Le ski n’est pas un sport, c’est un art, une culture, une philosophie de vie.
Peu de gens saisiront pleinement le sens des quelques lignes suivantes. Mais pour toutes celles et ceux passionnés de ski, de montagne, ou passionnés tout court, ces mots raisonneront peut-être en eux comme une invitation à communier avec la nature à la liberté de ses espaces sauvages.
Pour le néophyte, le ski est juste un sport comme un autre. Onéreux, surpeuplé, grégaire. Certes, il l’est devenu dans une certaine mesure. Mais les individus qui ne voient en lui qu’une distraction dominicale des weekends de janvier aux relâches de février, omettent la dimension spirituelle de cet art.
Qu’ils restent dans leur ignorance et leur inculture; ne nous plaignons pas. Les cimes déjà trop souvent dérangées, préfèrent échanger avec des gens humbles et respectueux.
La société mercantiliste nous déresponsabilise totalement.
Dans les stations, qui ressemblent de plus en plus à de grands parcs d’attractions pour citadins écervelés, nous voyons pousser une quantité exponentielle d’installations et d’infrastructures high-tech, dans le seul but de satisfaire la soif intarissable de futurs businessman en herbes arborants un équipement dernier cri sans savoir s’en servir. Ils crieront alors d’une voie forte à leur congénères, qu’ils ont dévalé cette pistes bleue damées au couteau suisse à toute allure, voire pour les plus « aguerris », qu’ils ont fait un truc de fous en passant sous les filets de sécurité…
La question se pose donc: ai-je le « droit » d’aller dessiner une ligne sur cette montagne là-bas? Bien sûr que oui! Il en va de ma responsabilité de reconnaître que la montagne a des règles et qu’il faut les apprendre et les respecter.
Mais ces dernières années, à cause en partie de la démocratisation de la mode du « freeride », et du surnombre de touristes au sens le plus péjoratifs du terme, les stations ont dû investir dans des filets de sécurité, des panneaux indicateurs, des interdits, et des zone de hors-pistes « sécurisée ». Tout ça juste pour se protéger de poursuite judiciaire, au cas ou un « belge » serait sorti sur un itinéraire hors-piste non-balisé, mais « ouvert », sans aucune connaissance ni équipement, et se serait brisé sa frêle guibaule ou se serait fait emporté par la méchante « mort blanche » que décrivent si bien les médias de bas étage.
Bref, ne nous égarons pas, et ne perdons pas de temps avec ces simples consommateurs avides de nouveautés et de sensations fortes à raconter à leurs envieux collègues de bureau, uniformément bronzés aux UV du solarium d’à côté.
Revenons aux origines.
Comment peut-on qualifier le ski d’art? Comment peut-on en tomber amoureux?
Au départ le ski était un moyen de transport, de déplacement. Puis les lobby touristico-économique s’en sont emparé et ont créé le sport de masse que l’on connait aujourd’hui.
Mais certains irréductibles skieurs authentiques ont voulu résister à cette déferlante. On les appela les Ski Bums, ou clochards du ski en français.
Prenant ce sport comme il l’était au départ, ils s’en sont servi pour se déplacer, pour découvrir de nouveaux horizons, de nouvelles pentes, de nouveaux sommets, découvrir des destinations de ski insolites, rencontrer les indigènes, échanger, s’imprégner de lieux mythiques, bref ils ont pris du temps au temps. De nouvelles vocations se sont développées, des artisans du ski ont partagé leur savoir, des villageois ont raconté des histoires de montagne, des gens se sont émerveillé devant l’immensité des itinéraires…Bref, l’éloge de la lenteur est apparue.
Une culture ski s’est alors formée. Mais elle est toujours restée en marge, pratiquée et comprises que par quelques initiés.
L’amour pour cette noble pratique qui requière patience, abnégation et humilité s’est peu à peu développé. Certains arrivistes ont voulu s’en emparer, se l’approprier, mais se sont brûlé les ailes à vouloir toujours plus, plus vite, plus haut, plus extrême.
Au même titre que l’amour passionnel entre un homme et une femme, l’amour pour le ski demande du temps, de la compréhension, une connaissance de l’autre et de soi, une attention particulière de l’environnement dans lequel on évolue, et une volonté de réussir. On se rend très vite compte si on est fait l’un pour l’autre ou pas. Les relations humaines sont complexes, le ski l’est tout autant, et c’est ça qui le rend intéressant et vivant.
Une piste balisée peut être comparée à une relation au départ facile, lisse mais superficielle, sans saveur dont on se lassera très vite. Hors des sentiers battus ou des pistes damée, on retrouve l’inconnu, des terrains vallonnés, pentus, raides, glacés, crevassés; de la neige cartonnée, croutée, humide, collante, froide, gelée, soufflée…on se fera peut-être secouer sur le moment, des sueurs froides apparaîtront ainsi que des questionnements sur la légitimité de notre présence en ces lieux…mais tellement plus intéressant, captivant, valorisant.
Et rien, non rien ne pourra remplacer ces moments de grâce ressenti dans une neige légère, poudreuse, voluptueuse, sur une pente magique, avec des courbes sensuelles. Ces instants aussi éphémères soient-ils, resteront à jamais gravé dans notre âme, comme étant l’aboutissement de la quête du graal de tout homme passionné.
La mort d’un instant, le début d’une signification.
Mais comme pour toute passion elle peut être cruel. Repousser les limite est le propre le l’homme. Nous ne vivons pas dans le même monde. Incompris, l’intensité atteindra peut-être un jour le point de non retour…Mais nous aurons vécu libre, le visage au vent.