Je tiens à préciser directement que je suis traileur ET alpiniste (comme certains d’entre nous).
Je cours autant en montagne qu’en monts/plaines. Je connais donc assez bien les deux « groupes » : ceux qui viennent des sports de montagne et ceux qui viennent du running.
En ce moment, ayant un pied dans chaque monde, je me trouve souvent pris à parti. Car je défends un accès à la montagne avec un minimum d’expertise et d’expérience tout en refusant les pratiques alpines bêtement traditionalistes et sectaires.
Je me suis retrouvé à de nombreuses reprises à me battre pour ou contre ces deux situations.
Avant que le trail soit comme nous le connaissons aujourd’hui, c’est à dire il y a peine 4 ou 5 ans, les origines étaient plutôt assez claires : d’un côté des runners qui faisaient un peu de nature via le cross ou les courses natures (type Sainté Lyon) ou des montagnards qui désiraient atteindre un sommet via un sentier de rando en mode « rapide ».
Pour les premiers, l’aspect compétition était la raison principale. Oui pour les deuxième, les courses de montagne existaient, mais une sortie hors course ne signifiait pas forcement « entrainement » mais surtout une sortie de trail; pour le fun, la montagne, entre potes…
(Ce que je vais dire par la suite se base sur des études, chiffres)
Puis les runners, par effet de mode, d’envie de changement, de nature, se sont mis au trail. Aujourd’hui 80% des traileurs sont issus de l’univers du running.
Leur principal objectif dans le trail est la compétition. J’ai écris (en tant que bloggeur plusieurs années) sur le sujet « Ah tu es traileur?! C’est quoi ta prochaine course? ». Réponse : « J’en fais peu, je cours surtout pour moi et le fun. Pour une autre pratique de la montagne et de la nature. » Cette réponse était difficilement concevable pour les autres qui ont comme objectif la compétition.
Tout l’univers a changé dans ce sens : les marques, la communication, l’approche… Attention, je ne dis pas qu’il n’y a pas de compétition dans l’alpinisme ou de recherche du chrono. Feu Ueli, dont je suis un ultra fan, était dans cet objectif. Mais ce n’est pas le besoin principal de ces alpinistes.
Tout ça pour dire quoi?
Je ne veux pas faire mon vieux con (je « n’ai que » 36 ans) car encore une fois j’aime l’évolution des pratiques, mais juste relevé un état de fait : l’approche entre le trail d’aujourd’hui (pas pour tous bien sur mais une majorité) et celle de l’alpinisme est foncièrement différente. Encore une fois, je me base sur des dizaines de témoignage et d’expériences personnels. Cela ne veut pas dire que c’est bien ou mal, mais encore une fois juste un fait.
La recherche de la compétition et donc de faire les choses vites et plus loin.
Mais aussi, la différence entre un sport qui demande un entrainement quasi uniquement physique et un autre qui demande beaucoup de connaissances techniques et d’expérience; et de connaissance terrain.
Il est plus facile pour quelqu’un qui a un bon physique de se mettre rapidement au trail, qu’un bon grimpeur de salle qui se met à l’alpinisme.
Le deuxième point est que les pratiquants outdoor sont de plus en plus multiactivités. Cela demande donc beaucoup plus de choses à apprendre. Mais donc plus de temps. Temps qu’ils n’ont pas forcement. Plutôt que se concentrer et évoluer correctement sur un sport, ils veulent toucher à tout.
Enfin, il y a bien sur le modèle traileur. Je suis un bon traileur, pas professionnel, mais je fais des podiums. Pas beaucoup de différence avec les élites. Alors quand je vois Kilian, François d’Haene, Anton Krupicka gravir des montagnes en mode light, pourquoi je ne pourrai pas m’y mettre? Un autre moyen d’aller plus loin, de me différencier face aux autres traileurs.
Sauf que ce traileur oublie, quand c’est bien le cas, que ce traileurs élites, pour certains, sont des montagnards à l’origine. Bien sur, qu’ils ont le droit de monter en « light ». La montagne est un espace de liberté. Car ils ont l’expérience et la connaissance du terrain. Bien sur aussi, que malgré leur expérience ou la notre, nous avons tous le risque un jour ou l’autre d’avoir un accident.
Même pour les meilleurs d’entre nous. Mais nous partons en connaissance de cause, avec un minimum d’assurance et d’expertise. Oui, ça nous a pris du temps. Mais pour un sport aussi technique, c’est obligatoire.
Or, ces traileurs, ou même ces alpinistes ou même ces randonneurs qui grimpent en se disant « pas besoin de ce materiel ou de reconnaissance terrain ou d’expérience » sont dans l’inconscience ou le manque de respect envers eux mêmes et les autres.
Matos obligatoire ou lois dans la montagne? Non, car déjà c’est contre culturel à notre univers. Mais il est nécessaire d’informer, de communiquer. En ça, c’est le devoir de Kilian avec son image : montrer les bonnes choses aux gens. Sont tweet était aussi con que le courrier du Maire de St Gervais. Et Dieu sait que j’adore Kilian et qu’il a à de nombreuses reprises fait le focus sur la sécurité en montagne. Mais c’est de son devoir de communiquer correctement.
Il m’arrive aussi de faire des sorties en mode trail sur des arêtes. Mais j’ai reconnu le terrain en mode « classique » avant. Ou alors je me suis très bien renseigné. Je connais mes limites aussi.
Enfin, quand je parlais d’expérience je peux vous en sortir à la pelle : un pote traileur que j’initiais à l’alpi qui voulait se désencorder sur un glacier pour aller plus vite. Que j’ai obligé à rester sur la corde. Et hop, un membre d’une autre cordée qui passe juste à côté de l’endroit où il voulait se désencorder et qui tombe dans une crevasse à cause d’un pont.
Ou ces mecs qui voulaient « faire du skyrunning » et me demandent le chemin et le temps jusqu’au sommet (dit Coco, tu ne t’ai pas renseigné sur la course?) et qui en plus préfèrent prendre de l’autre côté de l’arête pour aller plus vite et se retrouvent coincés. Donc Bibi, il a du (ce qui est notre devoir en montagne) aller porter assistance. Et mettre sa vie en danger à cause de pierres branlantes…
Bref, il y a une vérité que l’on ne peut pas oublier : la montagne demande de l’humilité face à soi même et aux autres; ainsi que de l’expérience et de la connaissance. Qu’importe ta capacité physique.