Je cherche un témoignage

Posté en tant qu’invité par elsa:

si par hasard, un jour de pluie comme aujourd’hui, un guide traîne sur le forum, pourrait-il nous raconter comment se passe une saison de travail? les journées qui s’enchaînent, les nuits écourtées, la fatigue, ses impressions sur les gens qui ne réalisent pas quel est son mode de vie et lui en demandent trop… et tout ce qu’il pourrait avoir envie de dire… merci.

Posté en tant qu’invité par unCplusssssssss:

lance un appel à marcel dermont, je suis sûr qu’il se fera un plaisir de te faire part de son expérience de guide.

Posté en tant qu’invité par elsa:

bon, ben donc si marcel dermont passe par là… je lui lance un appel! merci d’avance! sérieusement ça m’intéresse, comment je peux « lancer un appel »?

Posté en tant qu’invité par unCplusssssssss:

tu lances un sujet avec son nom, il devrait tomber dessus

Posté en tant qu’invité par Marcel Demont:

Bonsoir Elsa,
Est-ce que éventuellement le petit texte ci-dessous (que j’ai repêché sous ‹ Les guides sont sympas ›) t’apporte quelques éléments de réponse?
Bien à toi.
Amicalement.
Marcel

Guide, pain quotidien

En tant qu’indépendant, chaque guide organise ses activités en fonction de ses goûts, de ses points forts, de son âge, de son lieu de domicile, des aléas de la météorologie et des possibilités du marché.
A l’ordinaire, il ne vit pas d’exploits olympiques sans cesse renouvelés.
Ses journées de travail débutent bien avant que le soleil ne commence à réchauffer l’atmosphère et se prolongent souvent fort tard, de temps à autre jusqu’à la nuit. La répétition des efforts, jour après jour, semaine après semaine, mois après mois, sans aucune interruption parfois, qu’il fasse soleil ou par temps de neige et de fort vent, usent son organisme. Il crapahute, trace le chemin, à grands coups de piolet taille des marches dans la glace vive, escalade des rochers pas forcément difficiles mais souvent enduits de verglas, cherche les passages les plus sûrs conduisant au sommet, assure son client et l’encourage, enseigne les diverses techniques de l’escalade, de l’alpinisme, du ski, du sauvetage, de l’orientation… De retour au refuge, il prend soin du matériel qu’il faut sécher, occasionnellement remettre en état, organise la journée suivante, fait la conversation. Des fois, il arrive qu’après avoir pris congé de son client, le guide doive, dans ce qui reste de jour et dans la nuit, rallier un autre refuge qu’il atteindra à l’heure où son nouveau compagnon d’ascension s’attaquera à son petit déjeuner. Sans prendre de repos, le guide enchaînera alors deux journées et une nuit de travail.
Bien sûr, étant indépendant, il ne connaît ni les jours fériés payés, ni les vacances rémunérées, ni les heures supplémentaires rétribuées, ni les assurances sociales… caisse de retraite et compagnie. Il se débrouille.
Une chose est certaine, pour s’en sortir, il doit bosser.
« Le métier est dur, pour commencer, il faut se lever ! » dit volontiers un de mes collègues.
L’exercice est parfois poussé jusqu’à la frénésie, et constants sont les déplacements pour changements de lieux de travail d’un massif montagneux à un autre.
Une fois, arrivé au terme d’un enchaînement de plusieurs mois sans un seul jour de repos, les traits tirés, amaigri au point de pouvoir, comme une lettre, être glissé sous une porte fermée, je croisai un de mes voisins (pendant ses loisirs, il pratique l’escalade ‘plaisir’). Avisant mon teint hâlé, cet indomptable fonctionnaire me lança fort aimablement : « Nous on bosse ! »
(Autrement dit : « Y’en a qu’ont de la chance, toujours à ne rien foutre d’autre que de se promener en montagne ! »)
Sur un point, un seul, je lui donne raison : avoir du travail, un métier (que ce soit boulanger, dentiste, enseignant, facteur, cantonnier, avocat, médecin, paysan, guide de montagne ou autre…), le pratiquer, bosser, c’est une chance fantastique.
Les guides de montagne ‘professionnels à plein temps’ (id est : ceux qui gagnent leur vie en pratiquant le métier à l’exclusion de tout autre) qui font fortune sont rares. Au moins autant que l’abominable homme des neiges. Beaucoup, à force de vaillance, supportent de longues années la rudesse de leur existence, puis, trépassent sans crier gare sur le flanc décharné d’un pic rébarbatif, frappés par une pierre ou par un bloc de glace, ensevelis sous une avalanche, engloutis par une crevasse, ou encore, éparpillés en plusieurs morceaux après être tombés. Quelques-uns, à leur immense stupéfaction, quittent ce monde précaire dans leur lit, entourés de considération et de chaleur.
(Extrait de mon ouvrage : L’appel de la montagne, 2003.)

