Puisque le sujet s’y prête, je remets ici un texte publié il y a quelque temps.
[i]Ceci est une version complétée, après avoir mûrement pesé le pour et le contre, d’une réflexion épistémologique sur les tenants et les aboutissants. J’en ai publié un résumé moins abouti il y a quelque temps.
Mes biens chers frères,
Comme chacun sait (à l’exception de ceux qui ne le savent pas et qui devraient le savoir, et de ceux qui le savent mais qui l’ont oublié) nous disposons de deux cerveaux : le cerveau écologique, siège de la conscience écologique, et le cerveau normal, siège du reste. Quand je dis « siège », c’est façon de parler. On n’a pas un petit fauteuil dans la tête où asseoir la conscience. D’une part ça prendrait trop de place, et d’autre part, la conscience risquerait de s’endormir dans la mollesse d’un coussin Ikéa.
De sévères mercuriales ayant réveillé, il y a quelques années, ma conscience écologique anesthésiée par la béatitude du matérialisme occidental, voici ce qu’il en advint après une remise en cause draconienne et une révision déchirante:
- Je mange peu (sauf quand je reçois. Alors là, j’ai honte mais je me lâche…)
- Je bois de l’eau du robinet (sauf quand je reçois : je bois alors du vin de la bouteille, plus que de raison, ce qui n’est pas bien mais qui est agréable).
- Je vais à pied au goulot… pardon… au boulot.
- J’ai choisi une voiture qui consomme peu, moins de 5 litres, et même moins de 4 litres si je fais attention et si j’emmerde consciencieusement le monde en roulant à 85.
- Je ne balance pas 7 litres de flotte dans les chiottes chaque fois que je vais pisser. Alors ça, c’est dingue ! Les trois quarts de l’humanité n’ont pas accès à l’eau potable et nous autres zoccidentaux roses et bien nourris, on balance à l’égout 7 litres de flotte parfaitement propre chaque fois qu’on va aux vécés !
- Je radine sur les fringues.
- Je radine sur le reste aussi.
- Je radine sur tout, quoi…
- J’éteins la lumière quand je quitte une pièce, au risque de me casser la figure dans les escaliers, ce qui ne m’est encore jamais arrivé ; ce qui ne veut pas dire que ça ne m’arrivera jamais.
- J’arrête la veille des appareils.
- Je paie mes impôts au dernier moment.
- Je ne chauffe que si la température descend en dessous de 15°C (sauf quand je reçois, auquel cas, je monte la température à l’officiel 19°C. En effet, j’ai eu des remarques : « Il fait toujours aussi chaud, dans ta glacière ? ». Je ne me suis donc pas senti le droit d’imposer ces températures polaires à mes invités.)
- Ajoutons que je me garde d’acheter toutes les petites cochonneries vantées par les pub en tous genres : i-pode (je ne sais même pas ce que c’est ni à quoi ça sert, mais comme tout le monde en parle…), lecteur MP3 (id.), dernier bouquin du pîpole à la mode, œuf ordinaire pondu par une poule extraordinaire, Ray-Ban (je ne savais pas trop ce que c’était. Une recherche par Gougueule m’a renseigné. C’est des lunettes. Merci Gougueule. Je ne vois pas trop ce qu’il y a de nouveau : j’en avais dans les années 80. Je les ai toujours. Comme quoi, gardez vos vieux trucs : si on attend assez longtemps, ils reviennent à la mode avec une plus-value et un prestige dus aux précurseurs) etc. enfin, toutes ces sortes de choses qui donnent l’impression d’être moderne et à la page. Remarquez que « à la page » est un peu ringard. Je pourrais dire plutôt « bien dans le mouve » à moins qu’il existe une expression plus récente, je ne sais pas.
- Je n’achète plus le calendrier des postes, ni celui des éboueurs, ni celui des pompiers, ni celui des scouts, ni celui de la paroisse, ni celui de l’amical confraternelle des fabricants d’appeaux en buis… je refuse et c’est difficile car je me sens vaguement gêné, voire même carrément coupable, de mépriser ces vénérables institutions.
Cependant, n’allez surtout pas croire que je me cite en exemple. Gardez-vous en bien. Il me reste beaucoup d’un long et dur chemin à parcourir avant d’atteindre le Nirvana Ecologique. Après de longues et profondes méditations dans la zénitude de la montagne, j’ai décidé de l’étape suivante :
- Emigrer au Larzac pour élever des chèvres (comme mes collègues d’il y a 40 ans et dont on rappelle l’anniversaire ces temps-ci à grandes trompettes médiatiques)… quoique si je me souviens bien, mes collègues d’il y a 40 ans, c’était plutôt les moutons en Ardèche. D’ailleurs mes collègues d’il y a 40 ans, passé leur crise de « Peace and Love », sont vite revenus se caser dans les niches disponibles, à part quelques irréductibles qui ont fait fortune dans le fromage de brebis.
Je ne savais pas qu’on pouvait faire fortune dans le fromage de brebis, mais bon…
- Me déplacer à dos d’âne sur la route qui poudroie à la rencontre de ma sœur qui ne voit rien venir (cette cruche) malgré le soleil.
- M’éclairer à la chandelle.
- Me chauffer à la bouse de vache séchée.
- Me soigner aux simples.
- Me laver avec la cendre du foyer.
- Dormir sur une litière en paille.
- Manger des racines, des baies et des champignons des champs et des bois. Voire même brouter directement l’herbe dans les prés. Enfin que des produits excluant nitrites, sulfites, sirop de glucose, nitrates, acariens, colorants, adjuvants, conservateurs, anti-oxydants, exhausteurs de goût, épaississants, anti-agglomérants, aujéhème, cui-cui, coin-coin, areu, hi-han etc…
- Quant à l’alcool, vin et tout ça, faudra pas trop y compter. Sauf, éventuellement, de la cervoise artisanale ou du lait de chèvre fermenté (le lait, pas la chèvre).
- M’exprimer par grognements asociaux et grimaces simiesques.
- Chier dans une cabane au fond du jardin.
- Boire de l’eau de la rivière dans une écuelle en écorce.
- Marcher pieds nus ou avec des sandales en cuir de buffle, mais on manque cruellement de buffles dans le Larzac ; c’est tragique.
- Hurler avec les loups les nuits de pleine lune et rendre un culte au soleil.
- Avec mes enfants, me vêtir de peaux de bêtes (boucs) cousues avec une aiguille en os ou une arête de poisson.
- Fuir, échevelé et livide au milieu des tempêtes.
Peut-être que je conserverai, au fond de ma fermette au toit de chaume (quoiqu’une grotte serait plus adaptée ; je vais y réfléchir), un canapé en cuir de vache et un écran plat.
Faut pas egzagérer, quoi.
Bien à vous… et que Dieu vous aie en Sa Sainte Garde.
Comme le soir tombait, l’homme sombre arriva
Au bas d’une montagne en une grande plaine ;
Sa femme fatiguée et ses fils hors d’haleine
Lui dirent : « Couchons-nous sur la terre, et dormons. »[/i]