L'alpinisme est-il en déclin ? En vue d'un article pour la Revue Suisse

Je ne partage vraiment les avis ni de Motorhead, ni de gédéon3. Ou tout au moins, je pense que leurs arguments s’inscrivent dans une évolution historique logique :

L’alpinisme s’est intéressé d’abord aux sommets, puis aux faces, puis aux motifs saillants de ces mêmes faces, puis aux motifs secondaires… et ainsi de suite… le tout dans une optique de « conquête » : l’alpinisme consomme d’une certaine manière son terrain de jeu. Pour compenser la perte d’intérêt liée à la saturation des faces ou au fait de ne parcourir que les micro-motifs de celles-ci, on a recherché l’esthétique et la technicité. Corrélativement, le résultat valorisant s’est déplacé du sommet vers le parcours (la voie). Actuellement, les Alpes commençant à être saturées (les kilomètres de parois herbeuses ou pourries non encore gravies ne correspondent plus aux deux critères précédemment cités), l’alpinisme se tourne vers les massifs extra-européens. Cette évolution ne concerne au premier chef qu’une minorité, mais celle-ci tire derrière elle la majorité des pratiquants qui suit avec plus ou moins de retard. Si on s’inscrit dans cette logique, que reste-t-il aujourd’hui à parcourir dans les Alpes ?

  • les voies normales des grands sommets emblématiques (elles ne sont certes pas désertées),
  • certaines grandes classiques, assez techniques, qui empruntent les grands motifs des faces et débouchent au sommet (la Walker en est le type même),
  • tout un tas d’itinéraires très techniques débouchant quelque part ou pas (escalades en montagne, goulottes, mixte « moderne »…),
  • pour la minorité la plus aguerrie, quelques grands itinéraires vraiment difficiles (No siesta, Divine providence…).
    Ont disparu tous les itinéraires classiques - pas très techniques, pas très esthétiques, au bout du monde - dont l’intérêt premier était de mener sur un sommet quelconque. Plus d’intérêt pour le sommet, plus d’intérêt pour la voie… mais ce sont ces itinéraires là qui constituaient le gros des courses…

Et il me semble que c’est assez ce qu’on observe.

La spécialisation - ou l’éclatement des pratiques - joue aussi un rôle, mais celle-ci découle directement de l’évolution décrite plus haut : rechercher la technicité réclame de s’entraîner, et on s’entraîne avec ce qu’on a près de chez soi, ce qui induit une certaine spécialisation. Ensuite, comme c’est le succès qu’on rencontre dans une activité qui génère l’envie de pratiquer cette activité, il est plus valorisant et plus facile de se concentrer sur son domaine d’excellence que d’aller répéter des itinéraires de montagne classiques, qui réclament un plus large spectre de compétences mais sont moins pointus sur le plan technique : à partir du moment ou le sommet ne compte plus, mais seulement la voie, le terrain disponible s’étend (toutes les falaises ou cascades de fond de vallée, ou ce qu’on voudra…) ainsi que la « rentabilité » de l’activité sans qu’il soit nécessaire d’aller en montagne.

Pour reprendre les arguments de gédéon3 et Motorhead, je ne sais pas si les « hyper trailers » dévalorisent l’alpinisme classique. Certes, ils parcourent les itinéraires dans des temps époustouflants, mais je ne crois pas que la majorité des pratiquants actuels comparent leurs performances aux leurs pas plus que - dans les années trente - les membres des nombreuses collectives ne se comparaient à Gervasutti ou Cassin… et je ne suis pas sûr que le différentiel soit plus grand aujourd’hui qu’il ne l’était hier. Quant au fait que les Alpes soient devenues trop faciles… cela ne concerne au mieux qu’une petite élite, et ce n’est pas l’objet de cette discussion : pour la majorité, les Alpes représentent un réservoir de voies inépuisable. Reste la surfréquentation et la marchandisation… certes, mais on peut encore y échapper…

[quote=« BP13, id: 1763352, post:81, topic:156679 »]Si on s’inscrit dans cette logique, que reste-t-il aujourd’hui à parcourir dans les Alpes ?

