La pyscholo… la pchyloco… la truc là… appliquée à l'alpinisme

Posté en tant qu’invité par Marcel Demont:

La pyscholo… la pchyloco… la truc là… appliquée à l’alpinisme

65 ans aujourd’hui, et premier jour officiel de ‘retraite des vieux’, mais aussi, avec Momo, le plus ancien client, fidèle parmi les fidèles, qui suit partout comme une ombre, sans jamais se plaindre, depuis 43 ans, la qu’Abotse, 2740 m, 1300 mètres de dénivelé positif quand même, 9 heures de course, pas du difficile, une longueur de 5c, deux longueurs de 4b, une de 4c, et pour le reste, du 2 et du 3, et de la marche.
Une météo de rêve pour une arête rocheuse encombrée de neige à déblayer au piolet.
Le bonheur, le vrai. Celui que je vous souhaite de tout cœur.

65, c’est la dernière qui sonne pour déconner encore un bon coup (intentionnellement) avant d’être définitivement gâteux, caduc, décrépit, sénile.
Hein, de quoi, qui vient de dire :
« C’te ruine ça fait longtemps qu’elle déraille ? »
Gaffe, sinon, tarte à gueule, l’est encore teigneux le vétuste, un peu de psy…chose…machin quoi.

Durant ma carrière (longue, à titre pro, elle a commencé en 1963), j’ai connu trois écoles, et trois méthodes pyscholo…pchyloco… truc là… différentes, dans la conduite de sa cordée.

1ère
La méthode enseignée dans les années 1950 – 1960, celle de la terreur.
Elle trouvait sa justification dans la théorie suivante : en présence d’un état de grande pétoche avérée, pour que le client avance quand même, il faut qu’il craigne son guide plus que la montagne.
Du coup, en grognant comme des vieux chiens rhumatisants, certains guides n’hésitaient pas à hisser à bras le client refusant de monter. Le malheureux franchissait alors le passage redouté sans toucher le rocher. A la descente, la méthode préconisait de marcher sur les doigts refusant de lâcher une prise.
Je confesse avoir beaucoup pratiqué la méthode consistant à tirer - remorquer le client (parfois en grognant etc. voir plus haut). A la descente, par contre, j’ai toujours fait preuve de la plus grande patience.
Une fois, une seule, j’ai souffleté un client, qui ne m’en garda pas rancune. Nous avions été rattrapés par une tempête de neige, à cent mètres du sommet du Combin de Valsorey, 4150 m, sur l’arête du Meitin. Le client refusait de faire un pas depuis plus d’une demi-heure :
« Je ne m’entraîne pas pour la face nord de l’Eiger ! » répétait-il inlassablement, en se cramponnant avec désespoir au rocher verglacé.
« C’est ce que tu crois, répondais-je, mais si tu continues à prendre racine, on va bivouaquer dans la tourmente, et se geler les os, exactement comme à la face nord de l’Eiger ! »
En présence d’un client transformé par la trouille en statue de sel, quelques-uns poussaient des soufflées (des rugissements) qu’on entendait à des kilomètres :
« Ah, tiens, Frédéric est en train de treuiller un client dans la face sud de la Jaune, se disait-on, dans ce cas, alors que soi-même, tout en tractant, on émettait des meuglements d’encouragement à la Vire aux Genevois. »

2ème
Après cette période musclée, qui sonnait bien, et résonnait fort, j’ai connu la méthode Valium.
Au client pétrifié par une légitime frousse, on suggérait qu’il était victime de mal des montagnes, et qu’on avait un médicament capable d’éliminer rapidement ce petit problème. Quelques minutes, un comprimé, et un gobelet de thé plus tard, la cordée se remettait en chemin vers le haut, ou vers le bas, mais avec entrain, et dans la bonne humeur.
On peut en penser ce qu’on veut, mais j’aimais bien ce procédé.

3ème
Actuellement, il faut communiquer, convaincre :
« Tu peux le faire ! »
Trois quarts d’heure au départ du rappel (descente à la corde), à répéter :
« Tu peux le faire ! »
Et l’autre de répondre :
« Je vais y aller ! Je vais y aller ! Laisse-moi encore une minute ! »
Ça c’est de la pyscholo… de la pchyloco… de la truc là !…

Bon, à vous de débiler… heu… je veux dire… à vous de nous faire partager votre profonde connaissance de l’âme humaine, de nous communiquer votre ‘savoir-motiver’ le second de cordée à entreprendre quelque chose qu’il juge difficile, impressionnant, risqué.

[%sig%]

Posté en tant qu’invité par AlbanK:

Franchement, Marcel, tu m’interpelles avec tes écrits…

Je m’explique :

par delà l’ anecdote ( toujours cocasse ), le style ( sûr de lui, celà va de soit ) et l’ histoire ( souvent un prétexte ), il transpire au travers de tes textes une profonde connaissance de l’ homme, ou plutôt, je devrai dire : de l’âme.

Du vivant, pardi, tu nous serts là une vision philosophique d’une extraodinaire finesse dans le jugement.

Franchement, Marcel, tu m’interpelles avec tes récits tu vois, je te le répète…

Tiens, j’m’en vais écrire quelque chose sur toi…

Franchement, Marcel…

Posté en tant qu’invité par unCplus:

j’ai presque 40 ans de moins que toi… « ma » méthode c’est la 3ème ! la pédagogie est motivante et valorisante (pour tous hein !). mettre un tout petit peu la pression parfois c’est nécéssaire… question d’horaire.

gueuler un bon coup après le second quand il manque cruellement de dynamisme et de réactivité à donner du mou et que le premier est à 4-5 mètres du point… dégaine attrappée de justesse.

c’est la première fois que je lis un de tes textes… bin ouais faut un début à tout… je me suis bien régalé.

