Posté en tant qu’invité par pierRe Rouzo:
J’ai découvert l’escalade en même temps que Jean-Marc.
Nous étions bons amis (nos femmes aussi d’ailleurs) et nous nous connaissions
depuis cinq ou six ans. Nous habitions tous les deux à Nancy, en Lorraine
(en haut, à droite), et ni lui ni moi ne faisions de sport. Rien.
La toute première fois que l’on a «grimpé», c’était en 1980, en novembre,
lors d’une très -très- rares journées d’ensoleillement qu’offre ce pays.
Air froid et sec, donc.
Christian, un copain qui connaissait l’activité, nous en parle un jour.
Il nous propose même de nous initier à cette «chose», totalement inconnue
pour nous : La Varappe (?)…
Bon, soit, on peut toujours essayer… Zou : allez, on verra bien.
Rendez-vous est pris. Dans les proches alentours de Nancy, c’est pas compliqué :
il n’y a qu’une falaise : Maron (!).
Enfin, une falaise : une ancienne carrière désaffectée dans un joli coin de verdure.
Un endroit, finalement très bucolique, au bord de la Moselle.
Elle forme une petite barre de calcaire fracturé, d’une petite trentaine de mètres
de haut pour une centaine de large. Elle est coupée aux deux tiers par une très large
et confortable vire, dans laquelle sont ancrés toutes sortes de bouts de ferraille :
cornières, fers à bétons, fils de fer… pareil dans les voies, plus des pitons.
Des militaires s’y entraînent régulièrement en surnombre, des pompiers aussi,
et le Club Alpin y organise souvent des sorties. Le nom des voies est évocateur :
«la K2», «le dièdre jaune», «la fissure Rébuffat», etc.
Ce jour là, et malgré le soleil, il n’y a pas trop de monde.
Moi, j’aime autant : je n’apprécie guère de «tourner ridicule» devant témoins (!).
Christian a tout le matériel nécessaire et nous donne maintenant les premières
consignes de base : comment grimper sur le rocher comme à une échelle,
avec toujours trois points d’appuis (??), comment se servir du descendeur
pour assurer le premier de cordée, etc.
Et c’est parti : Christian évolue facilement et grimpe rapidement jusqu’au «sommet».
Pas le temps, pour nous, les néophytes, d’observer -vraiment- la gestuelle du connaisseur
et l’emplacement des prises… Mais bon, «ça à pas l’air trop compliqué SON truc» (!?).
Bon. c’est au tour de Jean-Marc. Christian reste en haut pour assurer.
Houlaaa, c’est pas si facile, finalement : Jean-Marc zippe des baskets et passe
un temps fou à tâter le rocher pour trouver les prises…
Mais bon, il arrive tout de même en haut.
Pareil pour moi : je ripe des galoches mais je m’en sort.
Même pas peur. Jean-Marc non plus.
Par contre, lorsque je suis arrivé sur la vire, j’ai trouvé «un peu bizarre» que Christian
m’assure de cette drôle de façon : debout, les pieds au bord du vide et la corde
par dessus l’épaule (?)…
Mais bon, c’est lui le «pro».
Après plusieurs autres voies, nous sommes vraiment enthousiasmés (!).
C’est super «çà», d’escalader ! La varappe : ça nous plaît !
Ca nous plaît tellement, que l’on songe aussitôt à s’acheter -nous aussi- notre propre
matériel. Las, les prix qui figurent sur les étiquettes sont -pour nous- particulièrement
effrayants (!). Ca nous calme.
C’est l’époque où l’on est au chômedu plus souvent qu’à notre tour.
Pas beaucoup de fric en magasin donc.
Qu’importe, Jean-Marc et moi sommes bricoleurs et je trouve des astuces : on va se
confectionner un baudrier chacun, avec des ceintures de sécurité… de bagnole (!).
Une partie a été cousue par un cordonnier et ils se bouclent autour du bassin à l’aide
d’un mousqueton à vis. Deux mousquetons, bien entendu chapardés dans LE grand
magasin de sports. Je me suis bricolé -pour ma part- deux plaques de métal (de l’inox),
qui rendent plus rigides mes piètres baskets de ville.
Un gant de toilette me sert de sac à magnésie.
Ne reste plus qu’a trouver la corde (Christian n’est pas toujours dispo).
Jean-Marc, peut être plus fortuné, mais surtout, apparemment plus motivé que moi,
saute le pas : il s’en achète une. La moins chère : toute blanche.
