Bien que tout le soutien apporté à Robin dans cette conversation reflète de belles valeurs, je ne comprends pas que ce qui est dénoncé par Michel Piola soit aussi incompris. Le faire passer pour une Tatie Danielle agressive qui tire a vue me fait bondir.
Son message est simple. Les coups de crampons dans les voies d’escalade sont un saccage. Ce n’est pas dur à comprendre, et l’idée n’est pas nouvelle ni de lui : c’est admis et clair depuis longtemps dans les pratiques collectives. En plein d’endroits, cela se fait sans problèmes et chacun grimpe sur son terrain de jeu sans abimer celui des autres. Aux exemples suscités, j’ajouterai Eptingen où de splendides voies en rocher se trouvent non loin de falaises de dry, avec chacune leur public respectif.
Il ne s’approprie pas la voie et son terrain, c’est une fois de plus les convenances montagnardes. L’éthique veut de respecter les ouvertures en les laissant telles quelles et en se tenant à distance. Il est depuis toujours mal vu d’ouvrir de nouvelles lignes près des anciennes, quand bien même et surtout lorsque les pratiques différent (le Verdon, pour ne citer que lui, nous a offert son lot de polémiques, parfois encore toutes récentes, sur le sujet). Ce n’est pas un caprice d’ouvreur, mais un garde fou pour éviter que tout le monde ouvre de façon frénétique et que tout se noie dans un bordel indéchiffrable.
L’auteur de cette polémique est un immense défenseur des pratiques et des pratiquants. Quelque soient les sujets qu’il ait pu dénoncer par le passé, le bien collectif fut toujours son fer de lance. C’est pour vous qu’il se révolte ! Vous devriez toujours sérieusement vous interroger a chacun de ses coups de gueule.
Robin, si tu lis ces quelques lignes, Piola est une sentinelle, et a l’époque de la surfréquentation, des pratiques autodidactes, et de la perte des valeurs au nom de l’individualisme, son oeil, intransigeant, guette les moindres dérives. Merci a lui de veiller sur nos pratiques car peu le font. Je sais que tu as l’intelligence de comprendre que cette attaque ne te vise pas personnellement mais les dérives qu’implique un topo de mixte qui parcourt une voie d’escalade rocheuse. Si on veut préserver, c’est une évidence qu’un topo qui décrit cette ligne soulève des problématiques de pérennité.
Je sais que tu as aussi l’intelligence de comprendre que les coups de gueule se font en tapant du poing sur la table, et qu’il est obligé de le faire avec la finesse d’un bulldozer s’il souhaite éviter que tout le monde s’en foute royalement. Une fois encore le coup de bulldozer ne vise pas l’être humain mais les risques qui pèsent sur les pratiques.
Notre liberté s’arrête là où débute celle des autres. Ouvrir une ligne de mixte, oui, si on ne détruit rien. C’est à la fois du bon sens, une forme de respect et aussi… de l’élégance. Certaines personnes pensent (et je les rejoins) que des dommages peuvent être impliquées sur un itinéraire déjà existant, mais pire encore : ce qui nous inquiète ce sont les pratiques qui pourraient être amenées se généraliser avec comme principal effet la dégradation d’un bien précieux, fragile, et irréparable. On ne doit pas encourager ce genre de pratique, ou leur accorder la moindre légitimité.
Tu as ouvert une ligne, elle était sans doute belle, mais tu ne t’es pas concerté avec les ouvreurs, tu es passé sur une ligne déjà existante avec du matériel qui l’endommage, et quand bien même les dégâts sont infimes, le dommage est symbolique et c’est ce symbole qui pèse si lourd dans le débat.
Jean Michel Cambon disait qu’il n’y a que ceux qui ouvrent qui s’exposent aux critiques. En effet en traçant une ligne, et comme bien d’autres avant toi, tu as donné naissance à une polémique. Combien de grands noms de l’ouverture se sont echarpés ici au sujet d’équipements et de cohabitation des pratiques avant toi ? Il n’y a pas de quoi te mettre au ban, loin de là.
Ouvrir c’est agir, et agir s’est forcément s’exposer a commettre des erreurs, ce qui est humain. Mais laisser ton topo en ligne, alors qu’il implique de traverser d’autres voies d’escalade purement rocheuses les crampons au pieds, c’est persister dans cette erreur. En tout cas cela va contre les bonnes pratiques montagnardes et le respect du patrimoine commun.
La sagesse voudrait que tu retires ton topo. Bien sûr rien ne te force a le faire, mais la sagesse le voudrait. Faire une erreur ce n’est rien, et cela ne changera rien à l’opinion largement favorable que la majorité des lecteurs ont pour toi, moi y compris. Mais j’avoue que je serais un peu déçu si je voyais que tu serais prêt à mettre en avant tes ouvertures alors qu’elles pourraient représenter l’ombre d’une menace pour des itinéraires pré-existants. Rien de dramatique, et je ne partirai pas en croisade, simplement les valeurs comptent, et elle serait marqué d’un mauvais sceau.
Certains tentent de faire de la montagne un sport, mais c’est bien plus que cela. La montagne est avant tout un terrain d’expression des valeurs. Ouvrir est une expérience d’une grande richesse, mais attention, c’est aussi porter une lourde responsabilité et devoir montrer l’exemple pour le bien de tous.