Posté en tant qu’invité par L’ancien:
[quote=Marcel Demont]LE GANG DES APPAREILLEURS
« Allez les ‘jeunes’, soyez sympas. Prenez-moi avec vous. Je vous montrerai par où ça passe, et vous, vous me tirerez. »
Comment refuser la demande du vieux Jimmy, de ce grand ancien, de ce roi des types ? Il a eu une vie pas toujours heureuse. Il a une curieuse petite voix, un regard doux, beaucoup de gentillesse. C’est un pur, une forme qui trottine par monts et vaux alors que tombe la nuit. Il est moitié homme, moitié revenant, Jimmy… et sa solitude.
Jimmy a fait de nombreuses premières, dont l’arête Ouest des Salbitschijen (7+, 6+ obligatoire, plus longue arête rocheuse des Alpes, 30 longueurs de corde, en 1948), et des répétitions prestigieuses comme la Cassin en face NE du Piz Badile.
Pour ce qui est du registre professionnel, durant sa vie active, Jimmy donnait dans la ferblanterie, et, pour la légende, son nom restera à jamais associé au gang des appareilleurs.
La deuxième moitié du 20ème siècle a connu les pitons Chouinard, les copper-heads, les skyhooks. La première moitié a eu le gang des appareilleurs du Pays d’en Haut dont les membres ont ouvert, dans les Gastlosen et dans les Alpes vaudoises, nombre d’itinéraires. Dans les grandes faces de calcaire blanc, gris ou bleuté, ils ont suivi fissures et cheminées, ne craignant pas d’affronter à l’occasion des topes (pentes herbeuses) proches de la verticale.
Ainsi, dans la Face Sud de la Jumelle, une seule fissure cheminée raye la paroi de bas en haut. Qui dit fissure cheminée, dit hésitation du grimpeur. Franchement cheminée, on ramone. Ouvertement fissure, on verrouille.
Mais fissure cheminée ? Pas assez large pour être ramoné, et pas assez étroit pour être verrouillé ?
C’est là que frappe le gang des appareilleurs. C’est là que l’équipe de Jimmy montre ses ressources. L’appareilleur se souvient qu’il a été ferblantier, fumiste, bûcheron.
Alors, pour la cheminée fissure, on ne lésine pas. On y enfourne des coins de bois gigantesques, et des tronçons de tuyaux de cheminée percés à leur extrémité pour qu’y passe un câble, voire un misérable fil de fer. On s’élève de bouts de tuyaux d’arrosage, en bouts de tuyaux de poêle forcés dans les entrailles de la montagne à grands coups de masse. Et ça crisse, et ça grince et ça gémit sous le poids des grimpeurs qui se font aussi légers que possible. A l’occasion, on recourt au tendeur à lessive qui, coincé en travers d’une fissure, fait office de prise ou de point d’assurage.
Relais. La voie est ouverte. Au second de cordée de monter, et de récupérer le ‘matériel’. De son marteau, il frappe de haut en bas, de bas en haut, et de côté, extirpe, tord, maille. A grands coups, il écrase et balance dans le vide toute cette tuyauterie indigne d’un plus long séjour sur la montagne. Qu’il est triste et lugubre le son de la tubulure que l’on arrache à la sombre et humide cheminée fissure.
Les chamois fuient apeurés et en désordre vers les profondeurs de la vallée, tandis que les morceaux de tuyaux rebondissent sur les dalles rouges. Victoire. La face Sud a succombé sous l’assaut du gang des appareilleurs, et malheur à ceux qui voudraient refaire à moindres frais cette ascension en profitant de l’équipement incomparable de la voie.
Au pied de la face, ils ont placardé un avis : ‘Danger, chute de tuyaux’.
A SUIVRE.
(© Guides vaudois, 1998, M. Demont et D. Cochand)
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Rafraîchissant 