Une sangle, un autre mousqueton à vis et un descendeur plus tard
(tout ça chapardé, bien sûr), il n’y a plus qu’à.
Il n’y a plus qu’à… attendre un jour sans pluie !
La Lorraine, ça n’est pas franchement le pays de la varappe : quelques jours de soleil par an,
du trop froid en hiver, du trop chaud en été, de la pluie ou du brouillard le reste
du temps, et surtout, pas de cailloux à des kilomètres !
Mais «ça le fait» de temps en temps…
En observant les autres grimpeurs, Jean-Marc et moi s’assurons maintenant
«en moulinette» (le mot n’existait pas encore), du bas, avec un 8.
Christian nous a blousés de sa crânerie. Nous en sommes convaincus :
c’est nul et surtout dangereux !
C’est aussi l’époque où certains «vrais» grimpeurs, peignaient certains pitons en jaune.
Ceux dont il était possible de ne pas se servir pour la progression.
Nous, on fait comme on peut : quelques fois on s’en sert, quelques fois non.
Mais on fait des progrès (!).
Et puisque faire des progrès est encourageant, on s’entraîne maintenant chez nous.
Chacun chez soi : musculation, tractions, assouplissement…
Un peu de tout et un peu n’importe quoi : après s’être démonté le dos, Jean-Marc
a arrêté les tractions lestées d’un sac à dos… rempli de cailloux (!),
et moi, j’ai laissé tombé le grand écart facial, après m’être démoli les genoux !
Le premier magazine qui parlait de varappe et que j’ai trouvé en rayon chez
le marchand de journaux, s’appelait «l’Année Montagne». Et puisque la couverture
en était souple, je l’avais plié directement dans mon blouson sans passer par la caisse.
Haaa, que de rêves, de fantasmes et d’ambitions nouvelles : les photos sont mauvaises
mais donnent tout de même envie : Buoux, le Verdon, les calanques…
Si la montagne nous laisse plutôt froids, les falaises du Sud… le soleil…
çà, ça nous fait vraiment rêver (!).
A Maron, le «vrai» grimpeur, le cador, c’est celui qui connaît ces falaises mythiques.
Et justement, on en connaît un. De vue (un con).
Un gaillard que nous, les deux débutants, intriguions : on faisait -tout de même-
de très rapides progrès (Nous faisions même du solo sur ce caillou… limite péteux !)…
Sans s’inquiéter du matériel minable qu’on utilise, il nous conseille de grimper
«en tête». Ha bon (?), il en est sûr le monsieur, c’est mieux ?..
Bon, o.k : fini l’assurage du haut, à nous la «vraie escalade» !
Y’a pas de raisons, on a 24 ans, on est jeunes et motivés (!) :
on va s’y essayer.
Allez, GO ! C’est Jean-Marc qui s’y colle le premier.
Une voie sur un beau pilier blanc, cotée dans un 6- de l’époque (6-/6/6+…
sans doute un bon 6b+ d’aujourd’hui). Le nouveau «premier de cordée» évolue
pas à pas, et moi, l’assureur, je trouve la corde bien raide pour donner du mou
dans le descendeur.
C’est un peu le bordel…
Chute du leader !!
Houuu: je tient fermement la corde mais glisse sur plusieurs mètres
sur les graviers de la vire. Ouf, tout va bien, c’est «notre» première chute
et Jean-Marc ne s’est pas fait mal.
Un autre jour, c’est moi qui suis en tête. Je suis à la peine : j’escalade l’une des
«Demoiselles de Meuse», à St Mihiel, à une centaine de kilomètres de Nancy.
C’est une belle tour de calcaire (il y en a six), sans beaucoup de fractures, lisse,
ronde, où il n’y a que des petits trous pour servir de prises.
C’est super dur (!).
Même avec mes EB (Super Gratton) toutes neuves, j’ai bien du mal à évoluer
sur les seuls bi-doigts et monodoigts, qu’offre cette voie que l’on ne connaît pas.
Je m’arrête à chaque ancrage rencontré.
(A l’époque, le monodoigt représantait LE MUST de l’escalade (!) : quand on parlait
de monodoigts dans une conversation : les visages s’éclairaient (!)…)
Mais là, y’a vraiment un problème :
au dessus, je repère un «machin» en ferraille pour mettre le mousqueton
(pas de «dégaines» pour notre cordée : elle n’a pas le sou !), je monte,
m’en approche… quelle horreur (!) : c’est un petit collier que l’on utilise pour fixer,
au mur, les tubes de cuivre !! Deux demi ronds reliés par une petite vis
de chaque côté (!)… ça va pas le faire !