[%sig%]

Posté en tant qu’invité par unCplusssssssss:

et bin voilà, même quand la météo est mauvaise les guides sont toujours debout à 11h du soir !
@+

Posté en tant qu’invité par Marcel Demont:

Merci unCplusssssss.
Marcel, amicalement.

[%sig%]

Posté en tant qu’invité par unCplusssssssss:

de rien ! toujours debout moi aussi pourtant à rien foutre de la journée, chuis encore plus fatiguée qu’après une journée dans les hauteurs.
au plaisir… c’est l’heure de la risane et du plumard… en espérant que le w-e prochain sera meilleur !

Posté en tant qu’invité par elsa:

déjà merci de cette réponse expresse! bien qu’en théorie on le sache la fin de ton message fait flipper…quant à la vie en saison, je trouve ça tellement difficile à imaginer… est-ce que le guide a du temps pour penser à lui à force de penser aux clients? que serait pour lui un client « idéal »? à quoi rêve-t’il en rentrant d’un enchainement de courses? pourquoi ne prend-t-il pas une fois de temps en temps un minimum de repos?

Posté en tant qu’invité par elsa:

merci bien de ton coup de pouce… la pluie m’aura servi finalement mais espérons quand même que le temps nous sera plus favorable les jours qui viennent…

Posté en tant qu’invité par thx24:

ça necessiterait un roman entier… Qui existe dejà d’ailleurs (« Celui qui va devant » de Max Liotier, qui ne doit pas être très facile à trouver dans les librairies…).
En ce qui me concerne, ça ne fait pas très longtemps que je fais ce boulot mais juste assez peut être pour avoir une petite idée.
C’est un metier difficile, bien plus que beaucoup de gens ne peuvent se l’imaginer (ils nous croient en vacances à la montagne à vie…) pour la bonne et simple raison que guider des gens en montagne en étant payé implique une prise de responsabilité que l’on ne soupçonne pas tant qu’on ne l’a jamais fait. Quand tu te retrouves confronté pour la première fois à un accident (qui te concerne toi ou ton client ou les deux), tu comprends immediatement le monde qui separe le professionalisme de l’amateurisme. Sachant en plus que la societé n’evolue pas très favorablement dans ce domaine, mais bref, passons à autre chose…
Le bon coté, c’est l’immense liberté que te procure ce boulot. Tu choisis presque toujours ton travail en quantité et en qualité. Tu es libre d’enchainer ou pas tes courses, de te reposer, de partir en vacances, etc… Mais bien sur, cette liberté se paye. Tu en subis les consequences financières si tu en abuses. En ne choisissant que le boulot qui te plait par exemple (le rocher par exemple, où la demande est si rare), ou en te reposant un peu trop, ou en grimpant pour toi un peu trop, etc… Le resultat de tout ça est que quand il y a du boulot, tu le prends, même si ça ne te fait pas hyper plaisir d’aller pour la 14eme fois de la saison au Mont Blanc (Là, la demande est nettement moins rare!!) et donc tu es parfois content de voir arriver le mauvais temps pour te poser un peu.
Les gens (on dit « les clients » en langage guide), c’est un monde en soi. Il y a de tout, mais au risque de te surprendre, il y a de grandes differences suivant les nationalités. Et les français ne sortent pas gagnant de la compet, même si bien sûr, les generalités à ce sujet ont leurs limites. Evidemment, tu as le droit assez souvent aux mêmes questions (on fait comment pour être guide?), ce qui fait que tu racontes assez souvent les mêmes choses. Mais bosser dans le tourisme implique souvent ça je pense. Dans l’ensemble avec les gens, ça se passe bien, mais quand ça se passe mal, c’est souvent l’enfer!
Pour conclure, ce metier c’est avant tout un choix que tu fais. A tous les niveaux. Un choix de statut (independant dans un pays où tout le monde rêve d’être fonctionnaire c’est pas le top…), un choix de pratique (il y a presque autant de guides que de manière de travailler comme guide et un des interets de ce diplome est que tes possibilités sont très larges), un choix de vie (libre mais dependant de la nature et de ses aleas, donc très risqué, à tous les niveaux), et aussi et surtout, un engagement. Mais parce que c’est un choix, et que c’est dans un environnement aussi fantastique, c’est un très beau metier.
Voilà, c’est mon temoignage. Il y a surement d’autres guides qui te raconteront d’autres choses, parce qu’il n’y a pas 2 guides pareils l’un à l’autre. Et puis pour finir, les guides ce ne sont que des humains, ni mieux, ni moins bien… Des humains.

Posté en tant qu’invité par Marcel Demont:

elsa a écrit:

déjà merci de cette réponse expresse! bien qu’en théorie on le
sache la fin de ton message fait flipper…quant à la vie en
saison, je trouve ça tellement difficile à imaginer…

Mon record personnel est: douze semaines sans un seul jour de repos (résultat d’une publicité efficace, d’une bonne organisation, et d’une météo clémente). Mais… il n’est pas rare non plus d’être tout un mois sans travail, et donc sans revenu.

est-ce

que le guide a du temps pour penser à lui à force de penser aux
clients?

La principale préoccuptation du guide est: la satisfaction et la sécurité du client.

que serait pour lui un client « idéal »?

Tout client est idéal, dans le sens: il engage le guide, il lui fait confiance, il lui confie sa vie, la dépense n’est pas négligeable.
C’est au guide de faire en sorte que le client trouve en montagne ce qu’il est venu y chercher et qu’il ne met pas forcément en mots.
Gaston Rébuffat disait: ‹ Le guide vous ouvre les portes de la montagne ›.

à quoi

rêve-t’il en rentrant d’un enchainement de courses?

Souvent, on refait la course dans sa tête. Le client, ou l’alpiniste amateur cherche à parcourir les montagnes qu’il n’a pas encore gravies. A l’inverse, le guide fait et refait fréquemment les mêmes courses (je pourrais citer plusieurs sommets que j’ai gravis plus de cent fois chacun). Et pourtant, escalader le Mont-Blanc cinq fois de suite n’est pas forcément monotone: les conditions changent chaque jour, la neige, la couleur du ciel, le client (ses réactions, le guide voit la montagne à travers les yeux de son client).

pourquoi

ne prend-t-il pas une fois de temps en temps un minimum de
repos?

Contrairement à ce que certains imaginent, il est difficile de vivre du seul métier de guide. Il y a les jours de mauvais temps, les semaines pauvres en clientèle ou sans aucun client, les accidents. On travaille… quand il y a du boulot et qu’on a la santé.

