Pour Marcel Demont hip hip hip?

Posté en tant qu’invité par Marcel Demont:

Mid a écrit:

…HOURRAAAAAAA !!!

J’ai aussi lu son (un de ses??) bouquin(s?) et j’avais beaucoup
apprécié. Ca fait plaisir de retrouver sa prose colorée ici!
Encore!!

Une histoire pour Mid, une (et merci Mid)

Phortse, 3840 m, Khumbu, région de l’Everest, Népal

Sagarmatha Lodge, à l’heure où le crépuscule se fait nuit, autour d’une table, dans la pénombre d’une salle au plafond bas, enfumée et mal éclairée.
Les yeux clos, le vieil homme s’enferme dans un long silence.
Pour un sherpa, et bien qu’il soit courbé sous le poids des ans, il est de très haute stature et large de carrure. Une épaisse chevelure emmêlée masque une part de son visage et rejoint la barbe qui dévore sa face. Ses mains sont vêtues de moufles de laine.
« C’était il y a longtemps, très longtemps » dit-il soudain, d’une voix dont la douceur surprend sortant de ce corps démesuré.
Il remet un peu de bouse de yak séchée dans l’âtre, saisit le pichet de chang et remplit nos gobelets.
La face antérieure de mon corps, orientée vers la cheminée est brûlante, alors que des frissons glacés parcourent mon dos.
Une agréable chaleur habite mon estomac imbibé de la bière artisanale déjà ingurgitée.
« Danzi était la plus jolie fille du village. Tous les jeunes hommes la courtisaient et quelques anciens aussi. Elle donna son cœur à Rinjing, un sherpa, qui bien que fort jeune, au service d’expéditions étrangères avait déjà gravi Sagarmatha à deux reprises.
Un soir, alors qu’il y avait fête au village, Danzi et Rinjing convinrent d’un rendez-vous amoureux à l’abri d’un fourré de broussailles, non loin du hameau.
Ce buisson était justement le lieu choisi par Yeh-Teh, un yéti de l’espèce paisible, qui avait pour innocente habitude de s’y blottir afin d’étudier le comportement des humains.
Il arriva que Rinjing – c’était, il faut bien l’avouer, chez lui une habitude – ce soir-là abusa du chang et du rakshi. Pour autant, il n’en oublia pas son rendez-vous galant. Le malheur voulu que, alors qu’il cheminait à tâtons en direction de sa belle, il bute contre une pierre du sentier, chute et donne du crâne sur un rocher. Estourbi par le choc et déjà bien affaibli par les breuvages alcoolisés absorbés, il sombra dans une sorte de coma aggravé par la température baissant de plus en plus alors que la nuit avançait.
Lorsque Danzi atteignit l’endroit convenu avec Rinjing, discernant une silhouette dans l’ombre des épais halliers, le cœur battant éperdument elle se jeta à sa rencontre.
Les heures suivantes furent les plus belles de toute la vie de Danzi. Jamais encore, se disait-elle entre deux joutes amoureuses, Rinjing ne s’était montré si doux, si tendre et si vigoureux.
Le jour venu, on trouva le corps sans vie de Rinjing. Ses yeux éteints étaient tournés vers Sagarmatha, le toit du monde, la déesse mère des montagnes que les Occidentaux appellent Everest, au mépris de notre culture locale.
Neuf mois plus tard, encore très affligée par la disparition de son bien-aimé, Danzi donna le jour à un adorable petit garçon qui avait la particularité d’être entièrement recouvert d’un très fin duvet de poils soyeux et dorés. Elle le baptisa Mingma (né un mardi) Rinjing.
Très vite, Mingma Rinjing dépassa tous les enfants du village en taille, en carrure et en force. Néanmoins, son bon caractère, sa douceur, le soin constant qu’il portait à ne jamais abuser de sa prodigieuse vigueur lors des jeux partagés avec les compagnons de son âge, fit qu’il était accepté et aimé de tous.
Il arrivait parfois qu’un gamin le traite de yéti ou d’homme des neiges. Mingma Rinjing en riait le premier, plus fort que les autres.
Les années passant, le duvet presque imperceptible à l’œil parant son corps à sa naissance se mua en une épaisse toison brune à reflets dorés, et Mingma Rinjing domina de sa très impressionnante stature tous les hommes de la contrée.
Régulièrement, il s’éloignait du village pour plusieurs jours, allant en direction de hautes montagnes encore inexplorées. Il en revenait l’air nostalgique, troublé.
Les prouesses athlétiques qu’il accomplit, et son apparence, firent en peu de temps flotter autour de lui une aura de mystère.
Un jour, alors qu’un bouvier pleurait sur le destin de son yak qui avait roulé au fond d’un précipice dont il ne parvenait pas à l’extraire, Mingma Rinjing, après avoir atteint le fond du gouffre en quelques bonds, chargea l’herbivore sur ses épaules, escalada l’abrupte paroi les séparant tous deux des herbages et y déposa le ruminant indemne bien que tremblant.
Mingma Rinjing vécut ainsi très longtemps, évitant les rencontres avec les étrangers que son apparence effrayait. »
Le vieil homme s’interrompt.
Avec des gestes mesurés, presque timides, il sert une nouvelle tournée de chang.
Nous buvons en silence, les yeux dans les yeux.
Soudainement, l’ancien retire ses moufles de laine et tend ses mains dans ma direction. Ses battoirs sont entièrement recouverts d’une épaisse toison brune à reflets dorés. Les doigts larges et forts s’achèvent en forme de griffes acérées.
« Celle qui fut ma mère, la douce Danzi, mourut très jeune, le cœur brisé par le lourd secret qu’elle avait à porter », dit encore le vénérable vieillard, avec dans la voix beaucoup de tendresse.

