Posté en tant qu’invité par Baltardive:
Pour bien comprendre le phénomène Walter Bonatti, il faut se replacer dans l’Italie des années 50.Les films du néoréalisme Italien (Rocco et ses frères). Un pays qui avait appartenu aux vainqueurs et aux vaincus, où les chemises noire avaient été retournées au profit d’un combat entre la Démocratie chrétienne et le Communisme le moins bête de l’Europe… C’est dans la partie riche de l’Italie que voit le jour, en 1930, Walter Bonatti, à peu près en même temps que la Fiat 500, Gina Lolobrigida et Fausto Coppi. D’un milieu « populaire » il doit connaître les difficultés matérielles de tout jeune de l’époque : les pitons sont chers et se déplacer un problème.
En Italie à l’époque, il y a des clans de grimpeurs .
Les aristocrates, à Turin, qui s’unissent au souvenir de Gervasutti (on y retrouvera, mais quelques années plus tard, G.C. Grassi, G.P. Motti, A . Gogna.
Un noyau dur près de Milan (Lecco, Monza et même Bergame sont des banlieues), dont le chef de file est Cassin : ils grimpent très fort dans les Grignes ; la cordée Oggioni et Aiazzi qui va offrir une concurrence à Livanos ; Abram et Radaeli feront la 2 du pilier Bonatti…. Bonatti fait-il partie de cette équipe ? En tout cas il grimpe avec eux souvent.
Les Ecureuils de Cortina avec Lino Lacedelli, Beppi de Franchesh sont à la fois un syndicat des guides te un club de grimpeurs. Leur emblème est un gos écureuil blanc, brodé sur un pull rouge.
A . Da Roit sévit dans la Civetta.
Cesare Maestri occupe une place à part, après des solos étourdissants (à la montée comme à la descente), il se lance dans les voies technologiques.
A Courmayeur, on trouve T Gobbi
Toni Egger qui moura au Cerro Torre avec Maestri.
En Suisse (et en particulier au Salève) il y aura M. Bron, R. Wohlsclag, I. Gamboni, Loulou Boulaz, P. Bonnant et M Niederman et Weber de la Suisse centrale.
En France, les Parisiens du COB Kollop, Salson, les frères Lesueur, Pargot Bérardini, Magnone et naturellement les cordées Couzy Schatz puis Couzy Desmaison. Les chamoniards (professeurs de l’ENSA) Devouassoud, Julien, Contamine et puis évidemment L. Terray
Et puis n’oublions pas les Anglais, Brown ,Whillans, Bonington, Mac Innes.
Les autrichiens W. Philipp et H Buhl .
Pourquoi dans toute cette série, Walter Bonatti va-t-il devenir le « meilleur alpiniste du monde » ?
Examinons sa carrière.
La Walker à 19 ans : on sent qu’il en veut (mais Oggioni a le même âge et est de la partie). Et puis d’autres (à commencer par Voltolini feront aussi l’Eiger dans la foulée au même age…)
La face Est du Grand Capucin est vraiment la première voie d’artif du Massif du Mont Blanc : un comble pour un puriste. Couzy dira que la voie (sans pitons) n’est pas très difficile, mais pénible. Bonatti sera très lent (4 jours) pour 300 m d’A1 A2, déjà partiellement équipée.
