Si vous avez raté le début :
1 – La montée au refuge d’Argentière
2 – Le sauvetage en crevasse
« Mais qu’est-ce qui se passe ? » demandais-je hors d’haleine en courant tant bien que mal, et en essayant de ne pas me faire de croche-pied.
Mais Bernard était trop occupé à courir et tirer la corde pour me faire avancer au triple galop, il disait seulement « vite, vite ! »
Devant nous, sur la trace, un petit groupe était là, s’affairait, ils étaient en train d’installer une corde, l’un d’eux était allongé sur le ventre, il parlait la face tournée vers la neige…
C’est en approchant que j’ai vu le petit trou rond en plein milieu de la trace.
Les quatre gars étaient des aspis en stage, ils faisaient des exercices dans des pentes au-dessus, et avaient vu l’accident : un gars tout seul disparaître d’un coup !
Bernard les avait juste vus foncer vers cet endroit et s’activer : il avait immédiatement compris de quoi il retournait et qu’ils pourraient avoir besoin de renfort.
On a tout de suite proposé nos services : Bernard était étudiant en médecine, et avait quelques notions de secourisme ainsi qu’une petite pharmacie qui contenait principalement de l’élastoplaste en quantité respectable (ah ! ces « Super Guide » !) mais surtout des « cachets magiques » en fait de la coramine-glucose qu’à l’époque on ne pouvait se procurer que sur ordonnance médicale parait-il. Le fait d’avoir quelques uns de ces précieux cachets nous procurait un sentiment extraordinaire de sécurité, un peu comme maintenant les téléphones portables pour certains. Ils représentaient pour nous le remède miracle pour se sortir d’affaire en cas de soucis.
On avait aussi un réchaud, une gamelle et nos gourdes encore pas mal remplies d’eau.
On s’est logiquement retrouvés à préparer du thé bien chaud et bien sucré, un peu à distance pour ne pas gêner la manœuvre de récupération.
On était fiers comme des papes à participer au secours aux côtés de ces spécialistes montagnards.
Depuis, j’ai appris que lors d’un sauvetage, on attribue en général ce rôle à ceux qui pourraient perturber les manips, mais d’une part nous ne le savions pas, d’autre part il fallait bien réchauffer le gars une fois sorti ! Donc nous étions aux anges !
On a été vraiment émus lorsque le gars est enfin apparu : il était vraiment grand, et pleurait comme un bébé en embrassant tout le monde !
Il avait eu une chance extraordinaire car il était vraiment tout seul, ses copains ne l’avaient pas attendu, et il s’était retrouvé dans une crevasse pas très large, à parois parallèles, coincé par un peu de neige et de stalactites qui fondaient et qui le faisaient descendre par à-coups de quelques mètres en s’effondrant.
Il en était déjà à plus de 15 mètres, en pensant que c’en était fini !
On n’a pas vu la technique de récupération, mais ça a dû être coton car le gars n’avait pas de baudrier enfilé sur lui. En plus il était allemand et ne parlait pas très bien français !
Il grelottait d’émotion et de froid, il était bien mouillé.
Il fallait lui passer des vêtements secs, c’est ainsi que mon tee-shirt en coton orange et noir de la fac d’Orsay a été porté par un miraculé. C’est assez moche comme couleur, mais c’était la mode à l’époque, et j’espère que ce trophée trône depuis toutes ces années en bonne place chez notre rescapé ! (en tous cas il a dû être quelque peu distendu !) ;
J’ai son double dans une armoire, et quand je tombe dessus au gré d’une recherche de chaussette disparue, je me retrouve des années en arrière avec cette histoire.
Le gars était très peu blessé, juste une coupure au niveau de l’arcade sourcilière, on lui a fait un joli pansement. Le thé l’a bien réchauffé mais surtout la coramine-glucose l’a bien requinqué, et ça valait mieux :
A cette époque, les hélicos pour le secours existaient, mais le problème était de les avertir.
Il se faisait déjà un peu tard, le gars tenait bien sur ses jambes, il a été décidé de monter jusqu’au refuge, qui n’était plus très loin et de prévenir les secours là-haut.
Les aspis on remballé leurs affaires, l’un a pris le sac du gars, et j’ai été préposée à la trace pour choisir scrupuleusement un cheminement loin des crevasses pour éviter du stress à notre protégé.
Ce dernier était tout excité, fonçait et butait dans mon sac à dos ! Il est vrai qu’avec tout ça, on avait oublié de boire et de manger, que j’étais naze et que je ralentissais tout le monde. On les a finalement laissés filer au refuge, on est arrivés bien après, et je le regrette amèrement, car d’après la description que nous en a faite le gardien c’était du délire : le gars embrassait tout le monde et signait des autographes !
L’hélico l’a descendu à l’hôpital le lendemain pour quelques points de suture.
Nous n’avons pas trop pu participer à la fête : il nous fallait nous restaurer (et pour cela faire fondre de la neige, et préparer notre dîner), puis préparer nos affaires pour le lendemain (donc faire encore fondre de la neige), et aller nous coucher car la nuit allait être courte !
(à suivre…)
La suite est là : 3- La rimaye du Glacier du Milieu