Posté en tant qu’invité par Marcel Demont:
Cadeau
Les anciens
Témoignage, en forme d’hommage à chef Maurice (Maurice Werro, 1928, guide de haute montagne et organisateur d’expéditions), par les jeunes (à l’époque des faits, déjà lointains) guides des Diablerets : Roland Garin et Maurice Perret.
Roland Garin : l’expé
Nous - Michel Favre, Maurice Perret et moi - étions guides de l’expédition organisée et dirigée par Maurice Werro (chef Maurice), en 1971.
Après une incursion en Turquie où, pour raisons d’intempéries prolongées, nous échouâmes dans notre tentative de gravir le Mont Ararat 5165 m, nous prîmes la direction de l’Afghanistan.
Nous encadrions 15 personnes, réparties dans 3 bus VW.
Lors des préparatifs, chef Maurice avait longuement expliqué le pourquoi de l’absolue nécessité de faire les vaccins obligatoires, qui devaient être dûment inscrits dans le carnet de vaccination, lequel carnet serait sans dérogation possible porté sur l’homme, tout au long de l’expédition.
On ne plaisante ni avec sa santé, ni avec les contrôles sanitaires imposés par les pays-hôtes, rompez!
Nous voilà donc arrivés à la frontière Iran - Afghanistan: contrôle.
Maître (chef Maurice) et élèves (nous, les jeunes guides), clients aussi, bien entendu, présentent fièrement leur carnet à l’officier de service: sourires, sourires, sourires, ??? air étonné du fonctionnaire qui tourne et tourne encore les pages du carnet de vaccination de chef Maurice. Rien, néant, le vide, l’absence, le blanc immaculé sur du blanc irréprochable: chef Maurice a oublié de se faire vacciner!
L’affaire est claire mon gaillard: en quarantaine chef Maurice! dans une bâtisse ressemblant à s’y méprendre à une porcherie, et située à deux cents mètres de notre camp.
Ce jour-là, ce jour-là seulement, et pour la première fois, le sourire légendaire de chef Maurice se crispa légèrement, mais… pas pour longtemps car, nous, les vaccinés-attestés, ne tardâmes pas à voir notre état de santé décliner, nous souffrions de maux divers, aggravés par la vue que nous avions en permanence sur chef Maurice, confortablement installé devant sa porcherie, et dont la mine de jour en jour plus resplendissante était une insulte à l’ordre établi… par lui-même.
Maurice Perret : l’expé, suite
Tout finit par s’arranger.
Après ces menues péripéties, nous pûmes franchir la frontière et pénétrer en Iran. L’objectif était le Demavend 5604 m.
Bien avant le départ de Suisse, les clients avaient insisté auprès de chef Maurice: ils ne voulaient pas n’importe quels guides, ils exigeaient de bons guides. Ils eurent de bons guides.
Nous passâmes la nuit dans un refuge haut perché, à 4100 m.
Tôt le matin nous nous mîmes en route pour le sommet. L’ascension est dénuée de difficulté. Seule l’altitude peut poser des problèmes.
Les clients ne furent pas déçus le moins du monde: de l’endroit où ils abandonnèrent - à quelques mètres du refuge - malades à mourir, la vue sur leurs bons guides qui atteignirent sans problème le sommet, ensemble, chef Maurice en tête, était imprenable.
Quelques jours plus tard, sur le chemin du retour, conseillé par chef Maurice, je fis l’achat d’une très belle cruche en argile, en souvenir de notre équipée.
Je couvai le précieux récipient tout au long du voyage, l’entourant de mille soins jusqu’à notre arrivée aux Diablerets.
Peut-être aurais-je dû également veiller à éliminer la poussière des hauts plateaux que je ramenais dans mes bagages, avant de pénétrer dans le logement conjugal? D’un coup d’aspirateur, d’un seul! mon épouse régla le compte de la cruche en argile. De ce qu’il en resta, on ne pouvait plus tirer… que des regrets.
(‘Chef Maurice’, Maurice Werro est décédé accidentellement, en automne 1996, au cœur des montagnes qu’il aimait, le jour même où je couchais sur le papier les premières lignes de l’ouvrage « Guides Vaudois, des pros de la montagne racontent ». MD)
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