Posté en tant qu’invité par Marcel Demont:
catherine a écrit:
HOURRA ! ! !
une chanson ! une chanson ! une chanson !
euh… plutôt :
une histoire ! une histoire ! une histoire !
Une histoire pour Catherine, que j’apprécie tout particulièrement (et j’aime beaucoup tous les autres aussi).
Des êtres mystérieux
Les peuples himalayens habitant dans des endroits retirés, à la limite des neiges éternelles, ont l’habitude d’être confrontés à ces créatures sauvages et échevelées qui errent sur les vastes étendues glacées, parfois s’attaquent aux yaks, effrayent les hommes et tentent de séduire les jeunes femmes.
Au Tibet on leur a donné le nom de migyu, au Népal celui de yeh-teh.
Les habitants de la région de l’Everest, versant népalais, les sherpas, classent les yeh-tehs en trois espèces distinctes : le ‘yeh-teh paisible géant’, qui mesure jusqu’à trois mètres ; le ‘yeh-teh timide demi-portion’, couvert de poils roux, qui fait rarement plus d’un mètre cinquante sous la toise ; et enfin, le ‘yeh-teh féroce’, colosse de près de deux mètres de haut, dont le corps est garni d’une toison hirsute, à l’exception du visage et de l’estomac.
Les membres des trois groupes ont le crâne conique. Ils ont le pied exceptionnellement long et large. Ces nougats démesurés leur donnent la possibilité de se déplacer dans les immensités recouvertes de neige sans y enfoncer, à l’instar des montagnards marchant avec des raquettes.
Le yeh-teh féroce jouit d’une épouvantable réputation. Il est connu pour son penchant à croquer les hommes qu’il peut attraper. De plus, il est très difficile à traquer.
Grosso modo, un yeh-teh féroce sur trois a un pied à l’envers, talon devant et orteils derrière, et l’autre pinceau à l’endroit.
Toujours sur trois, un deuxième représentant de cette espèce peut avoir les arpions tournés à nonante degrés, et est capable de se déplacer latéralement des deux côtés.
Enfin, il n’est pas rare que le dernier spécimen d’un échantillon de trois ait les panards normalement orientés vers l’avant, mais… pas impossible non plus que ses ripatons soient carrément dirigés à cent quatre-vingts degrés.
Ainsi, le plus fin des limiers lancé sur la trace d’un groupe de yeh-tehs féroces ne tarde pas à en perdre la boule.
Tous les habitants du Khumbu ont encore en mémoire l’agression dont fut victime une sherpani qui s’employait à remettre sur le bon chemin deux yaks égarés. Après avoir estourbi les deux herbivores, le yeh-teh féroce s’en prit à la jeune fille qui ne dut son salut qu’à l’intervention résolue d’un groupe de villageois.
Il n’y a dès lors pas de quoi s’étonner du fait qu’un touriste frileux s’étant en sus de ses vêtements occidentaux enveloppé dans une peau de yak fut, dans la semi-obscurité d’une nuit tombante, roué de coups de bâtons par des sherpas l’ayant pris pour un yeh-teh féroce.
Depuis qu’un yeh-teh paisible a sauvé la vie d’un jeune garçon répondant au nom de Chang, seul rescapé d’un long courrier s’étant abîmé sur le flanc d’une très haute montagne, plus personne dans le monde n’ignore l’existence du géant débonnaire.
Le yeh-teh timide, lui, est moins universellement connu. Toutefois, le rapport établi et largement publié par une fine équipe du Männerchor d’Oberhinterbipp s’étant, avec succès, lancée à sa recherche, lui a valu une certaine renommée, plus particulièrement en Suisse alémanique.
Les intrépides chercheurs remontaient péniblement la vallée de l’Imja, luttant contre les premières atteintes du mal des montagnes, lorsqu’ils entrevirent dans le lointain la silhouette demi-portion d’un yeh-teh timide.
Après avoir, à titre préventif, ingurgité la dose préconisée d’un antidote fameux réputé combattre efficacement les maux d’altitude aigus (de la Kräuter Likör, distillation maison, potion sublime que chacun portait à la ceinture dans une gourde de deux litres de contenance seulement – les réserves nécessaires devant permettre de refaire le plein étant acheminées à dos de yak – ), n’écoutant que leur courage, ils se précipitèrent à la poursuite de la mystérieuse créature.
Par monts et par vaux, la chasse harassante se prolongea de longues semaines, et nos hommes voyaient déjà se profiler à l’horizon de leurs gosiers la lourde menace d’un assèchement des provisions de Kräuter Likör, lorsqu’ils découvrirent les mérites de la bière et de l’eau-de-vie locale.
Infatigable, agile, d’une manière ou d’une autre, le yeh-teh parvenait toujours à distancer les vaillants découvreurs.
Jusqu’au jour où il se trouva pris au bout d’un goulet n’offrant plus aucune possibilité de fuite.
« Alors mon gaillard, on croyait pouvoir échapper aux éléments d’élite du Männerchor d’Oberhinterbipp, lui lança le chef de cette troupe de scientifiques de choc, qu’est-ce que tu en dis maintenant ? »
« Grüezi mitenand » (bonjour en suisse allemand) murmura le yeh-teh timide, en rougissant de confusion jusqu’au blanc des yeux.