  • les voies normales des grands sommets emblématiques (elles ne sont certes pas désertées),
  • certaines grandes classiques, assez techniques, qui empruntent les grands motifs des faces et débouchent au sommet (la Walker en est le type même),
  • tout un tas d’itinéraires très techniques débouchant quelque part ou pas (escalades en montagne, goulottes, mixte « moderne »…),
  • pour la minorité la plus aguerrie, quelques grands itinéraires vraiment difficiles (No siesta, Divine providence…).
    Ont disparu tous les itinéraires classiques - pas très techniques, pas très esthétiques, au bout du monde - dont l’intérêt premier était de mener sur un sommet quelconque. Plus d’intérêt pour le sommet, plus d’intérêt pour la voie… mais ce sont ces itinéraires là qui constituaient le gros des courses…[/quote]
    Mouarf, alors d’après toi, dans les Alpes seules les voies normales et les voies TD et plus sont fréquentées ?
    Je t’invite à regarder cette liste de sorties alpinisme dans les Alpes et les Pyrénées sortant à plus de 3000m, de difficulté PD+ à D+ : il y a qq voies normales dans le tas, mais la plupart ne sont pas des voies normales.
    Faut arrêter de considérer sa pratique perso comme la généralité !

Quelques statistiques issues des sorties c2c : nb de sorties alpi >3000m depuis 3 ans, par niveau :
F à F+ : 899
PD- à PD+ : 2018
AD- à AD+ : 1728
D- à D+ : 1456
TD- à TD+ : 954
ED- et plus : 226

Posté en tant qu’invité par Motorhead:

[quote=« BP13, id: 1763352, post:81, topic:156679 »]Je ne partage vraiment les avis ni de Motorhead, ni de gédéon3. Ou tout au moins, je pense que leurs arguments s’inscrivent dans une évolution historique logique :

Pour reprendre les arguments de gédéon3 et Motorhead, je ne sais pas si les « hyper trailers » dévalorisent l’alpinisme classique.[/quote]

Désolé mais je n’ai pas encore parlé des « trailers », alors parlons en !
Le trail c’est très malins de la part de ceux qui l’ont inventé dans sa forme actuelle. Pas de fédération délégataire, juste une organisation commerciale (après dépôt de marques à l’INPI) secondée par des bénévoles bonne poire.
Dans le trail il n’y a rien à gagner pour les premiers, c’est épuisant et ça coute cher rien que pour s’inscrire sans parler du voyage - hors de prix pour un athlète des hauts plateaux - ou de l’hébergement. Peu de chance donc que le niveau soit élevé. Qui va bousiller sa saison de marathon pour des clopinettes ?..le finisher se voit alors auréolé suite à son exploit mis en valeur par les médias et les marques. C’est cette caisse de résonance qui n’existe plus en alpinisme. Pour entrer au panthéon des conquérants de l’inutile que faut-il faire ? De grandes voies en 8 minimum avec bivouacs et mains écorchées…? Y en pas dans les Alpes !

Ah parce que tu crois qu’il y a 50 ans les refuges étaient plein de gens qui rêvaient d’entrer dans le panthéon des conquérants de l’inutile, et que les alpinistes qui voulaient juste répéter des voies à leur modeste niveau étaient minoritaires ?
Tu es en train de te faire un gros film sur les alpinistes d’antan…

à Bubu

…mon post était déjà assez long comme ça… je dis juste que si on considère l’alpinisme comme une activité de « conquête » (avec tous les bémols que tu voudras, ne me cherche pas de poux là-dessus stp), et que c’est cet alpinisme de conquête qui tire l’alpinisme de masse pour ceux qui n’ouvrent pas de voies, la saturation du terrain entraîne naturellement une recherche du plus dur / plus proche au détriment du reste.

Les chiffres que tu cites sont intéressants, mais le sujet de la discussion, c’est leur variation, pas leur valeur absolue. Tels quels, ils ne disent rien.