(Ce texte a obtenu une ‘Mention spéciale’ au concours littéraire de la Grenette du Livre en l’an 2004.)

[%sig%]

Posté en tant qu’invité par AlbanK:

Hoho !!

Marcel !!!

Tu nous gâtes !!!

Merci, merci et re-re-merci !!!

Posté en tant qu’invité par l’Urbain:

Encore quelques bonbonnes d’air pur.
Ça fait du bien.
Merci Marcel.

Posté en tant qu’invité par Marcel Demont:

Merci à toi Alban’k.
Tu as la grande classe.
Amitiés.
Marcel.

Posté en tant qu’invité par Marcel Demont:

Merci l’Urbain.
Tu es de ceux qui, sur ce forum, font passer le bon esprit de la montagne.
Notre société en a bien besoin.
A te lire, avec bonheur.
Marcel.

Posté en tant qu’invité par Apoutsiak:

Bravo Marcel, quel talent !

Posté en tant qu’invité par Marcel Demont:

Un grand merci à toi l’ami.
Marcel

[%sig%]

Posté en tant qu’invité par Flo73:

magnifique histoire, merci de nous la faire partager, Marcel.

Posté en tant qu’invité par l’Urbaine:

Marcel Demont a écrit:

Merci l’Urbain.

Merci pour ton merci, Marcel. (ça ne va pas s’arrêter, cette histoire de remerciement…)

Tu es de ceux qui, sur ce forum, font passer le bon esprit de
la montagne.

Ouf !
Quelle claque…
Tu es sûr que tu ne confonds pas avec un autre l’Urbain ?
Quoi qu’il en soit, des compliments comme ça, je n’en entend pas tous les jours. Une nuit calme s’annonce.

A te lire, avec bonheur.

On arrive, on arrive.

Ha ? Je suis demandé.
Dommage, je n’ai pas le temps de finir tes louanges. Il faut dire que c’est un peu long.
Ça sera pour la prochaine fois, sans faute.

Posté en tant qu’invité par jc:

Et hop… je relance à la demande générale :
pour Marcel hip hip hip …

Posté en tant qu’invité par Marcel Demont:

Vas-y l’Urbain (baine) ça bain (baigne).
D’accord, c’est complètement nul mon truc.
J’aime bien être nul de temps en temps.
Marcel.

Posté en tant qu’invité par Marcel Demont:

C’est la qualité du lecteur qui fait le bon auteur.
Merci à toi.
Marcel.

Posté en tant qu’invité par Marcel Demont:

jc a écrit:

Et hop… je relance à la demande générale :
pour Marcel hip hip hip …

Merci JC.
Je tiens en réserve, pour toi, un méga récit super dramatique (hic!).
Il sera envoyé, dès ta prochaine apparition sur le forum.
Marcel.

Posté en tant qu’invité par jc:

Marcel Demont a écrit:

Merci JC.
Je tiens en réserve, pour toi, un méga récit super dramatique
(hic!).
Il sera envoyé, dès ta prochaine apparition sur le forum.
Marcel.

Monsieur est trop bon !!
Ben… me revoilà sur le forum, alors… j’espère qu’on va parler de la Meije !!! (mais une autre montagne sera aussi la bienvenue, sauf l’Obiou, quand-même, faut pas exagérer non plus, hein Albank??)

