Posté en tant qu’invité par AlbanK:
" On est puceau de l’ horreur comme on l’ est de la chasteté "
L F Céline
Swan
C’ est Giono qui avait raison : les montagnes, quoi de plus docile ?
Tu les appelles, elles accourent, par centaine toujours prêtes, toujours au rendez-vous, à portée de la main.
Tu n’ as qu’ à décider, l’ embarras du choix en somme, des petites, des grandes, des rondes, des pointues, des montagnes extraordinnaires ou des montagnes toutes simples, comme vous et moi, toujours égales à elles mêmes…
Et puis, les montagnes, elles n’ ont pas ces sentiments : jalousie, haine.
Les montagnes, d’ une fidélité remarquable, inouïe, rien à voir avec les femmes, ou pire, les amis…
Je n’ ai jamais rencontré, je parle pour moi, des montagnes ourdissant dans l’ ombre quelque lugubre dessein.
Les montagnes n’ ont jamais tué personne, ni un homme, ni une bête, et encore moins une autre montagne.
Par contre, des hommes qui moururent en montagne, j’ en ai connu, trop connu parfois, là dessus, c’ est encore Giono qui a raison.
" Tu dors pas ? " que je me décide enfin.
Le Ramu, la nuit, c’ est comme un tombeau.
L’ obscurité la plus totale, ça a celà d’ effrayant qu’ on ose même plus bouger.
On quitte notre état humain, on devient ombre.
Pas de repères, plus d’ angles, de lignes, de murs…
Plus de corps.
On passe la main devant le visage, on ne la voit pas.
Les ténèbres nous ont absorbés, digérés, anéantis…
Ombres glissant parmi les ombres, néant, abîmes, invoquant d’ autres abîmes plus profondes encore.
"-Rhâeuuu…, qu’il fait, le Jean, hein, putain, c’ est quelle heure ? "
Et c’ est tout, le voilà reparti, submergé par la torpeur absurde du sommeil.
A nouveau la solitude.
La proximité audacieuse des montagnes, souvent, m’ empêche de dormir, Jean, c’ est pas son cas, assuremment.
C’ est agaçant, ce moment où Morphée, petit prétentieux à qui tous succombent, se laisse désirer.
Le barbu, à côté, il ronfle, en sourdine.
Moi qui avais besoin de quelque chose d’ humain dans ce goudron, je suis servi !
Ces confrontations débiles avec l’ insomnie, je les ai toujours redoutées.
C’ est par une de ces nuits illuminées que j’ ai pris conscience de mon état de mortel, depuis, je suis habité par une frousse de lièvre…
L’ insomnie m’ amène invariablement sur des rivages aux bornes incertaines, aux berges vagues, aux horizons nébuleux, où ma raison et mes souvenirs se mèlent, créant autant d’ avatars imprécis, rares, stupéfiants parfois…
Mon esprit baigne dans ce froid sirop, ça remonte souvent, comme un vomi…
La rancoeur et la ringue.
Ça faisait à peine deux ans qu’ avec Jean, nous était arrivé une aventure qui allait nous laisser un gout bien amer dans la bouche…
Tiens, c’ est bien le moment d’ y penser.
Deux jours cioncés là-haut, en face, entre la Tour Myriem et la Brèche Swan, à attendre un type, un sale con, un pourri, un vrai salaud en fait.
Partis Jean et moi du mardi, lui, devait nous rejoindre le mercredi dans la journée, lui, le pourri…
On avait prévu la Pointe Swan le jeudi matin, par un tracé nouveau.
Je vous parle de cette époque où, à Buoux, les côtations commençaient à exploser.
Le Verdon était hanté par d’ étranges funambules.
Les médias s’ y pressaient, la télé, avide et charognarde, y accourait, transbahutant au quidam des images ahurissantes, d’ un genre tout nouveau.
Sur les bords du lac de Ste Croix, on reconnaissait les camping-cars, les J7 trafiqués, toujours fushias ou à peu près.
