Souvenirs Matheysins : " Pâpo, Jean, Mélie " ...VII

Posté en tant qu’invité par AlbanK:

Par delà les horizons

Jeunes, on est tous pareils
On prend des airs.
Nos yeux qui en ont déjà vu, tant et tant.
On frôle du regard les Droites, on effleure les Bancs, le Tour Ronde, la Directe Walker…
On a dans le regard des reflets de Pamir, blasés d’ Ama Dablam ou de Kangchenjunga…

Faut avoir l’ air détaché, surtout devant les filles.
Les filles, parlons-en.
Quand je croisais le Françoise G, à la piscine, son corps de danaïde, fusain aux larges épaules des nageuses, je ne rêvais plus du tout aux montagnes…

Mais là, mon regard, il se posait bien sur les platanes de l’ hôpital avec au fond, la tête de la Grisonnière pour me rappelait qu’ ici, c’ était pas l’ Annapurna.
Ici, c’ était La Mure, l’ hôpital de La Mure, voire même de La Mûûûre, de gû, pour préciser exactement.

Les deux blâfards, ils se tenaient au garde-à-vous derrière l’ Yves Robert.
Le second apparemment, il n’ aimait pas trop la chirurgie, je dis ça à son teint à peine jaune…

Moustache, clac clac, il avait enfilé ses gants d’ assasssin autour de ses mains d’ étrangleur.
J’ étais pas fier…
On ouvrit le bal.

Equipé d’ une abominable tenaille ( gn…snak ! ), le voilà qui sectionne tout le restant d’ ongle.

" Ça fait mal quand ça repousse, mais ça repousse, comme des queues de lézards !!! "qu’ il glousse, " Hohohoh !!! ", qu’ il rajoute, goguenard.

Le deuxième bachoteur, il est pris d’ une soudaine envie de pisser, tiens, juste au moment où l’ ogre me conseille :
" Regardez pas, c’ est que de la viande, hohoho !!!" , qu’ il rajoute, à nouveau.

L’ autre courageux, il reste là, la seringue en l’ air, il vient de gagner ses galons de caporal, Champagne …

" Bon alors, expliquez-moi, jeune homme, ch’uis curieux de savoir " ( Yves Robert ).

L e néo-caporal, il lui psalmodie le verdict urgencéen…

( Yves Robert ) " Ah, en montagne ? " ( par devers moi ) " une belle chute, n’ est-ce-pas ? "

Il veut des détails, il m’ assaille avec curiosité, faut que je me couche.
Je m’ y mets, doucement, sur le tapis vert, " gros yeux " à l’ écoute, la moustache en alerte, frémissante…

Méfiance, j’ en rajoute pas de trop, dehors, la pluie, tambour, confirme.

" Ouais ouais ouais…" ( Yves Robert ) pensif ( m’ avoue )…

Il aime beaucoup les montagnes, qu’ il m’ avoue, ciseaux en suspens…

Et le voilà qui démarre :

Rateau, Ruine, Pelvoux, il envoie en douceur, Sirac, Bure pilier Ouest, ça monte à chaque coup, Meije troisième dent, Grivola, Verte, Supercouloir, Grand Capucin, sur un plateau…

C ‹ est pas qu › une moustache aux gros yeux, c’ est un crack !

Je la boucle, je m’ épate, il m’ a à la bonne !!!

Il y retourne : des nuits, des bivouacs impromptus, des relais sous la neige, rappels célestes, pointes griffants le granite gelé…

Celui-là, il avançait sur du velours, il jouait à la belote avec les anges, il embrassait Dieu sur la bouche …

Il me sortait ça, sans frime ni godrillole, du miel, en sorte.

" L’ âme de certains individus m’ empêchera toujours de ne plus totalement croire en Dieu " …

Il m’ a refermé, finalement, avec beaucoup de patience, de minutie et de fil noir.

En sortant, il m’ a serré la main, " prudence ", qu’ il a rajouté, ça, c’ était un peu fort, je ne m’ en suis toujours pas remis !!!

