Posté en tant qu’invité par l’Urbain:
J’ai réclamé. J’ai menacé. Me suis roulé par terre.
Finalement, mes parents se sont laissés convaincre, et je n’ai pas eu besoin d’égorger le chat (ç’eüt été dommage, c’était mon seul allié dans la maison. Mais bon, il a bien fallut que je me rabatte sur lui, mes frères et soeurs couraient bien trop vite).
Par une belle matinée de Juillet, la break familiale se gare devant le chalet d’un organisme dont je tairais pudiquement le nom. Je fais connaissance avec mes quatre compagnons de galère et nos deux encadrants, un guide et un aspirant. Dernières recommandations des parents. Inspection en règle des guides, ma mère étant particulièrement dubitative quant à mes aptitudes à survivre en milieu hostile. Il faut dire qu’elle me connait bien.
Sitôt mes parents partis, je fais subir aux encadrants un interrogatoire serré. Qu’allons nous gravir ? Couloir Couturier ? Cervin par le Hörnli ? Intégrale de Peuterey ? Je suis excité comme une puce. Enragée. La proximité des glaciers, terrains privilégiés de mes futurs exploits, agit sur moi comme l’arrivée subite d’un demi-gramme de poudre dans la narine d’un officier de police. Il me faut avant tout montrer à tous que, malgré mon jeune âge et ma carrure de gymnaste du cirque de Pékin, je ne suis pas né de la dernière pluie. Que je connais tous les sommets, leur altitude, les différentes voies, les auteurs des premières et le prénom de leurs grand-mères. Curieusement, je ne récolte pas l’admiration tant recherchée, mais serais dès lors affublé d’un gentil surnom : le petit dictionnaire.
J1 : Ecole d’escalade, histoire de voir un peu quelles sont nos compétences. Pas de chance, la pluie arrive, et nous n’aurons le temps de faire qu’une longueur chacun. La descente, sur un sentier boueux, sera tout de même assez éclairante, puisque chacun y va de sa petite glissade.
J2 : Pour notre premier sommet, les guides ont choisis les dômes de miages en traversée. Je suis très surpris par le poids de mon sac à dos : baudrier, quincaillerie, crampons, piolet, eau et nourriture… Et encore, on m’épargne la corde. Mes os, encore mous, n’auraient sans doute pas supporté.
Arrivé à Tré-la-tête, j’ai mon compte. Seule la vue du glacier, tout proche, me permet de rester encore debout. Après le sandwich, nous repartons. Une bonne demi-heure pour s’encorder. Mon premier glacier… si ce n’était le poid du sac, je serais en plein rêve. La fatigue s’évanouit. On contourne quelques crevasses, sautant les plus petites. Hélas, le glacier est vite traversé, et nous revoilà sur un sentier caillouteux. Beaucoup moins drôle, d’autant que ça monte sec. Je serre les dents. En arrivant aux conscrits, la vue se découvre d’un coup. Il me reste heureusement assez de souffle pour pérorer. Là, c’est l’aiguille des glaciers, à gauche, la lée blanche. Au fond, les aiguilles de tré-la-tête et la tête carrée. Tout le monde regrette de n’avoir pas marché plus vite, seule solution pour me faire taire. Repas, puis nuit agitée. Demain, c’est le grand jour.
J3 : Petit déjeuner. Je fais le difficile : pour moi, c’est chocolat poulain ou rien. Or, il n’y a pas de chocolat poulain. Tant pis. Je pars le ventre vide.
Sur le glacier, quelle ambiance ! Petit vent frisquet. Seul le crissement des crampons romps le silence. Le halo de nos frontales éclaire vaguement nos pas, tandis que les sommets se découpent dans le ciel étoilé. Nos guides, demi-dieux de la montagne, ouvrent la marche d’un pas sûr.
En arrivant au col des dômes, le soleil se lève, le vent aussi. Mon camarade de cordée voit son pancho de K-way partir en lambeaux. Ne subsiste que la capuche, et une mignonne petite collerette autour du cou. Le reste se répartis entre tête carré et col infranchissable. Un pancho, c’est coupe-vent, sauf si le vent le découpe.
Vu mon état - un savant dosage de fatigue et de froid - nos mentors décident de shunter le point culminant, et d’aller directement au col de la bérangère via les fameuses arêtes. Le vent fait rage, et les arêtes sont bien cornichées. « Ambiance himalayenne », décrètent les guides, en fins experts de la psychologie enfantine. Hélas, ça ne suffira pas à me faire taire, et la baie de Tré-la-tête résonne bientôt de mes gémissements les plus déchirants. Mes plaintes ne s’arrêteront qu’en vue du col de la bérangère, quand il devient évident que la montée est derrière nous.