A Moustiers, ils n’ étaient pas toujours bien vu, les zigues, d’ autant qu’ il y avait pas mal de " Parigos ", alors ceux-là, ils faisaient l’ unanimité contre eux.
Il y avait même des cons ( qu’ ils disaient les locaux ) qui peignaient des conneries sur les falaises, au canyon.
Parfois, ça fumait dur, j’ en atteste :
j’ ai pris un bon marron dans la poire, à Buoux, de la part d’ un zèbre du crux, assez excité, venu tout droit de Lourmarin afin de régler la musique.
Le toit de son cabanon ( à Buoux ) parait-il, il l’ avait trouvé bien défoncé, à cause des pavasses qu’ on faisait dégringoler, qu’ il disait, le con.
J’ ai pas pu m’ empécher d’ ouvrir ma gueule.
De retour, on m’ avait pété le pare-brise de l’ AMI 8, elle n’ était pas à moi, allez expliquer après ça…
En attendant, à Ste Croix, il y avait du soleil et puis aussi de jolies petites fesses se promenaient, il y avait, cette semaine là, précisemment, des types qui tournaient un reportage TV et d’ autres journalistes de certaine presse traitant d’ alpinisme et de randonnée, qui eux, faisaient des interviews et de belles photos.
Tous, ils s’ étaient donnés rendez-vous là-bas, au soleil.
Nous, le Jean et moi, on attendait, confiants, au Coin Charnier, les pieds dans la neige, à spéculer sur la valeur intrinsèque des cumulo-nimbus, sur leur persitance à nous oublier complètement…
Notre zigue, à nous, il allait bientôt arriver, qu’ on pensait, naïfs.
Vous le connaissez sûrement, le haut alpin, de Bib, Briançon, pour les intimes…
C’ est qu’ il grimpait fort, le lascar, à peine plus agé que nous, mais lui avait déjà sa petite renommée, sa " basse-cour ".
On commençait à se déplacer pour sa pomme, pour voir un peu ses enchaînements, admirer sa souplesse, sa lecture intuitive…
A vue, parait qu’ il était imbattable.
Son truc à lui, c’ était les blondes, avec des épaules, des hollandaises quoi, ou des boches.
A Embrun, qu’ on l’ avait rencontrait, le copain, on s’ était donné un beau rancard, là, à la Pointe Swan.
Evidemment, à Embrun, il y avait plus de blondes qu’ à La Swan, au Verdon aussi, ça se passe de commentaires.
Il collait, lui, il avait un vrai niveau, faut reconnaître, du coup, il nous avait un peu oublié, là-haut, sur notre caillou, dans notre involontaire hermitage.
Moi, les culottes gainantes, surtout fluo, et les sacapof violets, c’ était pas ma tasse de thé…
La verticalité, à partir d’ un certain degré d’ inclinaison et de gaz, ça me donnait les foins voire même une sacrée gerbe…
Avec les copains, on faisait plutôt dans le genre hors-GR , hors mode, hors tout, le genre " hors genre ", quoi…
Ce qu’ on appréciait avant tout, c’ était les gros amoncellements boîteux, les piles d’ assiettes branlantes, les écailles foireuses, c’ était pour nous, les trucs pourris, les paumantes hallucinatoires, les baquets friables, n’ en parlons pas.
On était des bouffes-névés, des mange-vires, des suce-glaciers, des petits mange-merdes en somme .
En tout cas, pour lui, le Briançois ( là, il se reconnait ), c’ est ce qu’ on représentait…
Le premier soir, on a eu la frousse tout de suite.
" Y veindra jamais ", que je me disais, en moi-même, et on se souriait bêtement, avec le Jean…
On avait hissé tout le merdier à deux, des tonnes, comme des ânes.
Jean, il en avait les épaules sciées.
Tout de suite, il y eu du vent, avec ce goût prononcé de froid à l’ intérieur.
Ça promettait…
à suivre…
[%sig%]