C’est pas costaud çà !!
Houuu… kesss on fait dans ces cas là ?
Bon, faut redescendre. J’ai une idée : on n’a qu’à laisser LE mousqueton en acier.
Un mousqueton que j’avait réussi à dissimuler à un militaire, avant de le lui chaparder
après son départ (de l’antimilitarisme primaire, mais bon pour NOTRE cause de
grimpeurs débutants). De toutes façons, il est trop lourd : on ne s’en sert jamais.
Le seul gros problème, c’est que je suis accroché à une douzaine de mètres,
et que Jean-Marc est obligé de me lâcher : les affaires sont plus loin (!)…
Mais bon, la cornière a l’air de bien vouloir supporter mon poids (je suis tout maigre)…
donc…
Jean-Marc trouve l’objet dans LA valise. C’est vrai : je suis un drôle de zèbre :
alors que tout le monde utilise un sac à dos, moi, je trimbale mon matériel de varappe
dans une petite valise (!?)…
Bon, après une manœuvre un peu délicate, les deux gaillards sont maintenant
tous les deux au sol / le cul dans l’herbe / sains et saufs.
Pouuuuf. C’est compliqué La Varappe.
Après ces premières expériences d’escalade en tête, ses chutes, ses échecs,
ni Jean-Marc ni moi ne se souvient sur les conseils de QUI (?), on a changé
radicalement d’attitude… et surtout de matériel !!
Si nous récapitulons, les deux zigotos que nous étions,
ont commencé à faire de l’escalade avec :
—pour toutes dégaines : des mousquetons qui restent ouverts (la barette se coinçait
sur le côté, pour on ne sait plus quelles ingénieuses raisons mais ça nous avait plu :
on en avait volé une bonne demi douzaine !) ;
—des baudriers en ceintures de sécurité, fixés sur les hanches, plus bas que le nombril,
(bonjour les risques de retournement) et fermés par un mousqueton à vis…
barette en haut (!) ;
—une corde spéléo. Une STATIQUE donc : la «blanche» était moins chère que les autres
(ni Jean-Marc, ni le vendeur, ni les quelques grimpeurs de Maron ne semblaient en connaître
LA différence avec une VRAIE corde d’escalade : DYNAMIQUE ) ;
—un encordement réalisé par une queue de vache -le seul nœud qu’on savait faire-
di-rec-te-ment attachée sur la barette du mousqueton à vis !!#@% ;
—et souvent, sur du matériel fixe… prévu pour de l’artif !!
… … …
Nous sommes aujourd’hui en 2005, Jean-Marc et moi-même sommes toujours en vie
(et nous espérons qu’à la lecture de cette petite histoire, TOUT LE MONDE peut,
doit (!) crier au miracle !) / nous habitons depuis 20 ans dans le Sud de la France /
nous faisons toujours de l’escalade / et nous avons -à nous deux- 94 ans passés !
Et si Jean-Marc, souvent et trop longtemps blessé, n’a pas pu énormément progresser,
moi, j’ai tout de même réussi à fleurter -à une époque- avec le 8c…
Faites attention à vous (!), et intervenez, TOUJOURS, quand d’autres semblent
pouvoir se mettre en péril… par leur attitude, par le matériel qu’ils emploient
ou leur façon de l’employer !
L’escalade est un jeu… qui peut très vite très mal tourner (!).
Bonne grimpe (!).
Pierre Rouzo…
et Jean-Marc Lallemand :
«On est allé voir un film sur Rebuffat et on a discuté avec lui.
Je me suis même fait virer de (mon boulot de régisseur) (à) la «Comédie de Lorraine»
à cause du film de Giani sur Patrick Berhault, je devais travailler un soir
et j’y suis pas allé. Je regrette pas.»
(Superbe)
De Martine, la femme de Jean-Marc (à pierre) :
«elle est bien vraie ton histoire mais il y a une chose que tu as oublié de mentionner :
les soirées que vous avez passées, tous les deux, à discuter sur l’escalade, les machins,
les choses, etc… alors que nous étions jeunes et belles
et en attentes d’occupation !!!»
Tout est dit… sur les débuts d’une passion (!)
P.
Atention : les commentaires sont sur :
« Nos petites histoires / commentaires » (!)… sur c2c…