Tout ça, s’ était bien joli, mais pour Maman, ça suffisait pas.
Il fallait l’ avis du docteur B.

En Matheysine, les hommes, on les appelle " le père machin ", tiens, mon grand-père : le père S ( toujours à rigoler ! ), et puis le charcutier, le meilleur, le notre : le père N( tu le prends où le murçon toi? ben, chez le père N bien sûr !! Et les caillettes ?, ben, pareil, allons… ), et même mon Papa, le père K, ou bien le curé : le Père Bonnet, celui-là, je mets son nom, on aura l’ occasion d’ y revenir…

Concernant le docteur B, on disait plus " le père " du tout, là, on disait " le docteur B ", et pas autre chose…

Le docteur B dirigeait le dispensaire médical des houillères, à La Mure.

Le dispensaire, c’ était un système amusant : dans le même bâtiment, on trouvait dentiste, ophtalmo, laboratoire, pharmacie et infirmerie.

Au dessus de ce monde grouillant et atypique officiait donc le docteur B, long et brun, grave aux paroles lentes.

Il a tout bien regardé, il m’ a palpé de tous côtés,non, elle pouvait être rassurée Maman, tout allait bien, il n’ y aurait même pas de séquelles, qu’ il a encore ajouté.

On est reparti serein.
Le docteur B, je le savais pas encore, c’ était là, la dernière fois que je le voyais.

Maintenant, il faut dire les choses et ne plus rien taire.
Il faur prendre le temps de se retourner, de venir à eux et d’ évoquer nos souvenirs, sinon, les morts, alors, ils meurent vraiment.

La vie, elle réservait de drôles de surprises aux B.

Le docteur B, donc, avait trois enfants : un gaçon et deux filles.

Les filles, on les connaissaient bien, avec mon frère.
L’ aînée était en classe avec moi, la cadette, avec mon frère.

La cadette ( appelons-là Justine, tant ce prénom m’ inspire d’ images libres ), la cadette donc, elle était toute en tempètes, portes qui claquent, ramarques cinglantes, mots qui fusent.
Gamine, je veux dire en sixième, elle était insurportable.

En fait, c’ était une tronche, une poète-femme, toujours à fleur de peau, à fleur de coeur, à se déchirer l’ âme.

Elle avait un ami, plus tard, ils deviendront amants.
Justine, elle brûlait, elle enrageait de sa vie, elle voulait sortir de sa peau, de son siècle, de son histoire.
Docile, son compagnon la suivait, l’ écoutait, la comprenait.
Il devançait ses délires, sa folie, s’ arrangeait du monde et lui arrangeait le monde.

Enfin, ils se décidèrent, tous deux, inséparables, c’ était irréversible.

Il faut y aller en douceur, avec cette histoire, ça a déchiré la toile, carrément, c’ est toujours pas recousu.
Il ne faut pas en rajouter, simplement trouver les mots, les mots justes, les mots vrais.

C’ est un ami à moi qui les a trouvé, en montagne.

Ils étaient montés en voiture aussi haut que possible.
Ils avaient calfeutrés les ouïes, portières et tous passages d’ air, de l’ intérieur.
Ils étaient montés là avec pour compagnons une bouteilles de gaz ou deux, je ne me souviens plus, somnifères, whisky…

C’ était l’ automne.
On les cherchât longtemps.
Une fugue, assurément, pour un Pérou pas si lointain, un Eden enfin découvert, enfin, je le leur souhaite.

On les a trouvés en juin, l’ hiver et le printemps avaient fait leur oeuvre.

Tout en fut changé, il n’ y aurait plus d’ innocence.

Le temps ne s’ arrête pas pour si peu…

Le docteur B, grand étourdi et amateur de delta-plane, oublia un jour de se sangler.
Il tomba du ciel comme une pierre, dans la montagne, pauvre Pierrot brisé, parti rejoindre sa fille qui n’ avait pas trop d’ avance encore…

Madame C, son infirmière qui travailla 25 ans à son côté me l’ a assuré :
" Non non non Alban, c’ était un grand étourdi, je le connaissait bien moi,on a dit n’ importe quoi, vous savez… "

La douce madame C, c’ est une amie de Maman, alors, elle m’ aime beaucoup, on parle de tout ça, avec elle, on peut.

