L’argument de l’éthique écossaise est un miroir aux alouettes : l’escalade et la montagne ont toujours été des activités marginales et élitistes en Angleterre, contrairement en France, et leurs cultures sont radicalement différentes. Ils n’ont pas de problèmes de surfréquentation, qui plus est ils ont souvent pratiqué en dehors de chez eux.
L’empreinte culturelle montagnarde en France est très forte depuis les années 50. Les Herzog, Terray, Lachenal, Rebuffat, ont marqué au fer rouge la culture française avec l’Annapurna. Et ce n’était pas un hasard : le pays se relevait à peine, et devait laver son honneur après l’humiliation de la seconde guerre mondiale : ce fut par conséquent surmédiatisé. Combien de Montagnards doivent leur carrière au fait d’avoir rêvé de suivre leurs traces ?
Cette empreinte culturelle est restée forte par la suite, avec les affaires du Freney, Vincendon et Henri, Paris Match et Bonatti ou Desmaison, entre autres… la position même de Chamonix en France, le fait que ce n’était pas un activité bourgeoise mais plutôt populaire, tout cela a renforcé l’accessibilité et indirectement l’attrait des français pour la montagne et créer un public beaucoup moins élitiste.
Et alors que la pratique du libre en alpinisme était déjà forte dans la culture française, le virage vers l’escalade sportive s’est amorcé très tôt avec les Droyer, Guyomar, et bien d’autres… et enfin, il y a eu Jansen et Edlinger, leurs films marquants, qui ont créé un autre schisme dans les pratiques, les vocations, une énième vague de pratiquants et un essor colossal de l’escalade, en particulier de l’escalade sportive.
C’est une histoire très différente que celle de l’Angleterre, ce qui fait qu’aujourd’hui par exemple, au pays de l’escalade sportive et du Mont Blanc, il y a plus de pratiquants d’alpinisme et d’escalade en extérieur que … En intérieur au Royaume-Uni. Et le rapport entre le nombre de pratiquants outdoor en France et en Angleterre est d’environ 10 pour 1, sans parler du tourisme.
Donc comparer les deux pays sur leur culture, en particulier sur les pratiques et leur cohabitation me semble au mieux maladroit, ou au pire malhonnête. Au même titre que les comparaisons entre la capitale de l’alpinisme et… Du Ben Nevis.
Et puis parlons en du Ben Nevis : le climat n’y est pas du tout le même et n’est pas propice à l’escalade rocheuse. Là bas on grimpe avant tout en hivernal, en mixte, en glace, en neige… en rocher certes, mais en conditions hivernales. La latitude et la proximité de l’Atlantique impliquent un climat plus propice à ce type d’escalade, c’est ce qui fait aussi la particularité et l’intérêt du lieu. N’essaie pas de nous faire croire que l’intérêt du Ben Nevis réside dans ses escalades rocheuses en été, quand bien même c’est possible et certains le font, c’est un site hivernal. Et c’est aussi historique puisqu’il a toujours été avant tout un site d’entraînement pour les alpinistes. Lors de sa genèse, sa vocation était plutôt de préparer et de s’entraîner aux grandes courses alpines : c’est d’ailleurs à cet effet qu’un refuge y fût construit par le SMC en 1929.
Si tu veux nous parler de cohabitation et d’éthique au Royaume-Uni fais-le de manière globale : parles nous de l’escalade en crampons au Peak District. On va rire. Et si on veut vraiment parler de cohabitation des pratiques parlons aussi de poser des spits à ce même Peak District, qui plus est si cela croise des voies en trad déjà-existantes, tout ceci au nom du partage. Tu vas voir à quel point nos amis anglais sont super « ouverts » !
Nous ne sommes pas en Écosse. Ils n’ont pas la même histoire, le même climat, la même fréquentation ou la même culture.
S’il suffit de regarder ce qui se fait par ailleurs , alors tu peux aussi légitimer d’utiliser de l’oxygène, balancer des bouteilles vides, et installer échelles en te reposant sur une comparaison avec ce qui se fait en Himalaya, il n’en reste pas moins que tu es dans les Aiguilles Rouges, la moindre des chose serait de respecter l’éthique et la culture locale. Il y à eu des siècles d’histoire et de grimpe de premier plan avant toi, et j’avoue avoir du mal à saisir que tu puisses les balayer d’un revers de la main avec ce mépris. J’ai aussi du mal a comprendre que lorsqu’un pilier de cette culture locale, un homme qui a reçu un piolet d’or, mené une carrière irréprochable et qui reste aujourd’hui encore une référence absolue dans ce pays sur les conventions d’ouverture, lorsque celui-ci malgré des prises de paroles au compte-gouttes, pointe du doigt ce que tu as fait, j’avoue que j’ai du mal à saisir comment tu peux avoir l’aplomb de prétendre qu’il est a côté de la plaque ?
Attention avec l’éloge de l’éthique anglaise, on en revient. Après le passage de Ben Moon et Jerry Moffat ans le Verdon, il y a eu une vague d’anglophilie là-bas. Elle n’a pas duré, et c’est bien normal : ce n’est pas les mêmes cultures, les mêmes enjeux, le même climat, les mêmes parois, ni les mêmes grimpeurs. Et restons au Verdon, l’un des « Caquous », après avoir voué un culte aux anglais les a bien descendu dans un de ses bouquins.
A l’inverse, les jalons qu’à posé Piola il y a 40 ans continuent aujourd’hui d’être une référence dans ce pays et un exemple que suivent les nouvelles générations. Ne dis t’on pas qu’il faut toujours respecter l’éthique locale ? Et puis pourquoi rester ici et faire des vagues si c’est si bien en Écosse ?
Tu as demandé une réponse sur l’éthique de nos voisins pourtant si différents de nous, en voilà une. Une réponse en appelle une autre : tu te défends en avançant que tu ne modifie pas l’équipement en place mais ce n’est pas le sujet. Dès les premières lignes, ce qui a été clairement pointé du doigt, c’est d’abîmer le rocher d’une voie déjà présente et d’encourager d’autres dégâts en ouvrant et publiant un topo en ligne…
Du coup à mon tour de demander une seule réponse : Abimer d’autres voies au nom de tes ouvertures ne te pose t’il donc aucun problème de conscience ? La question appelle une réponse simple, pas de xyloglossie, une phrase, peut-être un mot, suffisent pour répondre. Car l’ensemble du débat ne se résume qu’à ce point, et c’est là que certains s’insurgent : au nom de ce que je veux faire, puis-je détruire ce qui existe déjà ?