Au col, il s’agit de prendre une décision : remonter à l’aiguille de la Bérangère ? Le petit jeune ne tiendra pas le coup. Descendre par armancette ? On a laissé deux-trois affaires aux conscrits. Refaire la traversée dans l’autre sens ? Cf objection n°1. Ne reste qu’une solution : le rappel versant Tré-la-Tête, dans du terrain mixte fort raide. Partis pour une course neigeuse, nous n’avons pas de casques. Le guide installe donc un relais, non sans engueuler copieusement tout stagiaire qui s’intéresserait de trop près à ce qui nous attend.
L’aspirant part le premier. Arrivé en bas, il met un peu trop de temps à se décorder. « Mais qu’est-ce que tu fous, p… !! » Dans le vent, il nous semble bien que l’aspirant veut nous dire quelque chose, mais impossible de comprendre. C’est mon tour. Après quelques bonds disgracieux, j’arrive a proximité de l’aspirant, qui ne daigne pas lever la tête, ne viens même pas m’aider à défaire ce noeud trop serré. Je finis par libérer la corde, et m’approche de lui. Il est drôlement recroquevillé. Je sens bien qu’il y a une testicule dans le potage. Quand, enfin, il semble m’apercevoir, la première phrase qu’il prononce me laisse perplexe : « Je suis comme Renaud : j’ai l’armée rouge qui défile dans ma tête ».
En fait d’armée rouge, l’aspirant vient de se prendre un joli cailloux en pleine tronche. Comme un malheur n’arrive jamais seul, après l’arrivée successive des stagiaires puis du guide, impossible de rappeler la corde. Le guide remonte, ré-installe le relais, redescend… rien à faire. Cette foutue corde a décidé de rester là. C’est donc à 7 sur une corde, avec un aspirant infirme et un stagiaire épuisé (je m’écroule tous les dix pas) que nous reprenons la descente. L’arrivée aux conscrits survient à une heure assez avancée. Le guide prend alors une décision curieuse : pendant que l’aspirant se fera recoudre, les stagiaires descendront seuls comme des grands. « Vous verrez », nous défie-t’il, « on vous aura vite rattrappé ». Chiche ! C’est donc au pas de course que nous prenons la direction de la vallée. Autant dire qu’on ne s’encorde pas sur le glacier. Malgré notre allure effrénée, quand nous arrivons au parking, les guides sont là… Les salauds connaissent tous les raccourcis.
J4 : Ecole d’escalade. Le temps est clément. Tous les stagiaires y vont de leur longueur en V, de leur rappel… Les guides sont rassurés : nous sommes mûrs pour notre première voie rocheuse.
J5 : Montée, en téléphérique (oui, mais là, j’étais trop jeune pour décider), au plan de l’aiguille, où nous nous installons pour le bivouac. Une fois de plus, je ne peux me retenir de présenter les montagnes environnantes à mes compagnons, résignés. C’est peut-être ce qui me vaudra d’avoir à me relever la nuit pour remonter la tente.
J6 : Petits charmoz, pilier SW.
Une sorte de record, puisque, dans cette voie d’à peine 200m, nous mettrons plus de 8 heures.
De cette course, je n’ai gardé que quelques souvenirs. La première longueur, côtée IV, dans laquelle tout le monde tombe. La longueur-clé, que je me contenterais de survoler (mon faible poids permettant au guide de me hisser tel un vulgaire sac). Une belle engueulade, quand un de nos encadrants s’apercevra de mon incompétence chronique en matière d’assurage (« Connard ! Ton copain, il est en train de faire du solo ! » Imaginez la gueule du copain en question…). Une chute, en tête et sur coinceurs, du plus doué de nos camarades. Mon extraordinaire aptitude à singer le vocabulaire des guides (à la première angoisse, je jure comme un authentique charretier). Nos vaines plaintes pour nous arrêter et manger un morceau (« Pas le temps ! »). Nous ne ferons même pas le sommet, ce jour là…
J7 : Ecole de glace. On se familiarise avec les crampons, les piolets, et les manipulations de corde. Tous les stagiaires y vont de leur petit mur en piolet-traction. Les guides sont rassurés : nous sommes mûrs pour notre première voie mixte. Décidément, ils sont longs à comprendre, ces deux là.
J8 : Le métier de guide, c’est pas une sinécure. Tous les ans, il faut se fader les mêmes grandes classiques : VN au Mont-Blanc, dent du géant, arêtes de rochefort… Quel ennui ! Aussi, je me garderais bien de leur en vouloir d’avoir voulu inover en choisissant, pour notre première course complête, un sommet un peu oublié, presque inconnu du grand public : le cardinal.
