Affres et douceurs de la décrépitude

Chers grimpeurs,

Ce message ne s’adresse ni aux jeunots insouciants ni aux preux indestructibles. Il s’adresse à tous ceux qui ont connu les premières alertes de l’âge. Il s’adresse à tous ceux qui ont connu les inexplicables baisses de forme, les redescentes piteuses. Il s’adresse à ceux qui se retrouvent dans des voies sous-cotées au-delà de ce que voudraient les lois de la statistique. Il s’adresse à ceux qui restent de plus en plus souvent perplexes devant la petitesse des prises, à ceux qui regardent leurs mains en se demandant ce que demain, elles pourront encore tenir. Il s’adresse à ceux qui ont déjà abandonné l’idée de progresser, et se satisferaient volontiers de maintenir leur niveau d’aujourd’hui.
Chers tous à qui ce message s’adresse, dites-moi, comment avez-vous fait pour continuer à grimper, sereins, heureux, comment avez-vous réussi à accepter votre âge, la baisse de vos capacités, le renoncement à vos projets héroïques ?
Pour l’instant je m’en sors tant bien que mal en grimpant un peu plus, en choisissant mes partenaires parmi les plus âgés et les plus pleutres, et en faisant étalage de mauvaise foi. Mais j’ai l’impression que cela ne va guère durer, et qu’il me faudrait surtout une once de sagesse. Que vous pourriez peut-être m’aider à acquérir ?

JPM

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Il me semble que la recette, pour autant qu’il en existe une et qu’elle soit universelle, consiste en chaque occasion, tout au long de sa vie, à donner le meilleur de soi-même, son maximum. Ainsi, l’âge venu, apaisé, sans regrets, conscient d’avoir approché au plus près les limites nous ayant été fixées par nos dispositions naturelles, notre volonté, notre entraînement, les circonstances de notre existence, on accepte sans difficulté et avec sérénité l’inévitable déclin de nos performances. Ainsi, à l’âge de 78 ans, j’éprouve tout autant de plaisir à parcourir les montagnes de la Terre, moins haut, moins vite, moins difficile. De la face nord de l’Eiger à la voie normale du Weissmies, des sommets de plus de 8000 mètres d’altitude aux 4000 les moins exigeants des Alpes, du 8a+ au 5b, d’une chevelure abondante à un crâne dégarni, 2 ou 3 dizaines d’années seulement me séparent, des années qui m’ont apporté le calme, la paix intérieure, un peu de sagesse aussi peut-être. Je t’en souhaite tout autant.

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Oui bien sûr, je suppose que quand on a l’impression de s’être vraiment accompli, comme toi, il est beaucoup plus facile d’acquiescer aux renoncements. Mais dans mon cas, c’est un peu délicat de jeter un regard rétrospectif aussi positif sur ma « carrière » de grimpeur: il y a tellement d’objectifs (pourtant modestes) qui resteront des objectifs…

La douceur de ma décrépitude, c’est c2c, C2c m’apporte joie et réconfort à bien des égards…

((faut bien que je faillote un peu.- j’ai pas encore payé ma cotisation :wink:)

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Le vol de mon baudrier m’a fait passer à autre chose. :slight_smile:

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On peut simplement vivre l’escalade autrement qu’en pensant à la performance.

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ton ego est ton pire ennemi …

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Je ne suis pas un obsédé de la performance. Je ne travaille quasiment jamais aucune voie. Mais je ne crois pas pouvoir me mettre à grimper de manière purement récréative ou pour le pur plaisir du geste. Mes vraies expériences de grimpe c’est quand je suis en grande voie dans des trucs vraiment limites pour moi. Et c’est dur de concilier l’envie de se mettre dans ce genre de situation et une conception purement hédoniste de la pratique.

J’y songe de plus en plus… Me consacrer exclusivement au parapente par ex. Mais en parapente je pète de trouille.

Si ton niveau baisse, c’est encore plus facile de se mettre au taquet dans une voie, d’essayer de se dépasser. Ce n’est pas incompatible avec ta vision que tu nous décris.
Ou alors il y a autre chose:

Mais attention, je n’écris pas un jugement.

Accepter de vieillir c’est savoir vivre, être plus ouvert. La vie ne tourne pas autour des sports de montagne.

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Certains diront que si, mais… ce sont des jeunes !
@jpm31 Quant à la « décrépitude », faut pas exagérer. Tu n’es pas grabataire. Les danger, quand on prend de l’age, c’est s’imaginer qu’on a toujours 20 ans et essayer de singer les jeunes. Dans ce cas, on a vite fait de péter un joint.

Y a-t-il grand-chose à ajouter après MMDemont, sinon que je me sens plein d’empathie pour vous deux, étant moi-même passé à « deux dizaines d’années et demi » de l’âge à la fois vénérable et serein qu’il réussit à nous décrire comme celui qui le vit au lieu de juste le théoriser ? Et pourtant, ses réalisations passées pourraient avoir autant de quoi enfoncer le couteau dans la plaie que procurer la satisfaction de ce qui a été accompli.

Des comme lui, chaque fois que j’en croise (ou que j’en double, bien sûr, quoi de plus normal ?), que ce soit à pieds, à skis ou sur un VTT à propulsion encore animale, je réussis grâce à eux à être tendu par une pensée positive : j’espère bien être comme cela à cet âge, et preuve en est que c’est possible.

Randonneur plus que grimpeur, donc moins soumis à cette sorte d’implacable œil de Caïn des cotations, mon appréhension (puisqu’il y en a une, sachons d’abord nous faire à cela) est celle de de ne plus pouvoir aller aussi loin, sur d’aussi amples dénivelés, et avec le sac qui nous permet à deux (cela aussi et plus que tout, pourvu que ça dure) de le faire en autonomie et avec confort et plaisir.