Posté en tant qu’invité par AlbanK:

L’ Obiou n’ est pas une montagne, c’ est une oeuvre d’ art à l’ état naturel !!!

Posté en tant qu’invité par Marcel Demont:

Un merci particulier à JC pour l’hommage qu’il a rendu à un simple guide de haute montagne, et petit (h)auteur de livres rigolos, à l’occasion de son jubilé.
(Un peu long, le récit, mais, vous me pardonnerez, c’est pour une occasion unique, promis, juré, croix de bois, croix de fer, je ne le ferai plus, je crache.)
Pour JC

Massif des Diablerets, point culminant 3210 m, Alpes vaudoises, Suisse
Chacun a encore en mémoire les détails de l’équipée tragi-comique de quatre alpinistes répondant aux sobriquets de Frère Tuck, Le Dahu, Barbouille, et Guillaume Tell dit GT (2002, ‘Une étoile dans la montagne’).
Largués par la vie, Frère Tuck, un ancien séminariste déçu de la religion, devenu enseignant et capitaine grenadier, aiguillé par sa hiérarchie sur une voie sans issue ; Le Dahu, un professionnel de l’altitude rendu invalide par une grave chute en montagne ; Barbouille, un expert en arts martiaux, peintre non figuratif et chômeur à perte de vue ; ainsi que GT, un braconnier multi-récidiviste et cafetier restaurateur sans emploi, avaient décidé de reformer la cordée de leurs vingt ans, et de repartir à la quête de leur sérénité perdue, en suivant la crête des montagnes, avec pour guide une étoile.
Ils s’attendaient à devoir braver les nombreux dangers de l’Alpe. Très vite, ils avaient constaté que des périls bien plus grands encore les menaçaient. Un mystérieux agresseur multipliait les actes hostiles à leur égard.
Ces héros des temps modernes avaient, au terme d’une guerre de harcèlement, zigouillé leur inquiétant adversaire, non sans avoir eux-mêmes morflé quelques beignes au passage.
Finalement, et malheureusement, truffé de plomb par le redoutable GT, l’ambigu opposant qu’ils avaient surnommé l’Ombre, leur avait servi de repas après avoir été découpé en morceaux et rôti. Maigre consolation pour une victoire à la Pyrrhus.
En effet, les attaques portées par l’Ombre n’étaient que des épreuves destinées à vérifier les capacités des quatre alpinistes auxquels le puant, dont la silhouette rappelait celle d’un bouc géant se tenant sur ses seules pattes arrières, s’apprêtait à offrir des postes de travail à grandes responsabilités.
Etant dans l’ignorance de ce projet, GT, en fourrant de grenaille la boîte à ragoût du putride, avait commis l’irréparable.
« Bouffer son ex-futur employeur, on n’est pas près de retrouver du travail ! » avait encore lâché Le Dahu, juste avant la chute du rideau.

Pour bien comprendre ce qui précède, et ce qui suit, il est nécessaire de savoir qu’il y a fort longtemps, le massif des Diablerets fut frappé de malédiction. Il devint le point de rendez-vous des démons, et leur chef, Malin Diable (l’Ombre), choisit pour résidence un des sommets de la chaîne montagneuse, nommé Tête d’Enfer. Il lui arrivait, pour se distraire, de jouer au palet sur le glacier de Tsanfleuron, au pied de la quille portant son nom, la Quille du Diable.

Nombreux sont les lecteurs avides de savoir ce qu’il advint de Frère Tuck, Le Dahu, Barbouille et GT, après que, au chalet d’alpage sis à mi-parcours entre la Tête aux Chamois et le Col du Pillon, ils eurent dessoudé, découpé, rôti, et en fin de compte boulotté Malin Diable.
Renouons le fil de l’histoire à son point de chute antérieur : « Bouffer son ex-futur employeur, on n’est pas près de retrouver du travail ! »