Vieillir, c’ est s’ apercevoir que, petit à petit, les vivants laissent de plus en plus de place aux morts.
Doucement, ils se retirent, et entrent les morts.
Les voilà, les gentils morts, les nôtres, ils arrivent sans faire de bruit, s’ installent dans notre quotidien.
Bientôt, on est plus entouré que de souvenirs.

Le Clapier du Peyron fut enlevé avant midi, ce neuf septembre, joyeux anniversaire, Alban.

On était monté au sommet de son invraisemblable pierrier, mollets en feu, souffle coupé, plus de jambes, plus de reins, plus de rien…
On y trouva un couloir caché, merveilleux ascenceur en L.
Il nous déposa au pied d’ une dalle fracturée dans maëlstrom minéral en délire.
Un pas de IV, engagé cependant, et une cheminée étranglée, enfin, le sommet et puis le monde entier à nos pieds.

C’ est l’ instant magique, où même les autres sommets, plus hauts paraissent s’ incliner devant nous, le monde, l’ univers avec l’ Olan en enfilade.

Allez-y en haut des montagnes, le neuf septembre, je vous y ai laissé des choses tendres.

On est redescendu par les arêtes, c’ était vraiment un moment terrible d’ altruisme et d’ harmonie.

Et puis Jean, il vécut son rêve, au pays des montagnes vierges.
La contrée des " graviers noirs " , au royaume des Latok.

C’ est Maman qui me l’ avait annoncé :
" On a une bien mauvaise nouvelle, mon petit ", qu’ elle m’ a dit, comme ça…

Sur ces glaciers lointains, dans ces pentes mauvaises, ces ponts de neige inconnus, ces rimayes béantes…

Un jour, ça s’ est ouvert, là, sous tes pieds.

Ça n’ a pas tenu, la corniche.
Le balcon de Chantilly, il a craqué sous ton poids d’ ours.

Jean, mon Zean, tu es parti dans les tréfonds, ça te suffisait donc pas ici ?

Chez nous, les montagnes portent des noms de filles ou de fleurs, Myriem, Henriette, Marguerite…

Jean, elles t’ ont englouti, ces montagnes aux noms étranges.
Des noms comme des armes, qui font peur et qui font rêver.

Jean, ô mon Jean, tu es parti, là-bas, te faire dévorer par les glaciers horribles, dans cet hiver perpétuel.
Ta carcasse n’ a pas fait le poids, au fond des précipices.
Chaque jour, un soleil inhumain éclaire ton cadavre disloqué, Jean, mon copain, mon pote, mon ami…

Quelle idée terrble, quelle folie stupide, Jean, putain, tu es mort, mon vieux, infiniment mort, et pour toujours.

Je ne verrai plus jamais ta figure, plus rien de ton rire, et avec qui, maintenant, me souvenir de tout ?

Tu nous a laché Jean, tu y es resté là-bas, on ne t’ a jamais retrouvé.

Il fallait bien le dire Jean, ne plus se taire.

Nul tombeau ne porte ton nom.

A Chantelouve, là, juste à l’ entrée, l’ autre année, c’ était un jour d’ outre-septembre.
Un vieillard appuyé sur le vent.

Je traversais en voiture, pas le temps de m’ arrêter, on m’ attendait.

"-Oh, Pâpo !, j’ ai crié par la vitre baissée.
-Oh !, qu’ il m’ a répondu…

Ses yeux morts, et puis son geste, comme ça, comme pour un départ…

FIN

… à Miou, sinon, à qui d’ autre …

[%sig%]

Posté en tant qu’invité par l’Urbain:

Ha, c’est malin, comment je vais dormir, maintenant ?
Déjà que, enfin, bon, je ne sais pas, ça doit être dans l’air, il parrait qu’on est nombreux à penser à nos morts, en ce moment, sur c2c.

