Posté en tant qu’invité par Francois:
Bon,
Qu’est-ce que je fais?
Je mets tout d’un coup?
Mais ce serait un peu long…
Ou alors je débite en tranche? comme le saucisson Justin Bridou?
Mais on va me dire « ouais! tu nous mets l’eau à la bouche et après, tu ne termines même pas etc… »
Allez, comme j’ai pitié de vos petits neurones fragiles,je vais saucissonner en trois:
Cette histoire, particulièrement cruelle, n’est pas à recommander aux adultes.
Il était une fois, en 1970…
Ou 71…
Ou peut-être 72 ?
Bref, dans ces années-là. C’est-à-dire, il y a… euh… voyons voir…
Deux mille six moins mille neuf cent soixante et onze… euh… un ôté de six reste cinq sept ôté de dix reste trois neuf et un dix ôté de dix reste zéro un et un deux ôté de deux zéro. Ce qui nous donne…
Trente cinq ans.
Gasp !
Trente cinq ans ?
C’est pas possible…
Trente - cinq - ans !!!???
C’est pas possible !!!
Mézalor, mézalor…
Ben mon vieux (oui, bon, je t’en prie, n’insiste pas), ben mon vieux (oui, ça va, on a compris), comme ça passe…
Donc on avait tourné le coin de l’éperon au-dessus du patelin, et tout là-haut là-haut, le refuge. On venait pour la première fois dans ce vallon.
Lequel ?
Ben je vous laisse deviner. Avec tous les indices que je vais semer et comme vous êtes des petits malins, vous trouverez facilement.
Faut dire qu’à l’époque, mon copain Bernard et moi, on préparait l’aspi. On voulait être guide, comme tout le monde à cet âge là, quoi. Moi, je voulais être guide à cause du beau pull rouge qu’on voyait de loin,
- Regarde… un guide… c’est un guide…
[Murmures respectueux et regards admiratifs. Bouche bée, le plouc voûte les épaules, rentre le ventre et s’efforce de disparaître dans le talus pour laisser le chemin libre au demi-dieu.
- Regarde, fiston, un guide…
Fiston, 12 ans, n’en a rien à faire et s’adonne à une activité autrement plus intéressante : Fiston balance des cailloux dans la pente. D’ailleurs, Fiston n’a pas demandé à venir ici. Fiston voulait jouer au baby-foot avec ses copains, mais à 12 ans, c’est dur de faire prévaloir ses droits légitimes. Une paire de baffes a réglé la question.
(Note de l’auteur: le baby-foot était la pléstécheune de l’époque).
Quant à Madame, après avoir évalué la bête d’un regard de maquignon (dentition saine, belle musculature, ça fera de l’usage…), ce qui lui fait souci, c’est ses cuisses rouges- écrevisse. Elle a pris le soleil.]
Et à cause de la médaille qui en fichait plein la vue, et à cause du sourire dentifrice ravageur qui faisait chavirer les regards et se pâmer les demoiselles. Question filles, ça facilitait pas mal les choses, d’après notre documentation. Pasque on s’était documenté, vous pensez bien…
Rassurez-vous, j’ai raté l’aspi. D’un poil, mais je l’ai raté. Sur le coup, j’en étais vert de rage, surtout que mon copain Bernard, lui, a réussi. Après quatre essais, il est vrai… D’ailleurs, je me suis vite consolé en voyant les autres sauter les piquets assez régulièrement, années après années.
Et hop !
Et encore un !
Combien il en reste ?
Bon, finalement, je ne suis pas guide, mais je suis toujours là.
Donc tout ça pour expliquer le pourquoi du comment qu’on était en train de transpirer à grosses gouttes sur ce foutu chemin de ce foutu refuge.
- T’as vu ?
- Quoi ?
- Ben ça fait au moins une heure qu’on marche, et ce foutu refuge ne s’est même pas rapproché…combien de temps qu’ils disent, dans le topo ?
- Trois heures…
- Trois heures…putain, trois heures…
J’étais plus trop sûr de vouloir faire le guide.
Si c’est ça, le quotidien du guide…se taper des montées à transpirer sous le cagnard, à se peler sous la neige, à se mouiller sous la pluie…avec un gros sac…avec un connard de client qu’avance pas…un bon petit boulot bien peinard, voilà ce qu’il me faut. On rentre du turbin le soir, on s’installe peinard sur la terrasse, un bon jus de pamplemousse bien frais, avec des glaçons qui font bling bling quand tu remues le verre, un bon bouquin…
Peinard, quoi…peinard.
Et la montagne…
Ben la montagne, les vacances…ou le ouiquende.
Si y’a pas de match…
Comme ça, tu n’es pas soumis aux aléas d’un abruti de client qui veut absolument faire l’Index, déjà commis vingt huit fois et demie cette saison, sans compter les fois ousque tu l’as raté à cause de la pluie… mais tu prends quand même une journée de guide, hein, faut pas rigoler.
Les affaires sont les affaires. Faut pas tout mélanger.
[Par exemple, aujourd’hui, le client, qui est une cliente, me dit :
- Monsieur le guide, je voudrais faire l’Index.
(J’en étais sûr… Mais qu’est-ce qu’ils on tous avec leur Index)
Mais, Madame la cliente -pour simplifier, appelons la… je ne sais pas, moi…au hasard…tiens, appelons la Martine- mais, Madame Martine, c’est très joli, l’Index. Je vous propose cependant quelque chose d’encore plus joli : l’arête des Papillons, au Peigne.
Non, non, c’est l’Index, absolument, Madame Martine veut absolument faire l’Index. Les Papillons, je ne dis pas, mais on verra plus tard.
Mais qu’est-ce qu’il a cet Index ?
M’a tout l’air d’être une emmerdeuse, celle-là… Les clients qui n’avancent pas, les emmerdeurs, les emmerdeuses et les emmerderesses… parlait pas de ça dans ses bouquins, le Gaston…]
Bien sûr, tu n’as ni pull rouge, ni médaille, ni regards énamourés des belles de passage, mais si tu ne veux pas y aller, tu n’y va pas. Alors que, quand tu es guide, si tu ne veux pas y aller, ben tu y vas quand même…
J’en étais là de mes réflexions.
Le Bernard, qui transpirait devant, s’arrêta net et dit :
- Finalement, chais pas si c’est une bonne idée…
- Une bonne idée quoi ?
- Ben de faire l’aspi…
- Qu’est-ce que tu racontes ? tu te dégonfles ? tu veux plus faire le guide ? je ne te comprends pas…c’est pourtant super, faire le guide ; tu grimpes tout le temps !
Le Bernard me rétorquit que tout le temps, tout le temps, c’est vite dit, j’en suis pas si sûr, et t’as pensé aux jours de mauvais temps, aux clients qu’avancent pas ettsétéra ? et si tu te casses la jambe ? ta saison est foutue… - Tout ça, c’est des histoires de bonnes femmes, que je l’ai remballé, qui est-ce qui t’a fourré des idées pareilles dans la cervelle ? Si tu te mets à penser à ces trucs là, faut plus faire de montagne, mon pauvre ami, faut regarder les matches à la télé. Et puis, les guides ne se cassent pas la jambe. Je n’ai jamais vu de guide avec une jambe cassée. Les guides, c’est des demi-dieux, que je lui ai dit, histoire de lui recaler le moral sous la casquette.
Finalement, je vais saucissonner en plus que trois. Il y a quand même treize pages Word. C’est long et comme maintenant on n’a plus l’habitude de lire…
[%sig%]