Au delà des souffrances physiques qu’ils infligent à quelques-uns, aux tensions qu’ils créent dans les couples et les familles, aux souffrances psychologiques qu’elle fait supporter à beaucoup d’entre nous, cette épidémie et le confinement imposé sensé la juguler ne nous condamnent pas seulement à renoncer à nos activités sportives habituelles. Ils nous obligent aussi à nous interroger sur leur sens, à modifier notre regard sur l’autre (devenu un potentiel soldat ennemi, mais aussi le meilleur allié pour nous protéger). Ils nous imposent ainsi une cure de désœuvrement. Et ils nous invitent à nous regarder longuement dans le miroir, à tester la solidité des liens qui nous relient avec nos « amis » et nos « amours », sans plus avoir la chance de pouvoir y échapper grâce à nos activités sportives. Comme le disait mieux que moi S. Tesson le 20 mars sur France Inter, nous voilà en face de nos « mauvaises passions », plus que jamais à la recherche de boucs émissaires (la faute au gouvernement, à la mondialisation) attirés par les raccourcis et les explications confortables. Ceux-là même qui se moquaient hier du gaspillage de vaccins contre le H1N1 fustigent l’imprévoyance des pouvoirs publics aujourd’hui. Ceux-là même qui justifient la fraude fiscale au nom de « les riches n’ont qu’à payer ! » ou bien de « on ne peut pas me priver du fruit de mon travail », ceux-là même qui fustigent le « poids des charges », dénoncent les déficits publics, réclament aujourd’hui sans état d’âme davantage de lits en réa et de compensation financière (par l’état) de leur manque à gagner.
Mais comme tous les sportifs, les passionnés, les surinvestis au travail, nous sommes dopés à la performance, esclaves volontaires des cardio-fréquence, des cotations à atteindre (« mon 1er 5.4, mon premier 5c ou mon premier 9b »), des D+ à accumuler, des comparaisons flatteuses. Pour un grand nombre d’entre nous, le confinement est donc d’une violence symbolique inouïe. Puisqu’il nous prive brutalement de nos doses quotidiennes (pour les plus chanceux ou les plus aliénés) ou hebdomadaires de dopamine. En ce sens, il est peut-être plus difficile à vivre pour nous que pour d’autres : les plus lents, ceux qui ont un autre rapport au temps, à la solitude, pour ceux dont les capacités de lecture, d’imagination, d’émerveillement devant l’inattendu n’ont pas été altérées par la passion dévorante de la recherche de la performance et l’obsession de bouger. Comme en témoigne de manière pathétique un certain nombre de contributeurs sur C2C qui, au nom de leur liberté, tentent de justifier que rien ni personne ne peut leur refuser le droit de continuer à assouvir leurs passions.
Comme je le suggérais dans un post précédent, peut être ce moment douloureux est-il finalement une chance à saisir. L’occasion de prendre conscience (si cela n’est pas déjà fait) - voire de distendre au moins provisoirement - ces chaines invisibles qui nous relient à un autre confinement que l’on accepte, lui, sans rechigner : celui qui nous enferme dans nos pratiques.
« Lorsque j’aurai quitté ce monde, quelle trace restera t-il de mes (bien) modestes performances sportives » ? « Qu’est-ce que je perds vraiment à les voir provisoirement se réduire ? »
La réponse ne doit pas faire peur.
« La seule manière de ne pas succomber dans l’effondrement général, et le seul sur lequel on peut intervenir, c’est l’effondrement de soi-même. Ce que j’ai découvert c’est que la seule chose qu’on puisse faire c’est de ne pas engager une lutte contre le temps ; la guerre arithmétique contre les secondes qui passent. Si on fait cela, on est écrasé. »
Sylvain Tesson