Enfin, c’est bien, tu nous as accouché d’un bel enterrement. Vivement la prochaine, tiens.

Posté en tant qu’invité par Flo:

Ton histoire est un très bel hommage à ton ami Jean! Bravo!

Posté en tant qu’invité par hervé57:

Bonsoir Albank,

tu nous livres là un récit et un hommage vraiment touchants…

Posté en tant qu’invité par norbert:

Salut AlbanK

Sans déconner, les pages du PEAM (wo peup de gu, le pim) te sont grandes ouvertes.

Posté en tant qu’invité par pierre:

Outch !
Dans le plexus !
En plein dans le mille !
Pfffff …

Merci bien, l’Alban.

Posté en tant qu’invité par AlbanK:

Il y avait un " petit mot " pour toi dans le numéro VI …

Posté en tant qu’invité par AlbanK:

Je leur enverrai bien un p’tit scribouillou, mais où ???

Posté en tant qu’invité par Flo:

Garde donc ton talent pour nous, lecteurs de C2C.

Posté en tant qu’invité par AlbanK:

Oui mais le PEAM, pour un Matheysin, c’ est l’ honneur suprême …

Posté en tant qu’invité par pierre:

Je l’avais bien vu !
J’en fus bien honoré.
Et je t’ai répondu … dans le sujet de J.P. : « Qu’est ce qui m’arrive ?.. ». Sous un pseudo un - petit - peu plus anonyme que celui que j’utilise maintenant, mais qui me paraissait transparent, compte tenu de notre discussion antérieure.

Trêve de mondanités sous forme de jeu de piste, et puisque j’ai retrouvé mon souffle après ton uppercut, je m’en vais de ce « clic » relire ton bien beau texte……….

C’est étonnant comme parfois on trouve chez autrui des résonances de sa propre histoire. Et c’est encore mieux lorsque c’est bien écrit !
Pour paraphraser « qui-tu-sais » :
« Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les posts se répondent."

… Qu’il veuille bien me pardonner !

Posté en tant qu’invité par Marcel Demont:

AlbanK: grandiose, tout simplement.
Un grand merci.
Marcel.

[%sig%]

Posté en tant qu’invité par steph:

Quelle plume!
et quelle resonnance a tant et tant de pensées.
merci

Posté en tant qu’invité par AlbanK:

Y’a pas’d’quoi, franchement, tu vas me faire rougir !!!

Merci pour ce gentil compliment, heu… critique !!! on parle littérature ou quoi ???

;-))

Posté en tant qu’invité par nico:

Pour envoyer un truc fo contacter Nico la mulasse, laisse moi ton mail sur mon mail et jte filerai le sien. Tout les textes matheysins sont les bienvenus.

Posté en tant qu’invité par AlbanK:

En cliquant sur mon nom, tu accède à mon @-lien, transmets-le à Nicolamulasse, pas de problème.

Mais, encore faut-il que ça intêresse quelqu’ un !!!

Amitiés Matheysines, AlbanK

Posté en tant qu’invité par AlbanK:

Oups !!
PS : j’ ai oubliais de te dire que C2C a mon accord pour publier mes " p’tits moments " sur la rubrique " articles ", à l’ option " récits ".

Merci.

Posté en tant qu’invité par visse:

Emouvant !!
C’est vrai qu’il faudrait un récapitulatif. Aussi continue à nous parler de cette région trop peu connue

Posté en tant qu’invité par jc:

Merci pour ce récit touchant. Tu nous régales dans un style très particulier.
jc

Posté en tant qu’invité par AlbanK:

Ben oui, mon cher jc, c’ est mon style…

J’ espère qu’il te plairas encore aux prochains opus, sans doute pas aussi empreints de tant d’ émotions…

Enfin, ça en a touché plus d’ un, comme quoi, comme le disait notre Pierre, on a tous des lieux communs.

Merci encore…