Ils disent au moins que les « tous les itinéraires classiques - pas très techniques, pas très esthétiques, au bout du monde - dont l’intérêt premier était de mener sur un sommet quelconque » n’ont pas « disparu » (ce sont tes mots, je n’invente rien !).
En sachant que les sorties sur c2c ne représentent qu’une minorité des sorties réelles.
Ca a surement baissé depuis 50 ans, mais ce n’est pas passé à 0 !

A savoir aussi que pour les itinéraires F à AD en neige, une partie des gens ont compris que c’était plus agréable de les parcourir à ski. Et la fréquentation à ski de certains itinéraires classiques d’alpi neige a augmenté depuis 50 ans.
Il faudrait faire la somme de la fréquentation à ski et à pied pour comparer avec les chiffres d’il y a 50 ans.

Sur c2c depuis 3 ans, il faut ajouter 1045 sorties à ski sur des itinéraires d’alpi (mais le filtre en loupe).

C’est tout de même une vision élitiste et je ne pense pas que l’alpinisme ‹ de masse › s’inscrive dans cette logique, la grande majorité des alpinistes se contentant d’un niveau modeste à moyen et trouvant largement son bonheur dans les Alpes.
D’ailleurs tu le reconnais plus loin et du coup, j’ai du mal à suivre, sauf à comprendre que l’alpinisme, c’est avant tout les premières, les grandes courses ?

[quote=« BP13, id: 1763352, post:81, topic:156679 »]Quant au fait que les Alpes soient devenues trop faciles… cela ne concerne au mieux qu’une petite élite…
pour la majorité, les Alpes représentent un réservoir de voies inépuisable.[/quote]

Je dis juste que l’alpinisme, comme la plupart de nos activités, est tirée par une minorité. Compte tenu de la densité d’itinéraires sur les grandes faces des Alpes, cette minorité s’exprime soit dans les massifs extra-européens, moins exploités, soit en faisant du plus court - plus proche - très dur dans les Alpes. La majorité des alpinistes suit cette minorité, et donc abandonne l’alpinisme classique pour les activités qui en sont dérivées, seules les voies de grande réputation - faciles ou non - conservant une fréquentation élevée.

Il n’y a rien d’élitiste là-dedans. Je ne dis pas qu’il n’y a plus personne dans les voies AD ou D (comme l’a fait remarquer Bubu), je ne dis pas que le processus que je décris est le seul, je dis juste qu’il contribue vraisemblablement.

Note aussi que dès qu’on analyse quelque chose, on a tendance à sur-simplifier. Ainsi, les enchaînements de grandes parois en hiver sont bien une forme d’innovation (encore qu’en cherchant bien…).

Posté en tant qu’invité par Motorhead:

[quote=« Bubu, id: 1763362, post:84, topic:156679 »]

Ah parce que tu crois qu’il y a 50 ans les refuges étaient plein de gens qui rêvaient d’entrer dans le panthéon des conquérants de l’inutile, et que les alpinistes qui voulaient juste répéter des voies à leur modeste niveau étaient minoritaires ?
Tu es en train de te faire un gros film sur les alpinistes d’antan…[/quote]
Le mec qui se fait des gros films c’est peut-être toi…la recherche de la reconnaissance se fait aussi en étant le conquérant de l’inutile du forum.
Les bouquins des alpinistes qui ont ouvert les grandes voies étaient truffés de détails et de situations si dramatiques que le seul fait d’aller en montagne était considéré comme un exploit par le quidam (à juste titre peut-être), cf la description de la première de la voie des français au Pouce par Pierre Mazeau - page 108 et 109 - présentée par ce grand alpiniste, bien au-dessus du niveau de cette voie assez modeste, plutôt dramatiquement . Mais les marques et les médias sont passés à autre chose. Quand Patrick Béraud s’est mis à escalader feu le pilier Carpentier en solo et à le désescalader en quelques heures ça a mis un doute sur les dits exploits en rocher (ce qui est surement injuste car son niveau était juste phénoménal) de même pour la glace avec Robert Chéré qui s’est mis à courir dans les voies de la face Nord de l’Aiguille du Midi. Etre un alpiniste de base ne suffisait plus pour être reconnu…Aucun média n’a encore ergoté sur le Trial !