Je suis un peu déçu. Ce sommet, je ne le connais pas, et, à l’ombre de la prestigieuse aiguille verte, face aux mythiques drus, il ne fait pas le poids. Aucune photo, aucune mention, dans les 100 plus belles de Rébuffat. J’ai beau insister, nos encadrants refusent catégoriquement de nous mener sur la voie normale des drus. Il me faut bien avouer, au vu de notre performance aux petits charmoz, que s’ils avaient cédé, on y serait encore.
La montée à la charpoua est bien raide, et le sac, bien lourd. Ce foutu refuge ne cesse de s’éloigner. Quand, enfin, on y arrive, je suis dans un état proche de l’épuisement.
J9 : Réveil très matinal. Je découvre avec stupeur que, finalement, un mélange de thé, de flocons d’avoines et de muësli, c’est très bon. L’approche se passe bien, la rimaye n’oppose pas trop de résistance, et quand le soleil se lève, nous sommes déjà en vue de la brêche. Facile, trop facile… Bêtement, croyant la course terminée, je décompresse. Erreur : en haute montagne, on ne décompresse JAMAIS avant d’être sous la douche. Et encore, gare à la noyade. La fatigue me tombe dessus, brutalement. Les 50 derniers mètres me prennent presque autant de temps que les 300 premiers. Pour la longue pause à la brêche, c’est grillé… Pour la forme, on continue un peu, sur ce fantastique granit, mais la messe est dite : c’est pas encore aujourd’hui qu’on ira au sommet. Quelques rappels plus tard, nous revoilà à la brêche. Fatiguants, ces rappels : malgré le poids du sac, je ne suis pas assez lourd, et il me faut forcer, dans ces dalles peu raides, pour parvenir à descendre.
Pause casse-croûte bien méritée, au soleil, panorama à couper le souffle (comme si on avait besoin de ça).
Puis c’est la descente, versant Talèfre. La neige est bien molle, les rochers, foireux. Tu parles d’une quintescence. Quand on arrive à proximité du glacier, il faut se rendre à l’évidence : ça ne passe pas. On remonte. Les stagiaires sont au bord de la rebellion. Faut-il tenter un coup d’état ? Finalement, le deuxième essai s’avère fructueux, et un dernier rappel nous pose sur le glacier. L’après midi est bien avancée, la neige devient lourde, les crampons sont prestements rangés au fond du sac. Après tout, on est sur l’autoroute couvercle-whymper, le genre d’itinéraire qui tient en une phrase dans le topo (« rejoindre la rimaye, 2h »), il ne peut rien nous arriver. Ha ha ! Tralala, promenons-nous sur les glaciers, pendant que la crevasse n’y est pas.
Juste avant de rejoindre la moraine, la cordée stoppe brutalement. Bigre. Plus de neige, dans cette dernière pente, la glace est vive. Diantre. Allons-nous devoir remettre les crampons ?
Pendant que les encadrants discutent l’affaire, nous nous asseyons. Affaissons, même. Les histoires de pros, on s’en bat l’oeil. Laissons-les à leurs débats d’experts. Nos esprits vagabondent. Tiens ? Le whymper à l’air en conditions. Tu vois, d’ici, on voit bien la VN aux droites. Qu’est-ce qu’on mange, ce soir ? Non, je ne te donnerais pas un bout de mon Mars, tu n’avais qu’à te rationner.
Au milieu des babillages, c’est à peine si on entend l’aspirant décréter : « le mieux, c’est de courir, on ne glissera pas », avant de s’élancer à fond de train dans la pente glacée. Regardez, les gars ! Il va se planter, c’est sûr. Marrant, cette corde qui… BON SANG, ON EST ENCORDES !!!
Pris de panique, le second de cordée s’élance à sa poursuite. En troisième position, je m’élance à mon tour. Le quatrième, mal réveillé, n’a que le temps de se lever… PAF ! Il est propulsé, les quatre fers en l’air, dans la maudite pente. Tandis que je coure comme un dératé, je le vois qui me dépasse, allongé sur le dos. Il a l’air très surpris. Je ne le suis pas moins.
