Chers amis grimpeurs,
Il ne vous a pas échappé que l’escalade connaissait une crise du financement de ses équipements par la vente de topos papiers (polémiques autour de c2c, autour des topos pirates). A quoi s’ajoutent des problèmes plus structurels, tels que l’absence d’une base universelle de connaissance en matière d’ouverture de voies ou de réalisations, qui rend difficile d’écrire l’histoire de l’escalade. Last but not least, la variabilité des cotations entraîne des conversations répétitives et sans intérêts de la part des grimpeurs (du type : j’ai trouvé ce 6b plus facile que ce 6a).
Je propose ci-dessous une solution à ces problèmes. Elle est basée sur l’utilisation de registres distribués (des blockchains) et d’une cryptomonnaie. Avant de pousser les hauts cris, chers grimpeurs, sachez que cette technologie est particulièrement adaptée à un certain type de problèmes caractérisé par
- des données de type simple et transactionnel, à dimension chronologique marquée
- des besoins de certification
- des systèmes où la production d’une information complète et fiable est plus efficace en présence d’incitations
Or nous sommes exactement dans ce cas de figure avec l’information concernant l’escalade. Les données sont simples au sens où elles sont faiblement reliées à d’autres données. Même si elle croise une autre voie, passe à droite d’une telle et à gauche d’une telle, une voie d’escalade existe en soi. C’est un secteur, des ouvreurs, une date d’ouverture, un tracé, un type d’équipement, une cotation originelle.
Les données répondent à des besoins de certification. Pour des questions de sécurité d’abord. Pour des questions de reconnaissance ensuite, à la fois reconnaissance des ouvreurs et reconnaissance des performances sportives des répétiteurs.
Enfin, même si la communauté de l’escalade produit spontanément une bonne dose d’information, elle en produit à la fois trop peu (secret spots, topos papiers qui traînent à paraître ou sont épuisés) ou trop (topos pirates). Une incitation bien calibrée pourrait assurer la production de la bonne information en temps et heure.
Concrètement comment pourrions-nous procéder ?
Il faudrait d’abord créer une blockchain des voies. Ce serait une blockchain hybride dont la consultation serait publique, mais les permissions d’écriture limitées aux ouvreurs. On partirait d’une liste des ouvreurs reconnus et ceux-ci coopteraient ensuite les nouveaux entrants. Les ouvreurs proposeraient leurs réalisations (un message par voie) et celles-ci seraient validées et agrégées par les autres ouvreurs sous la forme de nouveaux blocs dans la chaîne.
Il faudrait ensuite créer une blockchain des réalisations. Dans cette chaîne, on stockerait des infos du type : untel a enchaîné telle voie à telle date, dans tel style, après tant d’essais et (facultatif) machin et trucs sont témoins. Ce serait une chaîne publique en lecture comme en écriture.
La possession de ces deux registres serait porteuse de grands avantages pour le monde de l’escalade. Elle permettrait de l’info constamment à jour sur les voies, et sur l’évolution de nos pratiques.
Comment inciter à la production de cette information et financer du même coup l’équipement ?
L’idée serait de créer une cryptomonnaie, appelée le speet. Tout nouvel ouvreur coopté se verrait doté d’un certain pécule de speets (créés pour l’occasion). Toute publication de voie validée par les pairs donnerait lieu à création et octroi de speets. Par exemple, l’ouverture d’une voie avec dix spits (ou broches) rapporterait dix speets (créés pour l’occasion) à son ouvreur. Dans le meilleur des mondes les entreprises créatrices de spits physiques accepteraient des speets en paiement. Mais ce n’est même pas nécessaire. Car pour publier leurs performances et/ou financer l’équipement, les usagers paieraient (en monnaie traditionnelle) de toutes petites fractions de speets qu’ils achèteraient aux ouvreurs. L’achat de speets en monnaie traditionnelle détruirait les speets en question. Ce sont ces achats de speets qui financeraient les équipements. L’argent irait directement aux ouvreurs et la possibilité serait donnée aux usagers de cibler tel équipeur, tel secteur, tel site, ou de ne pas cibler du tout. Contrairement au financement par les topos papiers, le financement serait traçable et transparent.