Bien à toi.
Marcel

[%sig%]

Posté en tant qu’invité par elsa:

merci beaucoup d’avoir pris le temps de me répondre, c’est important pour moi d’essayer de comprendre. n’hésite pas à rajouter ce que tu veux si tu penses à d’autres choses… bonne suite de saison;

Posté en tant qu’invité par elsa:

merci pour ta réponse. en lisant ta dernière phrase je réalise que le guide est un humain, certes, mais qui peut apporter énormément, notamment en ouvrant les portes de la montagne, et qui vit presque toujours au contact de ce qu’il y a d’essentiel dans nos vies, et que du coup la tentation de leur en demander toujours plus est forte (imaginer qu’ils peuvent tout gérer etc). je vais essayer de trouver le livre dont tu parles.

Posté en tant qu’invité par Nicolas:

Et comme dans tout groupe d’humains, il y a des très bons et des moins, des très c… et des moins aussi, des honnêtes et des moins la aussi, des qui vous emmènent au sommet sans mot dire et d’autres qui transmettent leurs connaissances, des sympas … etc.
Après en avoir usé qq uns avant d’y aller seul désormais, il faut effectivement souligner la diversité des hommes (et des femmes), qu’ils soient guides … ou clients. C’est ça la richesse de l’humanité non ?

Posté en tant qu’invité par thx24:

c’est tout à fait ça… Et c’est aussi notre faiblesse!

Posté en tant qu’invité par Marcel Demont:

Pour Elsa

Témoignage

Quelques exemples de relations guide - client

… La plupart de mes clients ont été d’une fidélité exemplaire. Le guide n’est pas libre ? Tant pis, on attendra qu’il le soit pour réaliser le projet.

Les réservations furent parfois surprenantes dans leur forme :
« Bonjour. Je veux gravir l’Eiger le 17 juillet ! »
«Oui mais… la météo… les conditions de la montagne… convenir d’une date de remplacement serait une bonne chose » avais-je suggéré.
« Non, aucun autre jour, le 17 juillet ! »
Je m’étais retenu de justesse, alors que j’allais poser la question :
« Avant ou après le petit déjeuner ? »

Une fois, une seule, j’ai eu affaire à un ‘zappeur’ passant d’un guide à un autre au gré de ses humeurs. Mal à l’aise dans le rôle de kleenex qu’on voulait me faire jouer, je coupai les ponts. Ça fit toute une histoire. Sans doute avais-je tort. Pour seule explication, je peux avancer l’esprit des traditions selon lesquelles j’ai été formé.

Un client m’a un jour adressé une lettre dans laquelle il disait, sans fournir aucune explication :
« Je ne veux plus entendre parler de tes montagnes ! »
Nous explorions ensemble pics vertigineux, dômes de neige et aiguilles de roc depuis près de vingt ans, et nous nous apprêtions à partir à la conquête de ce qui aurait été son 1er six mille.

Un autre encore, au retour d’une expédition n’ayant pas très bien marché pour lui, m’écrivit:
« Je ne vais pas te faire un procès pour m’avoir entraîné dans une aventure dont tu aurais dû savoir qu’elle n’était pas faite pour moi ! »
En annexe à sa missive, il y avait une facture disant :
« Frais à me rembourser ! »

Je peux comprendre que le poids de la montagne devienne tout à coup trop lourd à supporter pour ceux qui n’y sont pas nés, ou ont commencé à pratiquer l’alpinisme à un âge déjà avancé.

Ces trois cas mis à part, je suis aujourd’hui encore en contact régulier ou occasionnel avec tous mes clients assidus (pour autant qu’ils soient encore en vie, bien sûr).
Un petit coup de téléphone, une carte postale, une rencontre pour boire un coup, quelques heures d’escalade, une course ou toute une semaine en haute montagne… la chaleur du partage, le temps de se souvenir…

[%sig%]

Posté en tant qu’invité par jean:

Faut vraiment être maso , pour faire ce boulot!

Posté en tant qu’invité par casscroot:

… et passionné.

Posté en tant qu’invité par unCplusssssssss:

surtout passionné !!!

dévoué aussi…