Posté en tant qu’invité par Francois:
Tartine et les papillons.
Comme je m’emmerde un peu, je m’en va vous conter une histoire.
Il était une fois…c’est ainsi que commencent les belles histoires…ça ne vous plaît pas ? trop banal ?..bon…il était autrefois un certain jeune homme…ça ne va pas non plus. Le " certain jeune homme " est une marque déposée, déjà utilisée par ailleurs. Voilà qui n’arrange pas mes affaires. Comment vais-je entamer ma belle histoire ?
La benne ferraillante s’arrêta dans un grincement désespéré, oscilla quelque peu et vomit sa cargaison de grimpeurs farouches, armés de mystérieux aciers. L’odeur d’huile rance de la cabine céda devant le froid du petit matin et l’étoile matutine acheva de disparaître dans l’azur vainqueur…l’azur vainqueur…pas mal, c’est imagé…un peu carte postale, peut-être ?..enfin…poursuivons. J’ai dit que le téléphérique vomit sa cargaison et chacun vaqua à ses affaires. Un groupe de farouchement barbus bardés d’acier s’éloigna vers le glacier précédés ? suivi ? accompagné, voilà, accompagné d’inquiétants cliquetis de quincaillerie brillante. D’autres prirent sagement le chemin de Charmoz-Grépon, sous d’énormes sacs, au moins quinze jours d’autonomie, ils ont du se tromper de chemin, le Népal, c’est plutôt par là…Et nous, c’est à dire Martine et moi, prêt pour vaincre l’arête des Papillons après un dur mais loyal combat… Une autre cordée suivait, avec qui nous avions négocié un accord stipulant aide et assistance en cas de besoin, bien que nous ne les connussions ni d’Eve ni d’Adam.
Curieusement, ce jour-là, il n’y avait pas de japonais. A cette époque que je vous parle, le japonais avait envahi Chamonix, c’était la grande invasion de Chamonix par les japonais. Les vieux s’en souviennent. Certains ont pris racine (les japonais, pas les vieux…encore que…) et sont devenus vendeurs chez Snell. Snell était une officine chamoniarde spécialisée en matériel et équipement divers. L’équivalent alpin du Drug and Store du Far-West où on pouvait s’approvisionner en choses et autres à peu près n’importe quand. Un jour qu’on fouillait dans sa boutique pour y chercher je ne sais trop quoi dont on avait besoin, le père Snell nous avait fait une réflexion philosophique " les gens sont toujours pressés, maintenant, et ceux qui ne sont pas pressés, ils fauchent ! " Réflexion non dénuée de bon sens. Il est vrai qu’alors, il n’y avait pas de portiques qui font coin-coin quand on passe devant avec un mousqueton dans la poche. J’ajoute que la boutique du père Snell a connu quelques avatars pour finir en espèce de super-marché à trente six étages. Donc, pas de japonais… Où est-ce que j’en suis, là ? Ah oui, alors Martine, papa gros bonnet chez Solvay, multinationale dans le chimique, classée Sévéso par endroit et polluante par moment, villa à Théoule-sur-Mer avec piscine et tout le tremblement, dont nous profitions éventuellement avec un total manque de scrupules et sans états d’âme. Frérot, financier je ne sais où et qui venait de se payer un bateau de je ne sais combien de mètres environ et quant à la Martine, brebis galeuse de la famille, vilain petit canard, c’est à dire simple kiné, elle n’avait qu’à attendre l’héritage (conséquent). Voilà pour les protagonistes. Ah mais, j’en ai oublié un : votre serviteur. Soit, je ne m’étendrai pas bien que j’en aie très envie, car qui va chanter mes louanges ? (je compte sur vous, fidèle lecteur de cette prose GRATUITE). J’ajoute que je trouve ce sujet, c’est à dire " moi ", particulièrement passionnant.
