Le circuit se perd
La pratique du circuit s’est perdue à Bleau et c’est bien dommage.
Les circuits modernes ne possèdent plus de blocs intermédiaires et ne peuvent donc pas être enchaînés. Ils constituent en fait des groupes de passages numérotés conçus pour être réalisés en porte à porte. Le mot circuit est resté mais ne correspond plus à la même pratique.
Les rares amateurs de circuit à l’ancienne se contentent d’enchaîner quelques Jaunes ou Oranges sur lesquels ils n’hésitent pas à contourner les passages les plus exposés. Si d’autres seront capables de grimper tous les numéros d’un Bleu, ils le feront avec crash, déplaçant leur sac de bloc en bloc, ce qui n’est plus faire un circuit.
L’entraînement en pâtit
Certes, les circuits classiques sont d’une difficulté technique très modeste au regard du niveau moyen des grimpeurs actuels.
On peut comprendre que faire du 3 ou même du 4 sup soit rébarbatif pour qui est habitué au 7 voire davantage.
Cependant, pour la petite portion des bleausards également amateurs de montagne ou de grandes voies de falaise (trad-climbing, ai-je lu ici ou là) qu’en est-il de leur entraînement ?
Bien sûr, ils ont les murs et les pans, de plus en plus nombreux et de bonne qualité. Et quand la météo le permet, ils ont la Bourgogne non loin, pour se mettre en situation réelle.
Ainsi peuvent-ils conserver, ajoutant footing et/ou vélo, une forme physique très convenable et, plus que jadis, progresser plus rapidement en difficulté pure et en continuité.
Mais tout cela leur permet-il de faire travailler le mental ?
Selon Desmaison, le mental compterait à 50% dans la réalisation d’une course ?
Passer du 7 bloc avec crash et du 7 ou 8 falaise avec des points fiables bien placés sur des parois verticales ou déversantes, voilà qui est très estimable et enviable. Mais en quoi cela va-t-il préparer le grimpeur aux inévitables et nombreuses situations d’exposition parfois extrêmes que l’on rencontre dans une course classique ?
L’intérêt du circuit « à l’ancienne »
La pratique de circuits tels le Mauve de Larchant intègre précisément le facteur psychique qu’elle combine à celui de l’endurance.
Attaquer les 15 m. de l’Arête de Larchant après plus d’une centaine de blocs, dont 51 numérotés, achever la Traversée à Mimiche, les pieds à 3/4 m. de haut avec 72 numéros derrière soi, cela réclame une grande expérience gestuelle ainsi qu’une détermination sans faille que seule la pratique spécifique de ce type de grimpe permet d’acquérir et de développer.
Dans cet esprit, pas de spécialité ou de préférence marquée pour tel ou tel type de geste, il faut savoir tout grimper, tout désescalader, et parfois nettoyer en position précaire pour continuer à avancer.
Très franchement, je me demande comment les alpinistes de la Région parisienne se préparent-ils aux courses de l’été en faisant l’impasse de ce mode d’entraînement ?
Seraient-ils naturellement plus fort moralement que les Paragot ou Bérardini de jadis ? Ou bien se contentent-ils d’effectuer des voies certes de fort niveau mais équipées selon les normes modernes ? Si tel est le cas, je le déplore. Comme il est dommage de posséder une forte technique et de disposer de gros moyens physiques pour passer à côté des joyaux de l’histoire alpine !
Il est vrai que l’évolution du matériel, notamment en matière de coinceurs, permet de se protéger comme jamais auparavant.
Mais cela est loin d’être partout le cas. De nombreuses parois ne sont pas propices aux friends, mêmes les plus sophistiqués, et les dalles compactes équipées à l’ancienne exposent le grimpeur à des chutes pouvant être lourdes de conséquence.
Si le moral n’est pas là, le fort niveau ne suffira pas pour se lancer.
Circuit expo mode d’emploi
A la lumière de ce constat, la pratique du circuit exposé type Mauve de la DJ prend tout son sens. C’est à la fois un moyen de s’entraîner et de se tester. Et dans ce registre comme ailleurs, il est possible et conseillé de démarrer modestement et de progresser avec le temps qu’il faut. L’habitude de faire des Jaunes à bonne cadence sera une excellente base. Ensuite, on peut passer à du facile plus haut, comme l’excellent Jaune de la DJ, avec ses 69 numéros. Plus court mais plus exigeant, viendra ensuite un circuit comme le Vert d’Apremont, avec sa fausse réputation de rocher patiné. L’Orange de Maunoury, long et aux nombreux passages bleausards (surtout vers la fin), rondeur et adhérence, offrira un cran de plus pour affronter le roi des circuits classiques, le Mauve.
Pour réaliser celui-ci dans son intégralité, un bon moyen est de l’apprivoiser par portions, n’hésitant pas à recourir à la corde pour s’habituer aux passages hauts et s’y prêtant, comme l’Arête de Larchant (n°52) ou l’exigeante Tubulaire (n° 20).
C’est déjà le parfum de liberté si recherché dans les grandes voies qu’on y trouve, vraiment.
Et si exposition il y a, l’engagement reste des plus modestes. On peut stopper le « voyage » à tout moment. Et il convient de le faire au moindre doute ; c’est signe qu’il manque quelque chose : du repos, du calme, de la forme physique.
On peut ainsi s’évaluer avec précision et mieux adapter son programme d’entraînement, chose que le mur ou le pan à haute dose ne permettent pas, donnant l’illusion que tout va bien alors qu’on n’y est jamais en péril. Ainsi une partie précieuse de son psychisme finit par oublier ce que c’est que de maîtriser le risque, que de demeurer serein en situation objective de grand danger.
Je me trompe peut-être dans cette analyse. Que les amateurs d’alpinisme veuillent bien me répondre. Le débat est ouvert.