La 1° hivernale de la Cassin à la Cima Ovest avec C. Maury (pas mauvais le Carlo……)
Le K2 : cette expédition restera une des plus belles embrouille alpine. Cassin sera éliminé de la sélection et Bonatti sera le petit jeune de la troupe ! Le K2 est le 2° sommet du monde, alors invaincu et probablement une des voies normales les plus difficiles. Toujours est-il qu’après maintes péripéties, L. Lacedelli et A . Compagnoni partent du camp VIII et le même jour Bonatti ,Abram et Mahdi, un porteur partent du camp VII pour leur apporter l’oxygène du sommet. Abram épuisé fait demi tour. Bonatti continue avec Mahdi, qui a de mauvaises chaussures. Sens du devoir ? Peut-être mais aussi ambition pour Bonatti de prendre la place de Compagnoni qui a donné quelques signes de faiblesses quelques jours plus tôt. Lacedelli et Compagnoni vont se heurter au « goulot de bouteille » un passage raide et très exposé aux chutes de séracs. Ce passage impressionnera beaucoup Lafaille en 2001 et pourtant il en avait vu ! Lacedelli et Coimpagnoi vont dormir là au milieu sous une tente forcément mal montée. Bonatti laisse passer l’heure de non tretour au Camp VIII, car il veut dormir au camp IX. Il se perd dans la nuit, appelle Lacedelli qui doit penser : « qu’est-ce qu’ils foutent ? On leur a fait la trace et ils ne sont même pas capables de la suivre ». A ces altitudes là on est prêt de la survie. Redescendre à leur rencontre, c’est sortir du duvet, replonger dans le froid. Lacedelli leur crie : « Laissez l’oxygène là où vous etes et redescendez au camp VIII ». Logique, mais Bonatti et Mahdi ne peuvent plus descendre dans la nuit. Bonatti prétend qu’il appellera au secours et Lacedelli dit qu’il n’a rien entendu. Tout cela est fort plausible. Dur bivouac pour Bonatti et Mahdi ; Bonatti prétend que Mahdi deviendra à moitié fou duranr la nuit ; Bonatti ou Mahdi ? Toujours est-il que Mahdi descendra décordé dès le petit jour et subira des amputations par la suite. Bonatti en veut à Lacedelli de ne pas l’avoir aidé, et puis c’est Lacedelli qui va conquérir le K2. Bonatti est mis en veilleuse, ce qui est pour lui insupportable. Il proclamera que cet incident lui a fait perdre la confiance qu’il avait dans la solidarité alpine : il va plonger dans une profonde dépression – dit-il- dont il ne sortira que par le Pilier SW du Dru ; mais cette dépression n’était-elle pas due, aussi à une culpabilité par rapport à Mahdi, culpabilité de ne pas avoir assumé son rôle de guide ?
Le pilier SW du Dru : là il fait très fort il grille au poteau tous ses concurrents et il part en solo ! Il est très lent, même pour l’époque, mais il réussit. Chapeau !
Etabli à Courmayeur, il réalise de nombreuses courses dans l’Envers du Mont Blanc, mais aucune n’est marquante : songeons à la liste de courses d’un Armand Charlet 20 ans auparavant.
L’affaire Vincendon et Henri
A la Noêl 56, Bonatti et Gheser rencontrent Vincendon et Henri dans l’éperon de la Brenva. Ils se font surprendre par la nuit sous les séracs : là encore l’horaire n’est pas respecté. N’oublions pas que Jean Couzy et Alexandre Vialatte avait fait la Brenva en hiver l’année d’avant et avait trouvé que l’équipement du Makalu donnait une large marge de sécurité…. Avec le bivouac la tempête, Bonatti sort des séracs et là 2 solutions s’offrent à eux : rejoindre Vallot par le sommet du Mont Blanc, ce qui peut devenir impossible avec la tempête, ou essayer de descendre les Corridors, itinéraire avalancheux et parfois impossible du fait des crevasses, la route des 3 Monts Blancs peu pratiquée à l’époque aurait présenté des risques semblables. Bonatti choisit Vallot et il y arrive. Vincendon et Henri choisissent les Corridors et passent eux aussi, mais ils sont à bout et ne parviendront pas aux Grands Mulets. Aucun reproche pour Bonatti : il a joué et la chance était avec lui. Ce qui est plus bizarre c’est son choix le lendemain de descendre la route des Aiguilles Grises, parce que là coté avalanches et crevasses il va être servi. Mais la chance ne le quitte pas et il parvient à Gonella, où il sera secouru par les guides de Courmayeur. La presse qui s’acharne sur le drame de Vincendon et Henri va acuser Bonatti de les avoir abandonner ce qui est une calomnie pure
Le piler du Fresney
Là se situe « l’histoire d’un certain jeune homme » (voir « l’amateur d’abimes « de Samivel).
Donc en 1961 « un certain jeune homme » faisait un stage à l’UNCM des Contamines. Le temps était exécrable. Seule la lecture…. Et puis la radio : « 7 alpinistes en détresse dans le versant Italien du Mont Blanc ». Les 4 Français étaient un peu connus, mais parmi les Italiens, il y a Walter Bonatti : « l’homme qui ramène toujours ses compagnons du Mont Blanc ». Les médias avaient déjà pris place. Pendant plusieurs jours nous suivrons les nouvelles à la radio. Montés à la Flégère un matin nous verrons une grande éclaircie : « Il vont rentrer ». A peine le temps d’aller au pied de l’Index en brassant 70 cm de neige fraîche, que déjà il reneige. 2 Jours après : « tous sauvés : les secours leur ont parlé ! « . Et finalement « 4 morts, 3 survivants ». Le héros c’est Walter Bonatti, qui a guidé la descente, mais aussi Oggioni qui a tiré les rappels pour épargner Gallieni, le client de Bonatti (on a jamais su quel type de contrat il y avait entre Bonatti, Gallieni et Oggioni : ce qui est sûr c’est que Oggioni, un des alpinistes les plus forts de l’époque n’était pas le client de Bonatti). Pourquoi sont-ils restés à attendre le beau temps sous la Chandelle : à l’époque on faisait les rappels en S sous la cuisse, ce qui était dangereux et trempait les vêtements (peut-être qu’avec le huit il n’y aurait pas eu de drame du Fresney). Et puis Bonatti n’avait pas la réputation de faire demi-tour : les français ont-ils attendu pour que Bonatti ne soit pas le seul à tirer la gloire de la première du Pilier ? Toujours est-il que quelques semaines après, au même endroit, Julien et Piussi voyant venir la tempête, battront en retraite immédiatement, sans casse (la leçon de l’expérience ?).
