Posté en tant qu’invité par Michel:
800 mètres TD en face Sud, ouverte en 1935 avec 3 pitons,
« dans ce degré de difficultés, c’est probablement la plus belle escalade du massif » [1],
« complétée par la traversée des arêtes, une course de rêve » [2].
Comment ne pas faire confiance à de telles descriptions dans le choix d’une escalade en terrain d’aventures ? La voie est maintenant équipée avec une vingtaine de pitons en place et n’a pas subi depuis de rééquipements. Pour une telle ascension, il semblerait qu’il faille dégager une grosse journée d’été car les horaires indiqués sont de 6 à 8 heures auxquelles il conviendra de rajouter quatre heures pour la traversée des arêtes plus la marche d’approche. De plus le sommet frisant les quatre milles d’altitude, il convient de prévoir un équipement en conséquence.
Nous décidons donc de consacrer en 1999 un week-end du mois de juillet à cette belle ascension qui nous promet a priori beaucoup de satisfactions. Le week-end du 24 s’annonçant fort anticyclonique, nous programmons la course pour le samedi sachant cet itinéraire relativement fréquenté. Reste à régler les problèmes de points de départ, d’équipement à emporter, bref les préparatifs indispensables.
Je pensais pouvoir tout faire tenir dans un sac léger, mais rien à faire, il faudra bien que je me charge d’un sac de 35 litres pour pouvoir y loger l’ensemble du matériel (veste Goretex, crampons légers, piolet, casque, gourde, gants, frontale, chaussons, 4 friends, un jeu de cablés, 3 pitons, 10 mousquetons, des sangles, une broche, le casse croûte…) ; même au plus léger, ça reste lourd sur le dos pour les jours à venir.
Nous montons donc dormir le vendredi soir au refuge du Chatelleret où l’accueil de la famille Paquet est toujours aussi chaleureux. Un bon dîner, un regard vers « notre » face Sud omniprésente dans la vallée des Etançons, … notre petit déjeuner sera prêt dans la salle à manger pour notre départ à 3 heures. Après cette courte nuit, nous quittons discrètement le refuge dans une nuit noire pour remonter la longue moraine. Tout en cheminant dans ce petit matin, je guette l’activité et les lampes si présentes du refuge du Promontoire ; de façon étonnante, je ne vois rien du coté du pied de la face Sud. À l’attaque, il faut bien nous rendre à l’évidence, nous serons seuls dans cette grande face Sud : étonnant et merveilleux à la fois, c’est pour moi une divine surprise. Les premières longueurs dans le froid, l’humidité et les premières lueurs du jour sont toujours aussi désagréables, mais aujourd’hui la journée s’annonce tellement belle ! Nous traversons le fauteuil vers la droite en alternant neige, rochers et terrasses d’éboulis pour rejoindre le beau granit sur lequel se déroule l’escalade.
Nous alternons les longueurs en posant quelques friends et cablés aux relais ou dans les longueurs, mais dans l’ensemble la voie est bien équipée en clous. Le soleil nous rejoint enfin et il est alors très agréable de s’arrêter sur une terrasse pour en profiter. Plus haut, nous nous fourvoyons et Jean escalade directement le surplomb vert, rude passage dans lequel les vieilles cordelettes aident bien. Pour avoir gravi deux fois la voie il y a plus de vingt ans, je me souviens bien que le bon passage est plus à gauche, mais une fois engagé il est bien difficile de le rejoindre ! La vire du glacier carré nous donne l’occasion d’un nouvel arrêt contemplatif et gastronomique.
Le granit laisse maintenant place au gneiss plus redressé mais mieux fourni en prises franches et parfois coupantes. Nos coinceurs et friends y trouvent plus difficilement leur place, mais complètent encore bien les pitons en place. L’escalade est un peu plus difficile, la fatigue aussi certainement, l’altitude… et la progression se fait un peu plus lente. Petite brèche de l’arête sud, les difficultés sont derrière nous, mais les cent derniers mètres ne sont pas à négliger. Les longueurs de corde font maintenant plus de 50 mètres et seule la panne de matériel nous conduit à faire relais. Une heure plus tard, nous sommes seuls au sommet de la Meije avec La Grave au pied. Un tel moment se savoure.
Puis nous nous décidons à quitter ce lieu chargé d’histoire pour traverser ces mythiques arêtes. Rappels, crampons, neige, glace, câble bienvenu pour cette traversée en face Nord, les pieds dans le couloir Gravelotte (encore un bon souvenir), les dents s’enchaînent. Remontée au doigt de dieu, quel balcon, quel surplomb ! Nous parvenons en fin d’après midi au refuge de l’aigle ; beaucoup d’alpinistes profitent de la fin du jour dans ce havre sécurisant.
Que faire ? descendre sur la Grave, continuer vers le Pavé et le Gaspard, prolonger par une nuit dans le plus haut refuge du massif cette course qui nous a remplis de plénitude. C’est la fatigue et le projet de repasser la brèche de la Meije le lendemain qui emportent la décision. Nous profitons donc de la soupe du gardien, du merveilleux coucher de soleil, avant de rejoindre nos places « sous la table ». Le lendemain 5h, un dimanche matin ordinaire d’alpiniste, quel plaisir de finir sa nuit dans un refuge maintenant presque vide.
Le Serret du Savon est dans un sale état (pierrailles, couloir raide), un mauvais moment à passer. Le parcours du glacier de la Meije, au pied de la face Nord nous laisse entrevoir des points de vue insoupçonnés ; quel merveilleux parcours de montagne dans une solitude que nous apprécions. Le passage de la brèche de la Meije nous ramène dans un univers plus civilisé. La descente des Etançons se fait quelque peu à reculons en regardant souvent derrière nous le beau parcours effectué la veille.
Une si belle course se termine par un bon bain dans le Vénéon pour évacuer les deux jours de transpiration et se présenter plus propre dans la vallée.
[1] JM Cambon, Oisans nouveau, Oisans sauvage.
[2] G. Rébuffat, les 100 plus belles courses du massif des Ecrins.
Texte déja paru, en version tronquée, dans une revue du CAF Isère. Je me demande comment ils l’ont eu et pourquoi ils ont coupé le sommet : un mystère… ou mon disque dur qui fuit