Posté en tant qu’invité par Francois:
Y disent 4 heures, comptez-en 8. Y disent 10 clous, comptez-en le double. Y disent: « Allez-y tranquillement » , prenez la première benne (si vous pouvez) sinon c’est le bivouac assuré. Pour la descente, descendez n’importe où. Ces lieux sont tellement fréquentés que, de toutes façon, vous ne serez jamais le premier à vous tromper, ce qui explique que c’est équipé un peu partout. A titre indicatif, il parait que nous sommes descendus par le couloir Bœuf. Ca ne s’invente pas.
Il me souvient tout de même qu’au dernier rappel, la nuit commençant à tomber, on n’y voyait goutte. Par hasard, j’avais trouvé à tâton le piton du rappel. Le départ était vaguement surplombant et la corde s’enfonçait dans la ténèbre vers quelque mystérieuse et improbable destination. En conséquence de quoi, il m’a paru opportun et prudent d’inviter mon camarade à descendre le premier - Bon, ben vas-y - estimant préférable que ce fût lui, plutôt que moi, qui tournicotât sous le surplomb à l’extrémité d’un rappel trop court. Mais, grâce à Dieu (qu’est-ce que Dieu vient faire là-dedans?), tout s’est bien passé. Ce qui ne nous a pas empêché de terminer la journée les pieds dans le sac (entendre par là: bivouac imprévu. On met les pieds dans le sac, le dos contre la muraille et la tête sous le robinet et on attend que ça passe).
Je me rappelle aussi (décidément, le rappel est mis à toutes les sauces, en montagne. On peut même le battre), je me rappelle aussi disais-je donc alors, que dans cette voie il y avait un « bloc immeuble ». Oui, bon, ben j’y peux rien, hein, qu’est-ce que vous voulez que je vous dise, c’était dans le topo. On lisait le topo, c’était écrit " passez le bloc immeuble ", j’y peux rien, moi, c’est pas moi qui ai fait le topo ! Savez-vous ce que c’est qu’un bloc immeuble ? Il y a immeuble et il y a bloc, c’est évocateur et on grimpe là-dessous. Mais tout bien considéré, un bloc immeuble est immeuble, comme sont nom l’indique. C’est à dire qu’il n’est pas meuble. On ne risquait donc pas, a priori, de prendre du mobilier sur la figure. Finalement, c’était encourageant…Nous avions tout de même longuement débattu de la présence, au-dessus de nos petites mais néanmoins précieuse personnes, de ce " bloc immeuble " car enfin cependant il fallait aussi considérer que ce " bloc immeuble " ne resterait pas immeuble ad vitam aeternam jusqu’à la consommation des siècles et l’avenir est incertain…et puis aussi, on envisageait avec appréhension la disproportion évidente entre la taille du bloc et la taille sans commune mesure de nos faibles carcasses. Enfin bon bref, tout s’est bien passé et aux dernières nouvelles, le bloc immeuble est toujours là.
Cette Contamine-Vaucher, c’était une voie de l’ancien temps. Fallait matraquer des trucs appelés pitons dans des autres trucs appelés fissures et c’était drôlement fatiguant alors on en mettait le moins possible, ce qui explique que, parfois, on se sentait un peu " juste " mais c’était comme ça qu’on grimpait alors, et on n’en faisait pas tout un fromage. On avait des grosses pompes au pieds, des super-guide que ca s’appelait . Avec un nom pareil… FALLAIT avoir des super-guide dans ce temps-là, sinon, on ne faisait pas vraiment partie, on se faisait ricaner après, on se faisait sourire en coin et sournoiser des remarques. Et un sac sur le dos avec dedans plein de choses inutiles mais on ne sait jamais. Par exemple, on avait un tas de cordelette pour faire des anneaux de rappel, pasque là, ça vous étonnera, mais les rappels, c’était pas équipé comme maintenant, avec des chaînes, des maillons, des goujons, des brochets, des lignes, des moulinettes et tout l’attirail du parfait petit pêcheur. Qu’est-ce qu’on avait encore dans le sac ? la veste en duvet ! ah ouais ! super bien, la veste en duvet ! j’sais pas pourquoi on ne la prend plus, maintenant…quand on la mettait, on avait l’impression de se glisser sous un édredon ! Toujours dans le sac, la doudoune, toujours, toujours. En plus qu’on grimpait très mal en ces temps immémoriaux : on se tirait aux clous. Oui, vous avez bien lu : on se tirait zaux clous. Ca c’était mal, très mal. Tirer aux clous, vous vous rendez compte ! Au fait, j’ai oublié de vous dire…dans le parler de l’époque que je vous cause, un clou, c’est un piton. Ah oui, mais vous savez peut-être pas ce que c’est un piton ? Pfff…trop long à expliquer. Demandez aux vieux. On avait aussi des knickers, ce mot barbare désignait un pantalon qui ressemblait un peu aux collants d’aujourd’hui, mais en moins moderne, en plus ringard quoi. Y’en a encore qui en portent mais ça fait franchement pas moderne, franchement pas. Pour tout dire, ça fait vieux con qu’a pas vu le train passer. Ca fait plouc. Ca fait blaireau. Ca fait bouffon. Et il était de bon ton que le dit knicker soit un peu râpé, élimé, délavé; ça faisait pro, ça faisait sérieux, ça faisait vieux loup de la montagne qui en a vu des vertes et des pas mûres. Pareil pour la veste. On grimpait avec une veste. Une veste Yannick Seigneur. Orange.
En fait, pour tout avouer, ce jour-là, on a triché. On n’est pas allé au sommet du Peigne. Vu l’heure, on pouvait se brosser. Y’avait trop de dents. On s’est arrêté au gendarme 3068. Quoi ? Vous connaissez pas le gendarme 3068 ? Qu’est-ce qu’on vous apprend dans vos stages ?