A cette époque dont à laquelle je fait allusion, les prévisions méturologiques n’étaient pas ce qu’elles sont maintenant : pas d’éminents spécialistes à lunettes dissertant doctement sur fond de batteries d’ordinateurs, d’écrans scintillants et de cartes chatoyantes en 256000 couleurs, du Van Gogh quasiment…Il y avait, affiché sur la porte du chalet du CAF à Chamonix (il est toujours là ?) un vague bulletin expliquant que s’il ne faisait pas beau, il ferait mauvais et encore qu’il y aurait des éclaircies entre les averses et réciproquement. Je dois reconnaître que ces prévisions étaient rarement mises en défaut. Le complément d’information était apporté par le pratiquant lui-même qui, au petit matin, sur le pas de la porte, examinait le ciel d’un air inspiré, plissait un front soucieux et déclarait gravement " ouais, bon, faut voir… ". La méthode fournissait d’assez bons résultats.
Alors, me direz-vous, que vient faire dans cette histoire cet intermède météorologique ? Outre un rappel toujours intéressant sur les méthodes en usage dans le temps de quand j’étais jeune et pour l’édification des jeunes du temps de maintenant (qui n’en ont rien à foutre), il y avait ce jour-là de longs linceuls traînant à l’horizon. En termes plus modernes, il y avait quelques nuages par là-bas, assez loin.
La montée est rude, jusqu’au pied de l’arête…oui, bon, j’avoue : la rude montée est un effet de style. Franchement, je ne m’en souviens plus, de la montée vers le pied de l’arête. Il y a longtemps…Mais une " rude montée ", on peut toujours placer ça quelque part. Ca marche bien. Ca fait de la copie, comme on dit. Et les cailloux roulaient sous les semelles des super-guide. Vous ai-je dit que c’était à l’époque des super-guide ? non ? alors je vous le dis : c’était au temps des super-guide.
La gare du téléphérique s’éloignait. Le pied de l’arête approchait, signe sans équivoque que nous étions sur le bon chemin. Il y avait aussi peut-être un névé raide ? je ne me souviens plus…allez hop ! j’y colle un névé raide. Après tout, on est en haute montagne. Donc au petit matin le névé raide était sûrement gelé et il fallait taper les pieds ou utiliser les pierres enchâssées pour ne pas glisser et ne pas se raboter l’arrière train ou pire. Car nous n’avions ni crampons, ni piolet…pour une petite escalade rocheuse, tu rigoles ! Et le névé raide se terminait contre le rocher par une roture qui est une espèce de rimaye qui sépare la neige du rocher, mais plus personne n’utilise ce mot, maintenant. Nous descendîmes donc dans cette roture, puis que roture il y a, qui nous offrait (merci) un endroit à peu près plat et bien protégé des fureurs du malin des montagnes, pour nous encorder.
A cette époque que je vous parle, il y avait deux manières de s’encorder : la première et le deuxième. Les fins nylons brillant de mille couleurs et de décorations artistiques que nous connaissons maintenant n’existaient pas encore. La première façon consistait tout bonnement à s’encorder directement sur la corde, autour de la taille, à l’aide du nœud à la mode du moment. A ce moment-là, la mode était au nœud de bouline. Ce n’était pas très confortable et la chute était absolument rédhibitoire. La deuxième méthode nécessitait l’utilisation d’une " ceinture d’encordement ", en fait, c’est ce qu’on appellerait maintenant un baudrier de torse. Vu que, comme il n’existait pas de norme, la résistance des coutures était soumise à l’humeur du cordonnier-fabricant, il était prudent et recommandé de s’encorder d’abord suivant ma méthode numéro un, puis de faire une queue de vache ou un huit et relier cette boucle à la ceinture à l’aide d’un mousqueton à vis. C’était un peu plus confortable mais ça bouffait de la longueur d’encordement. Il n’y avait pas de cuissard sauf bricolages individuels sujets à caution.
Donc après nous être encordés suivant la méthode décrite, arrive le moment délicat de savoir qui va faire la première longueur.
J’en ai un peu marre de taper, alors la suite plus tard…