Posté en tant qu’invité par Sucric:
Pour te répondre (tu vois, j’explique, je ne me contente pas du registre de l’invective et de l’anathème)… Mais ça va être long et je ne sais pas si tu vas avoir le courage d’aller au bout…
Les élites françaises républicaines, qui prennent le pouvoir en France à la suite de la défaite du 2d Empire contre les futurs Allemands, mènent une vaste réflexion de fond sur les raisons de la défaite de 1870. Elles en tirent plusieurs conclusions (je passe sur les détails et sur les formes de cette introspection) :
- la défaite est une défaite nationale, dans le sens où c’est un manque de sentiment nationaliste qui explique la trop faible résistance française lors des combats. Il est à noter qu’à l’époque le terme « nationaliste » est laudatif, on dirait aujourd’hui « patriote »-, il ne deviendra péjoratif qu’avec l’affaire Dreyfus (soit à partir de 1905)lorsque « nationalisme » s’amalgamera à "antisémitisme"et « xénophobie ».
Au yeux des républicains, ce manque n’est en rien imputable à la nation : le régime de la France étant impérial, il lui était consubstantiellement impossible de provoquer l’adhésion du peuple. Le génie de la nation ne peut donc être nullement responsable de cette défaite. Toute cette branche de cette réflexion, que vous retrouverez très facilement chez Ernest Renan, est en fait une réponse aux Allemands qui au même moment affirmaient l’infériorité intrinsèque du peuple français (le meilleur représentant de cette école étant A. Mommsen).
- Poursuivant leur raisonnement, les républicains français en déduisent que si le soldat français a été battu par le soldat allemand, c’est parce que son instruction de base, son instruction scolaire, étaient meilleures que celle du Français (ce qui est vrai à l’époque, le système scolaire allemand est alors en avance par rapport à la France). En particulier, ils croient voir dans l’analyse des combats de 1870 le reflet du peu de connaissances géographiques des sous-officiers et surtout de celles des hommes du rang, déficiences qui ont conduit à des lectures erronées des cartes (dites à l’époque d’« Etat-major », nos 1/25000ème actuelles), erreurs expliquant à leur tour les mauvaises manoeuvres sur le terrain.
Et là encore, les républicains attribuent la responsabilité de ces lacunes au régime impérial, qui n’avait selon leur raisonnement nul intérêt à développer l’éducation car alors le sentiment démocratique (donc républicain) aurait crû en France (ils oublient que le père de l’éducation en France, c’est Victor Duruy, ministre de l’instruction publique de Napoléon III ; d’ailleurs, pour occulter cet aspect progressiste du 2d Empire, ils mettront plus tard en avant la figure de Jules Ferry).
- En conséquence, la France pour prendre sa revanche sur l’Allemagne, et récupérer l’Alsace et la Moselle (le terme d’Alsace-Lorraine est un abus de langage), doit préparer des soldats aussi bien éduqués que ceux de son adversaire, qui soient soudés au combat par le sentiment d’appartenir à une nation et qui sachent lire des cartes, c’est-à-dire en fait qui comprennent les ordres, bref, qui soient INTELLIGENTS !
Et c’est pour cela que normalement (je dis ça parce que… non rien) tu as reçu des cours d’HISTOIRE/GEOGRAPHIE !!! Et non pas que l’un, ou que l’autre, voire même l’un des deux associé à une tout autre discipline comme c’est le cas à l’étranger (en Allemagne la géo va avec la géologie, l’histoire avec la philo)… Mais bien l’un AVEC l’autre !
Car nos républicains, pour répondre au double impératif évoqué ci-dessus, ont décidé en 1882/1883 (nous retrouvons là notre cher Jules Ferry) que les petits Français, pour être bons soldats, devaient être de bons patriotes et de bons géographes… Donc connaitre leur histoire et leur pays…
Ces mêmes républicains, en plus de créer la discipline HG, ont introduit le sport à l’école, afin que les futurs soldats soient endurants, d’abord sous la forme des « bataillons scolaires » (manoeuvres militaires auxquelles les classes de garçons participaient sous les ordres de leur instituteur), puis carrément sous forme de cours de gymnastique (les textes officiels seront longtemps en avance par rapport à la pratique dans les campagnes…).
Enfin, au sommet de cette hiérarchie, le service militaire, effectué par les Français de 20 ans, et rendu obligatoire par la IIIème République, parachève la fabrication du soldat français patriote dans sa formation militaire comme dans son adhésion à la nation : la délocalisation géographique lui fait connaître l’autre bout de la France (important à une époque où le quotidien d’une vie se borne à l’horizon villageois), et le brassage social du bataillon brise les solidarités de classe, perçues comme néfastes à l’efficacité sur le terrain et dangereuses pour la nation.
ET LE CAF LA-DEDANS ??? Tu vas me dire…
Hé bien, les fondateurs du CAF sont tout simplement les mêmes membres de ces élites républicaines qui ont réfléchi à la défaite de 1870. Obnubilés par celle-ci, ils assortirent leur action pédagogique brièvement exposée au-dessus de la création d’un ensemble d’actions culturelles et associatives destinées à travailler dans le même sens que l’école, c’est-à-dire à préparer la Revanche. Ils fondèrent entre autre le CAF qui par sa dimension géographique (mieux on connait sa patrie, plus on l’aime) et par sa dimension sportive répondait à ces impératifs nationalistes. Sa date de fondation est ici contextuellement importantissime (même si un intervenant a raison d’évoquer le contexte européen plus large de la découverte du" voyage à la cîme"), car expliquant tout, et en particulier la devise « Pour la patrie, par la montagne »…
Le rôle du CAF durant la période de Vichy, évoqué par certains dans ce sujet, plus compliqué et surtout lié à un tout autre contexte, fera l’objet d’un autre laïus.
Mon cher Pat ©®™, tu vois, mes réflexions étaient un quelque peu fondées sur le plan historique.