Mais à propos de plaisir et de tranquillité, une clé, une piste du moins, n’est-elle peut-être pas aussi de se libérer de l’injonction performative et de savoir rester ou retourner dans sa zone de confort ?..
« Et puis d’abord j’ai plus rien à prouver » ?.. ma foi, du moment que c’est affirmé avec distanciation (à 40 ans c’était déjà un running gag avec un copain en salle sur du 5c) plutôt qu’avec une morgue qui serait juste bonne à tromper personne…

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Et j’ajouterai que l’age, on n’y peut rien, c’est inévitable. Donc autant prendre la chose du bon côté et vieillir avec grâce et élégance (comme moi qui vais avoir 72 ans dans moins de 2 mois !) et avec le sourire, ce qui est plus agréable pour tout le monde à commencer par soi-même.
J’estime avoir eu une vie alpinistique bien remplie et si je ne peux plus faire ce que j’ai fait, quelle importance, puisque je l’ai fait ?
En ce qui me concerne, vieillir ne me dérange pas plus que ça.

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ce qui m’ennuie dans le fil du temps c’est la douleur… ménisque baisse de la vue dents qui tombent et du coup le temps et l’argent perdu pour réparer… le reste je fais avec.

Cher grimpeur
Quelques idées me viennent à vous lire… Tout d’abord il me semble prudent de renoncer aux " projets héroïques"bien avant de subir les outrages du temps, le risque étant de mourir trop tôt et en pleine forme… j’ai ,en ce qui me concerne, lâché les affaires létales à 48 ans et sûrement un peu tard…car j’ai vite vu qu’il y en avait beaucoup d’autres beaucoup moins dangereuses mais tout aussi belles.
Ensuite,il se trouve que le début de la décrépitude correspond à peu près à celui de la retraite et que finalement, à grimper plus souvent,on ne perd pas si vite, et qu’on est plutôt mieux physiquement qu’après des nuits blanches de père de famille nombreuse, journées de boulot usantes, soucis divers de l’actif sous pression qui réussit à caler sa séance d’entraînement entre biberons et réunions, entre accompagnement d’ados à leurs soirées et ménage de la maison… Enfin,il me semble que l’escalade peut se pratiquer à un niveau correct 6a 6b,qui permet de tout faire en mettant le pied sur le spit de temps à autre, jusqu’à un âge plus que certain… et sans renoncer au pinard à condition de modération…
Donc tous les espoirs sont permis, à vous les belles voies Piola et Cambon,bien équipées,bons relais,bon rocher…et aussi la sagesse de profiter des approches et du paysage…ce que,jeune con,je mettais un point d’honneur à ne pas faire.
Amusez vous bien, ça va bien se passer.

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On peut relire la fin des ouvrages de Lionel Terray ou de Livanos, où il y a quelques passages sur leur appréhension de la fin de leur vie de grimpeur. Livanos disait que lorsqu’on a chassé le lion, le lapin, c’est petit. Oui, ce n’est pas évident de lever les yeux vers une voie et de se dire « ce n’est plus pour moi, c’est fini ». La performance n’est pas tout : il y a le beau geste, le bel itinéraire. Et ça, on le conserve longtemps.

45 ans, ce n’est pas vieux, mais j’ai 30 ans de grimpe derrière moi. Ce qui change ma perspective, c’est quelques complications tendineuses et chirurgicales, mais pas que. L’un de mes parents proches s’est tué dans un escalier. Trauma crânien, à la maison. Alors, maintenant, sur un rocher, j’y pense… Oui, il y a encore l’envie de se relancer dans de belles voies en alpinisme, difficiles, mais on se raisonne. Il y a l’envie de « durer ». Je ne sais plus qui avait écrit qu’un bon alpiniste est un vieil alpiniste.

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B[quote=« Francois, post:13, topic:241585 »]
puisque
[/quote]
Perso j’aurai bien aimé en faire plus et plus … qd je pouvais « tout » faire
et que maintenant je sais que je ne ferai jamais
:cry::cry::cry:

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Hum, s’te plaît, n’me boule pas : suis pas si jeunette que ça, et encore moins insousciante !
Mais quand j’te lis, j’me dis qu’il n’y a pas d’raisons que tu n’le trouves pas, ton plaisir.
Parce que si, vraiment…:

De fait, des trucs vraiment limites pour toi, là où tu en es au moment où tu en es… Tu en auras toujours, nan ?
J’n’aime pas les « jamais » lus ici… Certes, avec les années, surement que des portes se ferment. Mais d’autres ne s’ouvrent-elles pas, par la force (et l’équilibre !) des choses ?

N’est-il pas possible d’imaginer une pratique qui s’extrairait de la comparaison, des z’ôtres, de « l’avant » ?.. Et qui tenterait de percevoir juste « là où j’en suis aujourd’hui », avec mon corps et mes possibles, sans se retourner sur les possibles fantasmés et les capacités des autres, qui, de fait, leur appartiennent ?
Le temps de tendre vers une écoute de soi et une justesse, la recherche d’une harmonie personnelle plutôt que d’un vécu de renoncement ?

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Yoga Time😉

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Bon ben dans ce cas, tu fais comme moi: tu mets tout ça dans ta poche avec ton mouchoir par dessus et tu passes à autre chose.
C’est très mauvais de pleurnicher et de se lamenter. Par contre, c’est une bonne méthode pour vieillir plus vite.
A la bonne tienne !