourd’hui, il suffit de sortir de l’hexagone pour découvrir que notre escalade n’est pas si incontestée que nous voulons le croire. Le voyage peut commencer dans les Dolomites (encore pour Christophe) ou les grimpeurs Italiens savent ce que valent les spécialistes de l’escalade aseptisée. On peut continuer ensuite par les Picos de Europa, en Espagne, ou les locaux parlent de « l’escalade à la Française » avec une pointe de mépris qui cadre mal avec le discours dominant en France. Et quand on leur demande d’être plus précis, ils renvoient au chapitre « Cueto Agero » du topo actuel de la Cordillera Cantabrica de Miguel Angel Adrados : « Pour grimper sur le Agero, il faut employer à fond les coinceurs, les friends, et s’inventer une « escalade propre » un peu oubliée nous au moment ou s’imposent les critères Français du « avec les dégaines seulement ». [Sur le Agero] le style est plus proche du style anglo-saxon… Qui fait de l’escalade une activité beaucoup plus créative et complète ». Ceci pousse à poursuivre le voyage du côté de nos amis anglo-saxons dont le style imprègne justement tout le nouveau n° de Ascent, à travers des récits d’aventures alpines qui montrent, des falaises proches aux plus lointains Big Walls, un souci constant de s’inventer des entreprises qui laissent intacte la part du rêve.
Le grimpeur et alpiniste John Awbank, dans un article intitulé Ironmongers of the dreamtime (Les ferrailleurs du temps du rêve), résume très bien ce que Miguel Adrados appelle le point de vue Anglo-saxon : Suivre le modèle moderne Français et Espagnol de la Spitomanie en gros (Wholesale bolt mania), et particulièrement du rééquipement (retrobolting), est un désastre. Quand les falaises auront été transformées en véritables décharges à goujons, les grimpeurs les grimpeurs s’en trouveront immensément appauvris. J’ai visité de telles falaises en France, et ma réaction a été celle d’une profonde tristesse… (le nombre de falaise est limité), on n’en fait plus ! Et une fois qu’elles auront toutes été spitées à mort, quand il n’y aura plus d’endroits sauvages, dans tous les sens du terme, nous nous seront privés de la possibilité d’entrer dans un paysage qui nous permette de rêver ».
Peut être le pessimisme de nos amis espagnols et anglo-saxon est-il excessif. On peut penser que le besoin d’aventure sera toujours le plus fort. En France même, de jeunes grimpeurs « avec leur pieds » la France incontestable, et partent, loin des McDo de la grimpe, vivre de vraies aventures dans des Hindu Raj Himalayens. C’est d’eux sans doute que viendra le salut, puisque ni les « dealers perforateurs et leurs intermédiaires, ni leurs consommateurs dépendants » - tout un circuit économique de dépendances réciproques est en train de se mettre en place – ne peuvent aujourd’hui remettre en question l’ensemble du système. Puissent simplement ces jeunes grimpeurs se faire entendre avant qu’il ne soit trop tard, avant que les ferrailleurs aient totalement envahit les espaces de nos rêves ![/quote]