Posté en tant qu’invité par Paul le Belge:
Après un séjour dans la région d’Arolla, nous sommes revenus scandalisés de voir à quel point le Club Alpin Suisse avait transformé le noble alpinisme en une juteuse entreprise financière.
Voulant expérimenter la formule de demi-pension et l’offrir à mes enfants, nous avons passé une nuit à la Cabane des Dix. Nous y avons été très surpris par l’excellente qualité du repas et en même temps par le luxe coûteux qu’il représente pour des alpinistes plus habitués au saucisson et à la croute de pain. Nous avons ensuite téléphoné à la Cabane des Vignettes pour demander d’y passer une nuit sans prendre la demi-pension, ce qui nous a été absolument refusé d’une manière fort peu cordiale. Conclusion, pour permettre à mes enfants de s’initier à la haute montagne (Pigne d’Arolla), nous avons dû faire notre course en partant de la vallée à 2h30 sans passer par la cabane, ce qui a laissé la moitié de notre groupe épuisée sur le carreau. Merci le CAS !
Permettre que les cabanes rendent la demi-pension obligatoire me semble absolument contraire aux principes de l’alpinisme: au lieu de proposer un refuge à tous (en priorité aux membres du Club, je trouve ça normal même si je n’en suis pas membre), pour lequel il est logique de donner une rémunération raisonnable, les cabanes du CAS ne proposent plus désormais qu’une hôtellerie aux riches pour lesquels course de montagne rime avec budget illimité.
M’en étant plaint auprès du CAS, le responsable des cabanes de la section Monte Rosa m’a répondu en gros que:
1- le CAS s’efforce de répondre à une nouvelle demande croissante. Or l’alpinisme évolue dans le sens d’un tourisme de luxe.
Mon interprétation: le CAS s’adapte et transforme ses cabanes en hôtels étoilés, c’est assez logique.
2- Le règlement du CAS stipule d’une part qu’il n’y a aucune obligation de consommer. D’autre part, que le gardien n’est pas obligé de laisser les hôtes (d’après moi cela signifie: peut leur interdire de) préparer la nourriture qu’ils ont amenée. De toutes façons, il est très rare que les hôtes n’acceptent pas la demi-pension.
Mon interprétation: Puisque dans le cas de la cabane des Vignettes, la gardienne que j’avais contactée par téléphone nous obligeait à prendre la demi-pension même si nous disions ne pas vouloir manger, je ne vois pas d’espace de liberté entre ces deux propositions contradictoires. De toutes façons, je ne pense pas que le fait que tous acceptent soit une justification si aucune alternative n’est tolérée
3- Les alpinistes qui ne paient que la nuitée ne rapportent rien au gardien mais lui coûtent l’occupation des locaux, le nettoyage des toilettes, l’entretien des couchettes, etc. Autrement dit, ils profitent d’une infrastucture sans s’acquitter, ou alors très partiellement, du droit de l’utiliser.
Mon interprétation: les alpinistes désireux de vivre leur passion « à l’ancienne » sont des profiteurs. Le prix des nuitées en cabanes du CAS me paraît pourtant étonnamment élevé pour n’être qu’un « acquittement très partiel » du droit d’en utiliser l’infrastructure. Même en connaissant le coût de la vie en Suisse, cela me semble bien peu crédible.
NB: Je pointe expressément le CAS car nous n’avons eu aucun problème de ce genre à une Cabane non-CAS de la même région: très bon accueil, aucune tentative de nous vider le porte-monnaie malgré que nous avons annoncé par avance que nous cuisinerions notre repas lyophilisé à l’extérieur de la cabane et ne prendrions donc pas la demi-pension.
Heureusement pour les touristes au budget serré que nous sommes, il y a de belles Alpes ailleurs qu’en Suisse. Mais les professionnels du « tourisme modeste » que nous avons rencontrés dans le val d’Hérens nous disent que d’année en année ils voient leur nombre de clients diminuer. Selon eux, la crise économique est le premier coupable. Si le CAS fait évoluer ses cabanes pour les réserver à une clientèle fortunée, il y a peu de chances que leur situation s’améliore.
Ne pourrait-on imaginer garder accessibles certains locaux rudimentaires (par exemple les locaux de refuge d’hiver) pour cette ancienne catégorie d’alpinistes qui ne craint pas la rusticité du passé ? Je suis convaincu que cette catégorie que le CAS considère comme obsolète est encore bien présente dans les Alpes. Et même si elle se fait plus rare, elle me semble mériter les attentions qu’on accorde par ailleurs aux moutons Roux et autres espèces en voie de disparition. En outre, cela limiterait le risque de voir proliférer les bivouacs sauvages dangereux et les dégâts qu’ils peuvent parfois causer à la nature.
Qu’en pensez-vous ? Vous considérez-vous comme des sportifs de luxe ou plutôt comme des alpinistes devenus obsolètes et aussi poussiéreux que ne le sont les romans de Frison-Roche que vous cachez dans votre bibliothèque ?