Du calme, l’Urbain. Cette manip’, tu l’as souvent faite. Dans tes rêves, certes, mais il n’y a pas de raison que ça ne fonctionne pas en vrai. J’empoigne fermement le piolet, à la une , à la deux, HOP ! Je me jette à plat ventre, et d’un coup sec et précis… constate que le piolet ne fait qu’écorcher cette glace décidément très peu coopérative. Entrainé à mon tour, j’essaie en vain de freiner notre chute. Avec le piolet, mais aussi les ongles, les dents… Me revient curieusement en mémoire la légende d’une photo, dans un Paris-Match relatant l’accident au couloir cordier : « dans la neige, la trace de leurs piolets désespérés ». Le stagiaire précédent est vite rattrapé, et emporté. Nous arrivons en bas juste avant l’aspirant, et finissons par nous arrêter sur un confortable névé. L’ordre de la cordée est inversé, le dernier se trouve maintenant en pôle-position. Tandis qu’il se relève péniblement, il se passe un phénomène curieux.
« Marrant, regardes comme j’enfonce ! »
En effet, il en a jusqu’aux genoux.
« Heu, j’enfonce encore… » Il ne rigole plus, et en a maintenant jusqu’à la taille. Hurlements des responsables : « La corde ! Tends la corde ! ».
Oui, bon, y’a pas le feu. Je ravale donc, et mon compagnon commence à s’extirper de sa mauvaise posture… Nouveaux hurlements : « Pas avec les mains ! Avec les jambes ! »
Hé, ho, vous seriez pas en train de vous foutre de ma gueule, des fois ? Qu’est-ce que c’est que cette histoire de jambes ?
Mes deux neurones, Robert et Sophie, se mettent difficilement au travail. S’envoient des informations. La lumière tremblotte, vacille, puis jaillit.
Ha, ok !
Je lâche tout et pars en courant. L’infortuné se ré-enfonce aussi sec, on ne voit plus que sa tête, ses épaules, et ses petits bras qui s’agitent nerveusement. Plus tard, il nous dira qu’à ce moment, regardant vers le bas, il a entre-aperçu le gouffre insondable… Finalement, la corde se tend d’une façon qui plait à nos mentors. Le miraculé remet les pieds sur la terre ferme, mais le bronzage n’y fait rien : il est tout blanc.
Après cet épisode, la descente passe très vite. Le couvercle, les egralets, la mer de glace… je ne me souviens de rien. Ce dont je me rappelle très bien, par contre, c’est qu’arrivant sous le montenvers, ma fatigue disparaitra subitement : le sentier est plein de touristes. Avec ma peau rougie par le soleil, corde et piolet bien en évidence, j’adopte tout naturellement l’attitude du noble Alpiniste. Regard froid. Epaules en arrière. Marche rapide (je suis encore en pleine forme), mais pas trop (il faut savoir s’économiser, le train est peut-être en panne). Les touristes se poussent respectueusement pour me laisser passer. Parfois, en toute humilité, je murmure « merci », sans aller jusqu’à tourner la tête (faut pas déconner non plus).
Le soir, c’est raclette-vin blanc. L’absence d’encadrement m’autorise plusieurs verres. Mon rêve est devenu réalité : je suis un Alpiniste.
J10 : Réveil difficile. Les treize heures d’effort de la veille passent mal. Ou alors c’est le vin blanc. Toujours est-il que je me verrais bien rester au lit toute la journée. Ce n’est, hélas, pas au programme.
La montée au refuge d’argentière, tout le monde pourra vous le confirmer, est de tout repos. De la station intermédiaire (hein ? Y’en a encore qui font cette portion à pieds ?), le chemin carrossable n’est pas bien raide, et, après quelques échelles rigolotes, on aborde le glacier tout plat. De là, on ne peut pas manquer le refuge : c’est cette sorte de grande barre HLM sous le glacier du milieu.
Cette marche d’approche toute simple restera pourtant comme un de mes pires souvenirs. J’en ai ma claque. Je n’ai plus envie. J’en ai soupé, des glaciers, de la neige, de l’altitude, du sac à dos… On ne pourrait pas refaire une école d’escalade ? Oui, le bowling, ça me plait aussi.
Par chance, on arrive assez tôt pour que j’ai le temps de m’en remettre. Ce qui me permettra de retrouver mon souffle, et de montrer à tous que le bassin d’argentière et moi sommes des amis de longue date.
L’absence de tente m’évite d’avoir à la remonter en pleine nuit.
J11 : Départ pour l’arête du Génépy. Je suis d’humeur maussade. Mon ventre fait de drôles de gargouillis, je me gratterais bien les intestins. Heureusement, après une approche bien brêve, les guides semblent ne pas trouver le départ, ce qui nous permet de nous reposer. Un piton est hélas bien vite localisé, et l’aspirant part en tête. Il n’en trouvera pas d’autres, et mettra un bon moment à faire cette première longueur. Entre temps, mon état ne s’est pas amélioré, et c’est en serrant bien fort les fesses que je pars à mon tour.