C’est toute la différence entre les premier et les « suiveurs ». Une chose est d’ouvrir une voie (du bas, comme à l’époque) et une autre de parcourir la même voie même voie toute équipée, mains dans les poches, en chaussons et ticheurte, avec 10 dégaines au baudrier. Penses-y.

Posté en tant qu’invité par Motorhead:

[quote=« Francois, id: 1763518, post:91, topic:156679 »]

C’est toute la différence entre les premier et les « suiveurs ». Une chose est d’ouvrir une voie (du bas, comme à l’époque) et une autre de parcourir la même voie même voie toute équipée, mains dans les poches, en chaussons et ticheurte, avec 10 dégaines au baudrier. Penses-y.[/quote]
Tu as lu le passage ? Tu as fait la voie ? Tu connais le palmarès de Pierre Mazeau ? Si oui alors comment ne pas s’interroger sur une éventuelle dramatisation systématique des récits d’alpinisme à l’époque ?

C’était l’époque « de l’alpinisme héroïque », tout simplement.

C’est juste que je connais pas mal d’alpiniste qui étaient « jeunes » à cette époque, et dont le but en faisant de l’alpinisme n’étaient pas de se la péter. Il y en avait bien sûr, mais il y avait aussi des collectives de 15 personnes pour des voies normales ou voies pas trop dures. Et les refuges étaient plutôt plein de ce genre de groupes que de cordées de kékés à la recherche de reconnaissance en faisant « comme les grands ».

S’il s’agit de la Kohlman-Mazeau, j’ai fait la voie alors que tu n’étais vraisemblablement pas né. En 72 ou 73, dans ces eaux là. Costume d’époque: knicker-chemise, grosses, sac sur le dos, massette Cassin et pitons. Ça ne nous avait pas semblé si facile bien qu’elle fut déjà passablement équipée (d’époque: pitons, anneaux effilochés etc.). Je ne sais pas ce qu’il en est actuellement. Peut-être est-elle spitée comme un blouson de rocker, ce qui change pas mal de chose. Quant au palmarès de Mazeau, qui ne le connaît pas ?

[quote=« Francois, id: 1763518, post:91, topic:156679 »]

C’est toute la différence entre les premier et les « suiveurs ». Une chose est d’ouvrir une voie (du bas, comme à l’époque) et une autre de parcourir la même voie même voie toute équipée, mains dans les poches, en chaussons et ticheurte, avec 10 dégaines au baudrier. Penses-y.[/quote]

Sans vouloir te froisser, je pense qu’il y a aussi un peu de ça:

Posté en tant qu’invité par John d’oeuf:

A voir les refuges si souvent pleins et le nombre de cordées qui se bousculent sur les cimes, on peut se demander si vraiment l’alpinisme est en déclin.

Je pense que la situation est contrastée suivant les régions, les stages Mont Blanc ont attiré une nouvelle clientèle, une autre forme de pratique. Avant on faisait parti d’un club la transmission se faisait par les encadrants. Avec les stages en une semaine on fait quelques sommets et on finit par le mont blanc.

je me souviens avoir parle avec un guide en haute Maurienne début 2000 il se plaignait de ne programmer une dizaine de course par été la ou il y a 15 ans il en faisait 40… par contre canyoning, via ferrata etc… c’était plein

dans certaines régions comme la haute Maurienne il n’y a plus personne qui fait d’alpinisme en partie car les glaciers sont réduits a peau de chagrins et ont transformé les classiques en bonne bavantes. 4hrs d’approche pour 80m de difficultés c’est peu engageant ces sommets sont d’ailleurs souvent bien parcouru l’hiver.

[quote=« rapha, id: 1763683, post:98, topic:156679 »][/quote]

Je n’ai pas suivi tout le fil.
A ce propos, voit-on l’alpinisme hivernal et le ski de randonnée monter en puissance, grâce à l’amélioration du matos (skis, sacs, tentes, chaussures, piolets, crampons, détection, gps …) et aussi parce que l’alpinisme estival est en baisse?

Il me semble que l’alpinisme est en baisse en France mais pas à l’étranger. ce serait intéressant que Borut nous disent si dans son pays il voit un déclin de l’alpinisme.