… A peine ont-ils achevé leur repas composé d’une épaule de Malin Diable, et de quelques belles tranches taillées dans la culotte, cuites à point, le tout arrosé des quatre bouteilles de Dôle et d’un fond de bouteille de Willamine ayant appartenu au défunt, que la porte d’entrée du chalet s’ouvre une nouvelle fois, poussée de l’extérieur.
Une vague d’air glacial envahit le local, précédant une créature à l’étrange apparence.
D’un point de vue physique, elle tient d’une chèvre angora et d’une cover-girl. Elle se tient en équilibre sur ses seules jambes postérieures, fortement arquées. Sur sa mamelle gauche, joliment arrondie et haut remontée, est tatoué un cœur percé d’une flèche. Tout à côté est marqué : ‘A Malin, pour le pire’. Ses yeux, outrageusement noircis au khôl, lancent des éclairs. Une de ses paluches griffues, prolongeant un bras velu, tient un volumineux baise-en-ville, alors que l’autre brandit une fourche à fumier. Alors qu’elle s’avance dans la salle au bruit de ses sabots heurtant le plancher, un mélange d’odeurs se répand.
« Patchouli et chiche-kébab ! » avance Barbouille, en ouvrant les narines pour mieux aspirer les effluves.
« Ça sent bon chez vous ! articule l’apparition, j’ai un petit creux, il ne vous reste pas quelque chose à grignoter ? »
« Pose tes fesses ici ma biche, lui lance GT, en désignant un siège libre d’un doigt épais comme une saucisse de Francfort. Je vais te servir, il y a du rab de rôti. »
« Quel est l’objet de votre visite… euh… chère… euh… Madame ? » demande, en s’adressant à l’étrange créature, Frère Tuck sur le ton courtois qui lui est habituel.
« J’ai certainement encore quelque part une bouteille de Dôle et une d’eau-de-vie de poires » marmonne Le Dahu, en farfouillant dans son sac à dos.
« Je me présente, articule l’arrivante d’une voix de fausset, Diablessa, co-propriétaire des ‘Entreprises Malin Diable & Diablessa. Cuisson éternelle à petit feu’. Je suis à la recherche du président directeur général de mon entreprise ».
« Goûte-moi ça, la grande ! » l’interrompt GT, en lui passant une assiette garnie de tranches de viande grillée.
« Vous disiez être à la recherche de Monsieur Malin Diable, votre P. D. G., renoue Frère Tuck, sur le ton d’une conversation courante (en tant qu’ancien séminariste, il est indiscutablement culturellement le mieux à même de dialoguer avec la démone), eh bien…, comment dire…, il a été victime d’un très regrettable accident, » achève-t-il, jésuitiquement.
« Tu es en train d’en bâfrer la dernière tranche, ma bichette ! » intervient GT, avec sa délicatesse de style habituelle.
« Je ne l’imaginais pas aussi goûteux, susurre Diablessa, en réprimant un rot, ni aussi tendre, » ajoute-t-elle en continuant à s’empiffrer.
Le Dahu, dont les investigations ont été couronnées de succès, fait sauter le bouchon d’une bouteille de Dôle : splap ! et remplit les verres.
Santé !
Glou, glou, slurp, burps !
« Revenons à nos moutons ! » lance la diablesse, en repoussant son assiette vide.
Elle se lève et traverse la pièce plongée dans la pénombre. La lueur des flammes qui dansotent dans la cheminée se reflète sur son pelage brun parsemé de mèches blondes. A chaque pas qu’elle fait, un nuage de cendres refroidies s’échappe de sa personne. Chacun de ses bois recourbés est coquettement orné d’une rosette d’étoffe. L’ange déchu ramasse l’attaché-case, l’ordinateur portable, et les papiers lâchés par feu Malin Diable à l’instant où il dégusta une double décharge de chevrotine dans le buffet. Alors qu’en se dandinant à la Shakira la tentatrice rejoint son siège, elle trébuche sur une corne de feu Malin Diable.