Dès la deuxième longueur, il faut se rendre à l’évidence : nous ne sommes pas dans la voie. Rien ne correspond. Nos responsables évacuent bien vite l’éventualité d’une descente en rappel : nous sortirons par le haut.
Le temps passe bien lentement, au relais. Je me retiens, car il ne fait plus de doute que j’ai chopé une bonne diarrée. Je demande, à plusieurs reprises, si je ne pourrais pas me soulager, mais l’exiguïté des rares plates-formes dissuadent les guides d’accepter. Quand la douleur est trop forte, je tape du pied en pleurnichant. Curieusement, quand je grimpe, la douleur est moins forte.
Enfin, du haut, me parviens la voie de l’aspirant : « C’est bon ! Je suis sur le plateau ! ». Je n’en peux plus, mes intestins sont en pleine débacle. L’aspirant m’assure que mes tourments sont bientôt terminés, qu’il ne me reste plus qu’à traverser jusque sous un dièdre, puis le remonter. Je commence donc la traversée, en faisant de tous petits pas, un accident est si vite arrivé. Malheur ! Le dièdre fait bien 30m, et n’a pas l’air commode… Dans mon état, c’est impossible. Résigné, je préviens donc que je ne peux plus attendre, et que j’enlève pantalon et baudrier. Malgré les invectives et les grognements, je m’exécute immédiatement. La pauvre corde est outrageusement souillée.
Après ça, la descente me parrait de tout repos. C’est plutôt chouette, la montagne, quand on a pas les tripes en vrac.
Au refuge, je suis de corvée. Nettoyage de la corde.
J12 : La nuit est agitée. Un orage dantesque secoue le refuge une bonne partie de la nuit. Les éclairs, claquants comme des coups de fouet, se succèdent à un rythme tel que les insomniaques m’assureront qu’on y voyait comme en plein jour. Mais il en faut plus pour me réveiller.
Au matin, nous constatons que le temps s’oppose à toute sortie en montagne. Il est donc décidé de redescendre sans plus attendre dans la vallée.
Le glacier d’argentière à bien changé depuis l’avant veille. La pluie l’a lavé de toute trace de neige, et il se présente sous la forme de jolies petites vagues bleutées. De la glace vive. Des japonais sont en train de mettre leurs crampons. Nous nous arrêtons pour faire de même, mais les guides ne l’entendent pas de cette oreille. Des crampons ! Allons donc ! Il est tout plat, ce glacier, on ne va tout de même pas mettre des crampons pour ça ! D’autant qu’après, il faudra les enlever. Non, vous verrez, on sera de l’autre côté qu’ils n’auront toujours pas finis de les mettre, leurs crabes.
Ainsi, tout était trop simple, et sans cette décision sans appel, nul doute que cette journée aurait tranché sur le reste du stage…
La traversée tourne très vite au carnage. Les première chutes font rire tout le monde, mais quand chacun se fait une béquille de chaque côté et a le coxis en morceaux, je vous assure que ça ne fait plus rire personne. Sauf les japonais, qui nous passent devant alors que nous n’en sommes pas au tiers…
La dernière partie de rigolade, ça sera quand, dans la dernière pente entre les crevasses, l’aspirant se mettra à tailler des marches. Nous étions encordés, et à mon avis, la chute de l’un d’entre nous aurait prestement entrainé toute la brochette dans le trou.
J13 : repos, temps pourri. La veille, j’ai passé un coup de téléphone aux parents. A la question « alors, ça se passe comment ? », je n’ai pas sû me retenir bien longtemps. Du coup, les voilà qui rapliquent. Entretien tendu avec les responsables. Je ne sais plus où me mettre. Mais j’aurais quand même gagné quelque chose dans l’affaire, puisque je serais désormais autorisé à rester au sol pendant que mes camarades s’envoient en l’air.
J14 : Mes compagnons vont faire une voie du côté du marteau. Je me repose dans l’herbe. Sieste bien agréable. Je médite calmement sur les évenements de ces derniers jours. Pour ma future carrière de guide, il faut se rendre à l’évidence, c’est rapé.
Curieusement, leur voie se passe très bien. Pas de chute, pas de caillou sur le coin de la gueule, pas d’explosion de l’horaire. Même pas la moindre erreur d’itinéraire. Comme quoi, j’ai bien fait de ne pas y aller.
Fin du stage.
Et après ?
Ben, la même chose.
Mais gratuit.
[%sig%]