Posté en tant qu’invité par l’Urbain:
En ces temps troublés, où nos amis grimpeurs se crèpent le chignon sur des questions d’engagement, d’éthique, et tout le tralala, il me parrait utile de réactualiser le fameux dessin de Samivel. La grimpe : comme on se la raconte derrière un clavier, comme on se ch… dessus 10m au dessus du dernier point.
N’y voyez aucune méchanceté. C’est juste pour rappeller que, les histoires d’idéologie, ça se discute à la maison ou au bistrot du coin. En situation, bien souvent, il est surtout question de peur, et contre ce fléau, les beaux discours ne sont d’aucune utilité.
Have fun !
Voie de la tour, double brêche du Gerbier.
Avec Thomas, nous cherchons la dernière longueur.
Cette dernière longueur, j’en attends beaucoup. Parce que, jusqu’à maintenant, seule la première longueur, et une demi-longueur vers le milieu, ressemblent à de l’escalade. Le reste, ça n’est que pentes herbeuses, rocher péteux et sentes à moutons. Pas de quoi s’en retourner le corps fatigué et le coeur comblé, dans le nuage de carbone et de métaux lourds qu’on appelle pompeusement Grenoble.
Thomas est partis à gauche, je m’occupe de la droite (foin d’idéologie politique là-dessous, la montagne étant un milieu fort peu politisé. Oui, bon, en faisant abstraction d’Herzog, Piaz et Mazeaud).
« Thomaaaaaaaaaaaas »
« Quoiiiiiiiiii »
« T’as trouvééééééé »
« Noonnnnn, et toiiiiiiii »
« Nooonnnnnnn »
#&$££*@§§ !
Ousqu’elle est, cette fichue longueur !
C’est donc bredouille que nous nous retrouvons, cinq minutes plus tard. Il s’agit de prendre une décision.
Si j’étais l’ouvreur, je prendrais ce beau dièdre, là, juste au dessus de nous. A vue de nez, je dirais que c’est là le plus facile. On dirait bien du V, du V+ à tout casser. Enfin, vue d’ici.
Le problème, c’est que je n’y vois aucun pitons, spits, goujons, coinceurs abandonnés, coins de bois, sangles moisies, bref, aucun signe de passage d’un quelconque écolo-alpiniste.
Que dit le topo ?
« Prendre un dièdre au-dessus, IV+. Remonter par de petites prises légèrement à gauche, passer un surplomb et sortir au sommet, IV. Le surplomb est en V ».
Bon. Vue d’ici, je dirais plutôt qu’il y a d’abord un mur, puis un long dièdre, avec un passage plus raide qu’on peut éventuellement qualifier de « surplomb », ça dépend de comment on voit la verticale (après tout, au pilier martin, Margueritat et Coupé parlent déjà d’un surplomb, qui n’est que vaguement vertical).
Donc, en intervertissant un peu l’ordre des passages, et en supposant que les prises sont « petites », ça peu correspondre.
Mais alors, #&$££*@§§, où sont les points ?
Je scrute, je scrute, et puis…
« Trouvé ! »
« Hein ? Où ça ? »
« Regardes : juste avant le dièdre, dans le mur à droite, il y a un piton ! »
« Dis donc, il est à 10-15m, ton piton… »
« Pas grave, si y’a rien, c’est que c’est rando. C’est le dièdre qui a l’air dur, et je te fiche mon billet que c’est truffé de pitons. »
« Ouais, ben on les voit pas, tes pitons… »
« Alors, c’est que c’est rando aussi ! Au pire, je mettrais des coinceurs. »
En effet, le mur de départ est facile, et j’adore engager quand c’est facile. Je grimpe beaucoup mieux quand je n’ai pas le droit de tomber. En plus, j’en met plein la vue de mon camarade de cordée. La classe. Il va voir ce qu’il va voir.
Arrivé au piton, j’ai deux mauvaises surprises.
La première : ce #&$££*@§§ de piton est de la pire espèce. Rouillé, et la tête vers le bas. Si c’est pour poser des pitons pareils, les gars, mieux vaut vous abstenir.
La seconde : dans le dièdre, qui n’a pas l’air commode, il n’y a rien. #&$££*@§§ !
Bon. Du calme. Après tout, je suis le roi de l’engagement. En tout cas, c’est ce que j’ai finement laissé entendre à mon camarade, afin de le rassurer quant au caractère TA de cette voie. S’il me voit faire demi-tour, ç’en est finis de ma réputation. Or, en ces temps de seconds de cordée maigres, j’ai encore besoin de lui.
Je clippe le machin rouillé sans quitter le dièdre des yeux.
En bas, Thomas s’inquiète.
« Alors, y’a des pitons ? »
« Oui… »
« Où ça ? »
« Heu… Je ne sais pas, ils sont cachés. »
« Tu veux pas redescendre, qu’on cherche ailleurs ? »
« Mais non, c’est là, j’en suis sûr ! »
Ce dont je suis sûr, c’est que si je redescend, je n’aurais pas le courage de remonter. Mais ça, Thomas n’a pas à en être informé.
Un bon coup de respiration, et c’est partis. A nous deux, dièdre de malheur !