« Ça, c’est lui tout craché ! fustige-t-elle, toujours à laisser traîner ses affaires n’importe où. » D’un coup de sabot, elle shoote le débris à l’autre bout de la salle.
« Malin avait vu juste, reprend la princesse des ténèbres, après quelques années de rémission, vous avez retrouvé toute la méchanceté nécessaire pour évoluer de plein droit au niveau des élites, diriger une entreprise, faire de la politique, être membre du jury d’un concours littéraire ou d’attribution d’une subvention d’aide à la publication…»
« Ah ! émet Le Dahu, en exhibant une bouteille de Willamine, la voilà. » Il décachette précautionneusement le flacon et fait le plein des verres.
La maudite s’envoie le contenu de son godet en bas le gosier, chope la topette d’eau-de-vie de poires et tire une grande lampée directement au goulot.
« Hips ! continue-t-elle, ça donne soif la cuisine épicée. Je renouvelle la proposition qui vous avait été faite par mon P. D. G. Signez ces contrats (elle brandit une liasse de papelards) qui font de vous des cadres de haut niveau au sein de mon entreprise, et vos ennuis sont finis. »
« Bien entendu, chère Madame, vous payez aussi nos primes d’assurance maladie ? » interroge Frère Tuck, à qui on ne la fait pas.
« Cela va de soi, frérot, » répond la grande bique.
« Fais passer ton stylo Diadia ! » jette GT, en lorgnant la croupe rebondie du succube, qui pour avoir liquidé la bouteille de Willamine en trois gorgées est maintenant un peu pompette. « Hübscher Po, das Ding ! » ajoute encore à mi-voix le bilingue GT.
La mauvaise ouvre le vaste sac à main qu’elle n’avait pas lâché depuis son arrivée. Elle en sort un crayon à bille, un paquet de kleenex, une capote anglaise, des produits de maquillage, un miroir de poche, un nécessaire à sabots et une boîte de cirage pour dito, du vernis à cornes, une étrille, et une bouteille de ‘Vin des Enfers, Cuvée réservée, Belzébuth encaveur’.
Sa longue queue, roussie par endroits, balaye le sol lorsqu’elle proclame :
« Ça s’arrose ! »
Plopop ! Madame Diadia fait péter le bouchon de sa topette. Pfffrout ! elle souligne son effort en lâchant un vent de sapeur-pompier.
Les narines contractées par l’offense faite à leur sens olfactif, Frère Tuck, Le Dahu, Barbouille et GT paraphent les documents présentés par la polluante, avant de goûter le diabolique breuvage.
« Tchin-tchin ! » lancent en chœur Le Dahu, Barbouille et GT.
« A votre bonne santé, Madame la directrice ! » enchaîne Frère Tuck.
« Vérole sur le bas clergé ! » répond l’aimable bique.
Glouglou, glouglou, glouglou, glouglou, glouglou.
« M’est avis qu’on est en train de faire une belle connerie ! » souffle Barbouille, alors que sous l’effet de l’infernal rafraîchissement les yeux commencent à lui sortir de la tête.
« Cigare ? » propose GT à la satanique corruptrice. Il exhibe une grande boîte frappée d’une croix rouge, comme le sont parfois les trousses à pharmacie, et l’ouvre. D’une pogne large comme un couvercle de siège de toilettes, il brandit un gros havane en direction de la pin-up esprit du mal. L’anneau de papier doré qui entoure le cigare porte l’inscription : BC, President.
A cette vue, la fétide résidente de la géhenne se met à baver de convoitise, et à agiter son soubassement.
Craboum ! Un pet d’haltérophile en plein dernier effort échappe à Madame Diadia. L’émotion.
Craboum ! Pan ! Pan ! Boum ! surenchérit tambour battant le gros GT, en homme qui aime avoir le dernier mot.