Dès lors Bonatti devient un personnage médiatique. Consécration à l’époque, son livre est publié en France. Avec un titre fantastique « A mes montagnes » et une dédicace « à mes montagnes, infiniment reconnaissant du bien qu’elles ont apporté à ma vie ». Un style sensible, passionné. Et puis chaque récit de course est bâti sur le même modèle : je suis faible, la montagne est terrible, mais j’ai réussi à m’en sortir grace à ma volonté, à ma tenacité…. (je ne suis qu’un roseau….). Tout cela nous parlait à nous qui n’avions pas 18 ans (et nous effrayait un peu).
Et la nouvelle « Walter Bonatti fera une conférence à Grenoble ». Naturellement tout le banc et l’arrière banc des jeunes grimpeurs de la carrière de Grenoble était là. Arrive Bonatti sur la scène, escorté de Félix Germain, alpiniste érudit, Latiniste et Helléniste bien connu, accessoirement professeur au Lycée Champollion. Le rôle de F Germain était de questionner Bonatti et de traduire ses réponses à la salle. Et là, catastrophe, Bonatti ne répond que par monosyllabe, quand F. Germain lui pose des questions un peu plus importantes. Puis ce sont les questions à la salle : « Quel système d’autoassurance avez-vous utilisé au pilier SW des Drus ? » (Camp to Camp n’existait pas à l’époque). Réponse de Bonatti « Ce serait bien trop compliqué à expliquer ! » avec le sous entendu « je ne vais pas leur dévoiler mes secrets à ces petits jeunes ! » . Gloup ! Puis suit une projection de diapo sur une expe au Pérou avec des diapos crasseuses sans fondu-enchainé. Le comble.
A la sortie nous avions tous l’impression que Bonatti nous avait extorqué le prix de 2 mousqquetons et le matériel était rare et cher à l’époque. L’expression « Sous- doué » n’existait pas à l’époque. Nous sommes dégrisés et nous suivrons la carrière de Bonatti avec circonspection.
L’hivernale de la Walker
C’est le dernier grand problème hivernal : Bonatti sera au rendez-vous et par grand froid, magistralement il va résoudre le problème. René Desmaison fera la 2° , quelques jours après. Des performances remarquables.
La face Nord du Cervin
Bonatti présente cette voie comme l’apothéose de sa carrière : remarquons que cette voie avait été tentée vers 1930 par 2 guides suisses ( A. Graven et … ?). Ils avait même battu en retraite en posant des rappels sur des pitons à expansion,mais ceci est une autre histoire. C’est là le premier vrai battage médiatique : Bonatti annonce qu’il va abandonner l’Alpinisme. Il a droit à au moins 10 pages dans le Paris Match de la semaine.
Cet abandon de l’alpinisme est très choquant. On a l’impression qu’il traite l’alpinisme comme la boxe ou le cyclisme : cela ne correspond pas du tout au personnage de « Montagnes, ma vie » et remet l’Alpinisme au rang du totocalcio. Je pense que bonatti était libre d’abandonner la montagne : mais cracher dessu après l’avoir adoré, je ne comprends pas ou trop.
Encore pire, Bonatti se fait embaucher en qualité de reporter par « Epoca » qui est un journal « people » assez ignoble. Bref, il réussit à dépasser par le bas Nicolas Hulot. Un comble pour quelqu’un qui n’hésite pas à déclarer : « Reinhold Messner dernier espoir de l’Alpinisme Classique ». A la place de Messner, j’aurais eu honte !
Dernier avatar il fait un proces sur le K2 (j’ai déjà dit ce que je pensais de l’affaire) .
En conclusion : libre à vous de qualifier ce texte de règlement de compte oedipien, mais vous n’êtes pas mon analyste alors, pensez-en ce que vous voudrez.