#&$££*@§§ !
L’est coriace, le bougre ! La fissure est drôlement peu crochetante, et sur le mur de gauche, les prises sont rares.
Je m’élève péniblement de deux mêtres, les pieds en adhérence. Ouf.
Il est grand temps de mettre un coinceur.
Voyons voir… Celui-là ?
#&$££*@§§, trop gros !
Celui-ci, alors ?
#&$££*@§§ de #&$££*@§§, encore trop gros !!
Bon, tant pis, je met le vieux tout pourris que j’ai récupéré dans je-ne-sais-plus-quelle voie. Le coinceur réservé pour les urgences.
Mmmm… A condition que je ne tombe pas dessus, ça devrait tenir. De toute façon, si je traine trop longtemps dans les parages, mes mollets vont se mettre à trembler.
« Etienne ! »
« Quoi ! »
« Tu veux pas qu’on essaie ailleurs ? »
« #&$££*@§§ ! Pas question ! »
Il commence à me taper sur les nerfs, le Thomas. Il me fait pas confiance ou quoi ?
Bon. Concentrons-nous.
Le problême, c’est que je ne vois pas la prochaine bonne prise, celle qui me permettra de me reposer. Faire un pas dur, même en conditions « si tu tombes, Dieu décide » (et dans mon cas, la décision sera vite prise), ça me va, tant que je sais que je vais pouvoir décompresser juste au-dessus. Mais là, ça parrait bien continu. #&$££*@§§.
Inspire, expire, hop c’est partis.
#&$££*@§§ de #&$££*@§§, la fissure est de plus en plus merdique. Plus moyen d’y mettre quoi que ce soit : elle s’évase. J’ai pas l’air con, avec mes 36 dégaines et mes coinceurs. Si j’avais des friends, ça irait quand même mieux. Je progresse de plus en plus péniblement.
clong
« Etienne ! »
« #&$££*@§§ !!! Tu vois pas que je suis occupé ?? QUOI !!! »
« Heu… Ton truc, là… Il est tombé… »
Je me retourne précautionneusement. #&$££*@§§ de #&$££*@§§ ! Le coinceur s’est fait la malle !
Bon. Quoiqu’il en soit, c’est trop tard. Si je désescalade, on est dans la #&$££*@§§ jusqu’aux #&$££*@§§.
Ce coup-ci, c’est un combat à mort qui s’engage. Sans compter que je n’en suis même pas à la moitié des difficultés, et toujours aucun #&$££*@§§ de point en vue.
Allez, zou, qu’on en finisse.
#&$££*@§§ ! C’est de plus en plus dur ! Cette #&$££*@§§ de fissure à la #&$££*@§§ est toujours aussi #&$££*@§§. Je t’en #&$££*@§§, moi, du TA à la #&$££*@§§. Si ça continues, je vais me #&$££*@§§ dessus. #&$££*@§§ de #&$££*@§§ à la #&$££*@§§ de #&$££*@§§.
« Etienne ! »
« #&$££*@§§ #&$££*@§§ #&$££*@§§ #&$££*@§§ #&$££*@§§ #&$££*@§§ (…) »
« Heu, non, rien… »
Thomas, il fera un très bon marteau pour taper sur Margueritat.
« Escalades faciles »… Tu parles !
Tiens, ça y est, mes genoux font des castagnettes. Le dernier piton, il est plus près du sol que de moi. Comme ça, si je tombe, je ne l’arracherais même pas.
En bas, Thomas se dit que, continuer à m’assurer, ça ne sert plus à grand’ chose. A quelque chose, malheur est bon : il ne m’adresse plus la parole.
Enfin, j’en suis au dernier passage dur. Il me semble. C’est plus raide, et on ne voit pas la suite. C’est donc que ça se couche.
Ici, les prises sont plus franches. Vu mon état de décomposition avancé, c’est heureux. Allez, hop…
« #&$££*@§§ #&$££*@§§ #&$££*@§§ !! Mais qu’est-ce tu #&$££*@§§ ? »
Thomas est tellement mort de trouille qu’il en oublie de donner du mou. Le #&$££*@§§. Si je m’en sort, je lui #&$££*@§§ le #&$££*@§§, à ce #&$££*@§§ de #&$££*@§§.
Enfin, trentes bonnes minutes après mon départ, je sors des difficultés. Le sommet est tout proche.
Et là, que vois-je ?
Non, ça n’est pas possible, dites-moi que je rêve…
Dans ce dernier passage facile, juste sous le relais… Des #&$££*@§§ de #&$££*@§§ à la #&$££*@§§ de #&$££*@§§ de spits ! Tout neufs !!
#&$££*@§§ d’équipeur de mes #&$££*@§§ #&$££*@§§ je m’en vais te le #&$££*@§§ #&$££*@§§ #&$££*@§§ avec des #&$££*@§§ #&$££*@§§ et après je le #&$££*@§§ #&$££*@§§ et ses #&$££*@§§ je les donne au chien (…)
Il va sans dire qu’après ça, Thomas sera irrémédiablement perdu comme compagnon de cordée.
[%sig%]