Le jour suivant ces évènements, les nouveaux cadres à hautes responsabilités entrèrent en fonction.
Les postes à pourvoir furent répartis au mieux des compétences particulières de chacun.
Frère Tuck, le prêtre défroqué, enseignant révoqué, et officier grenadier ayant le grade de capitaine, fut chargé d’organiser le service de sécurité de l’entreprise. Il sélectionna les démons les plus robustes et les astreignit à un programme d’instruction intensif. Marches forcées, bivouacs, pistes de combat, exercices de nuit, défilés au pas de l’oie, inspections, s’enchaînaient interminablement, laissant les pauvres diables sur le flanc. L’entraînement avait lieu sur la crête et les flancs de la montagne. Lors des assauts, en guise de grenades d’exercice, les futurs gardes utilisaient des galets. Fréquemment, après avoir été lancés, ceux-ci dévalaient les pentes et mettaient en grand danger les alpinistes occupés à les gravir. Pour les grimpeurs, ce risque n’était pas nouveau. Du temps de Malin Diable déjà, de nombreux accidents avaient été provoqués par la chute des palets qu’il utilisait lorsqu’il jouait aux quilles sur le glacier bordant sa demeure. Lorsque Frère Tuck accordait quelques heures de repos à sa troupe, les vigiles épuisés tombaient immédiatement dans un profond sommeil.
Le Dahu, professionnel de la montagne ayant perdu toute sa clientèle pour raison d’invalidité, eut pour tâche de guider les damnés, de la Terre à l’Enfer. Par temps clair, il s’acquittait de sa mission à la satisfaction de tous. Par contre, lorsque le brouillard envahissait la montagne, Le Dahu, qui après quarante années de pratique du métier de guide se targuait de pourvoir atteindre le but sans jamais recourir aux services d’une boussole (l’instinct, disait-il), se paumait en route à chaque fois. La dissymétrie de ses jambes le conduisait à infléchir sa trajectoire de marche vers la droite, avec pour résultat, qu’à la tête de son cortège de condamnés aux peines de l’Enfer, il arrivait aux portes du Paradis.
« Dieu me pardonne, je me suis encore planté! » jurait-il alors.
« Par le Diable, se fâchait Monsieur Saint-Pierre, qui agitait son gros trousseau de clefs de façon menaçante, tu te trompes de crémerie ! » (Il convient de préciser, à la décharge du portier céleste, qu’à force de se prendre les pieds dans des piles d’auréoles ne servant plus à rien, faute d’élus, il était dans un état dépressif chronique.)
Barbouille, en aquarelliste qu’il était, prit en main le dicastère de la culture. Aux démons, il entreprit d’enseigner l’art de la peinture non figurative. Ses recherches l’avaient dans le passé amené à privilégier la couleur blanche. Il poussa ses élèves à poursuivre dans cette direction. Bientôt, sous la conduite du maître, les artistes des ténèbres ne peignirent plus que des formes blanches sur fond de papier blanc, ce qui avait pour avantage de les dégager de bien des contingences matérielles. Appliquer de la peinture était devenu superflu, seuls les mouvements du pinceau à sec étaient encore nécessaires. Enfin, l’esthétique pure triomphait, par le visible l’invisible s’exprimait.
Quant à Guillaume Tell dit GT, que sa qualité d’ex-cafetier restaurateur destinait tout naturellement à superviser le fonctionnement des fours où cuisaient les damnés, négligeant son travail, il passait l’essentiel de son temps à peloter Diadia, sa nouvelle patronne. (Laquelle, dans le cadre des mesures de modernisation de son entreprise, envisageait la modification de la désignation de son titre récemment acquis. De ‘P. D. G.’ - Présidente Directrice Générale -, elle souhaitait passer à ‘C. E. O.’ - Chief Executive Officer -).
La perverse P. D. G. - C. E. O. Madame Diadia, dont le manifeste penchant effréné pour la luxure était, par le lubrique GT, satisfait bien au-delà de ses espérances, en perdait les pédales, et la hauteur de vue nécessaire à la conduite d’une entreprise de l’importance de ‘Cuisson éternelle à petit feu’.
Laissé sans surveillance, le petit personnel bourrait les fours au maximum avant de quitter les lieux pour se livrer à des activités plus divertissantes.
Les Diablotins, par exemple, qui par le passé (lorsqu’il y en avait encore sur les alpages) aimaient à lutiner les bergères, galopaient jusqu’à la paroi du Dar, lieu où, dans les voies d’escalade équipées par les frères Remy, évoluaient de jeunes grimpeuses aux corps musclés et dorés à souhait.
Les travailleurs clandestins chargés des plus basses besognes (des sans papiers employés au noir ignorant tout de la belle culture infernale) recrutés par Malin Diable en désespoir de cause pour faire face au manque chronique de personnel, en l’absence des cadres, ne voyaient pas de raison particulière de s’épuiser au travail. Quittant leur poste, ils s’exposaient au grand air, ce qui leur donnait bonne mine.
Le résultat de toute cette foutue pagaille est que les fours, laissés sans surveillance et surchauffés en permanence, transmirent leur chaleur excédentaire à l’environnement. Tout le milieu en fut gravement affecté. Les glaciers se mirent à fondre, le pergélisol aussi.
Et cela continue.
Bientôt, les champs de neige éternelle auront disparu, comme ont disparu avant eux les dahus, les kangourous de montagne, le serpent des neiges à lunettes, la truite à fourrure.
A moins que… Frère Tuck, Le Dahu, Barbouille et Guillaume Tell dit GT…
Marcel, dit ‘le Dahu’.

[%sig%]

Posté en tant qu’invité par AlbanK:

Diablement bon, du Marcel Grand Cru !!!

Ça sent le vécu !!!

Posté en tant qu’invité par jc:

Merci Marcel… tout simplement !

Posté en tant qu’invité par Flo73:

Alors, nous sommes tous en train de rôtir dans les flammes de l’enfer? Il me semblait que cette chaleur n’était pas très naturelle.
Merci pour cette très belle page de l’histoire que les historiens nous avaient caché.

Posté en tant qu’invité par Marcel Demont:

J’en ai encore quelques poils tout roussis.