Comment sécuriser un tel système ?
La sécurisation du contenu de la chaîne des voies reposerait sur la cooptation des ouvreurs. Mais comment garantir qu’un ouvreur ne souhaite pas s’attribuer de fausses réalisations, ou pire, saboter le système dans son ensemble en y publiant n’importe quoi ? Pour valider les contenus, il faudrait détenir une preuve d’enjeu. Concrètement, immobiliser des speets. Ecrire de fausses informations ou falsifier la chaîne entrainerait la perte de l’enjeu. Dissuasif. Pour ce qui est de la sécurisation de la chaîne des réalisations, elle est impossible puisque déclarative. Mais divers mécanismes peuvent être mis en place pour associer un degré de crédibilité aux réalisations postées. Je ne développe pas.
Comment faire en sorte que ce système produise un minimum d’externalités négatives ?
Tout système de stockage distribué possède un léger surcoût et un sur-impact énergétique par rapport aux registres traditionnels (les bases de données centralisées). Mais certains mécanismes de consensus sont très économes, en particulier les algorithmes dits BFT (byzantine fault tolerance) avec preuve d’enjeu sont particulièrement économes et me semblent adaptés à la situation (ils fonctionnent tant que moins d’un tiers des validateurs se conduit de manière déloyale).
Comment éviter les dérives spéculatives liées au cryptoactifs ?
On pourrait aisément fixer un plafond au prix du speet : celui du spit physique. Concrètement, la plateforme garantirait la vente de speet au prix du spit physique.
Comment s’articulerait le stockage de l’information brute et la création de contenus évolués et services ?
Sur la base de l’information brute contenue dans la chaîne, des éditeurs (éventuellement commerciaux) pourraient tout à leur aise fournir des informations et des services évolués (éventuellement sur papier). Ce découplage de l’équipement et de la publication sophistiquée est souhaitable : certains équipeurs de talent sont de piètres auteurs de topos. Il n’y a pas de raison rationnelle à ce que les deux activités soient confondus.
Pourquoi ne pas confier la production et la conservation des données à un tiers de confiance ?
Lorsque c’est possible, le recours à un tiers de confiance est moins couteux qu’un registre distribué. Mais dans le cas présent, force est de constater qu’un tel tiers de confiance fait défaut. CampToCamp serait un bon candidat, mais l’histoire récente a prouvé que ses relations avec les ouvreurs pouvaient être conflictuelles. Des associations ou fédérations pourraient éventuellement faire le job. Mais leur organisation hiérarchique et leurs voltefaces ont pu participer à limiter leur crédit. Des journaux ou chaines TV pourraient aussi faire le job, mais qui a envie de confier un bien commun (l’information) à un organisme privé ? Les registres distribués n’appartiennent à personne, et si des acteurs font défection, la chaîne est toujours là, réutilisable par qui veut l’utiliser.
Quelle gouvernance pour le système ?
Les technologies modernes de gestion des chaînes de bloc possèdent aujourd’hui des modules de gouvernance qui permettent de faire évoluer le système. Les procédures de mise au vote des modifications sont simples à mettre en œuvre, et les votes au sujet de des modifications se font proportionnellement aux enjeux immobilisés.
Quel rapport avec les cotations ?
S’il y a suffisamment d’info postée sur la chaîne des réalisations (et ce sera le cas si les publications sur cette chaîne ont aussi pour objectif de financer l’équipement) alors un algorithme pourra assez facilement faire évoluer les cotations originellement proposées.
Je vous avoue que je ne suis pas assez bon informaticien pour développer le système. Et puis la logique d’un tel projet n’est pas de le mener dans son coin. Je suis prêt à coopérer avec quiconque croirait à cette idée.
Maintenant si votre problème à vous, c’est de ne pas arriver à engager au-dessus du point, là je n’ai pas grand-chose à vous proposer…
Cordialement
Jean Pierre Malrieu