à te lire, même si tu es passé par la première méthode, on voit bien que tu a vieilli comme un bon cru de bourgogne !

au plaisir.

Posté en tant qu’invité par AlbanK:

Un bon Bordeaux, allons, ne rigolons pas avec le pinard !!!

Posté en tant qu’invité par l’Urbain:

Marcel, y’a pas de doute, c’est une cuvée du feu de dieu. Se bonifie avec l’âge, le bougre.

Bon, je vais voir ce que je peux dire sur la psychothérapeutalpinistique.
En tout cas, c’est sûr, j’ai commencé avec la méthode de la terreur. La plupart de mes suiveurs ont renoncés parce que, la montagne, certes, ça fait peur, mais mes coups de gueule, c’est encore pire.

Posté en tant qu’invité par AlbanK:

non, pas sur la tête aë aïe aïe !!!

( je t’es mis un mail comme convenu, andouille )

Posté en tant qu’invité par unCplus:

je rigole pas : c’est pour ça que je parlais de bourgogne… le bordeaux ça le fait aussi bien sûr !

Posté en tant qu’invité par Paul G:

Et si la bonne méthode était différente selon les clients ?
Peut-être même, pour le même client, selon les jours ou les situations ?
Pourquoi la méthode qui a marché le jour X avec le client Y marcherait à tous les coups ?

Et puis enfin, ca dépend si tu veux simplement franchir le passage, ou retrouver le client / rester ami pour plus tard.
Enfin, si tu veux lui faire aimer la montagne ou pas…

Posté en tant qu’invité par Francois:

Quoi ?
Psycho-truc, là, qu’est-ce que c’est que ces foutaises ? C’est encore un truc d’intellos parisiens, ça…
Nous, les guides, on n’a pas de temps à perdre avec ces conneries. Faut que ça avance.
Hier au Cervin, aujourd’hui au Dôme…
Justement, y’a la rimaye à sauter.

  • Allez-y, M’sieur, j’vous tiens… risquez rien !
    Je vois qu’il hésite.
  • Mais mais mais… c’est que c’est haut !
  • … tendez, vais vous montrer. Je passe devant.
    Je passe la rimaye, et hop ! un bon coup sur la corde.
    Le client fait un vol plané de cinq mètres.
  • Bravo ! Alors voyez… c’était pas si difficile !
    Continue la descente . train d’enfer. Ca crache, ça chie, ça proteste… et hop ! on tire.
    Refuge… Ben voilà, belle course, non ? Ca fait tant. Merci. Au revoir. A la prochaine.
    Ce soir, refuge du Pelvoux. Demain, traversée.
    Le client ? Bah ! suffit de tirer. Question d’habitude.
    C’est pas la psycholomotive qui fait avancer.

[%sig%]

Posté en tant qu’invité par Francois:

Psycholo-chie, oui…

Pas que ça à foutre, moi…

(Au fait, j’ai bien le chèque? oui, bon)

Posté en tant qu’invité par Francois:

Profonde connaissance de l’âme humaine?
Faut ça, pour faire de l’alpinisme?
Pffff… décidemment, c’est plus comme avant. Voilà qu’il faut se mettre des gants au cerveau.

Posté en tant qu’invité par catherine:

Marcel, tu me fais toujours bien rigoler, mais c’est tellement vrai tout ça !!!
j’ai quand même quelques petites questions :

au sujet de la méthode 1, tu n’as jamais utilisé la variante 1a qui permet de ménager ses cordes vocales (et les tympans de l’entourage) : tu tires seulement sur la corde !

pour la méthode 2, c’était quoi comme poudre de perlimpinpin que tu leurs donnais ?

et la méthode 3, tu ne vas quand même pas nous faire croire que tu l’utilises… enfin je veux dire « toute la balade »… ? tu finalises par la méthode 1 à mon avis !!!
ou bien la variante 1c qui associe les coups de pied au derrière (sans les crampons quand même !).

n’empêche que ça m’est arrivé pas mal d’utiliser (même sur moi) la méthode 2, mais avec des granules homéopathiques, ou de la sporténine : ça marche vraiment bien dans pas mal de cas !

Posté en tant qu’invité par Marcel Demont:

Merci Albank.
Je te tiens en haute estime.

Posté en tant qu’invité par Marcel Demont:

Merci UnCplus.

Posté en tant qu’invité par Marcel Demont:

Juste

Posté en tant qu’invité par Marcel Demont:

Très joli. Comme d’hab.
Merci François.

Posté en tant qu’invité par Marcel Demont:

catherine a écrit:

Marcel, tu me fais toujours bien rigoler, mais c’est tellement
vrai tout ça !!!
j’ai quand même quelques petites questions :

au sujet de la méthode 1, tu n’as jamais utilisé la variante 1a
qui permet de ménager ses cordes vocales (et les tympans de
l’entourage) : tu tires seulement sur la corde !

Il m’arrive aussi d’installer un mouflage (type sauvetage de crevasse)

pour la méthode 2, c’était quoi comme poudre de perlimpinpin
que tu leurs donnais ?

Du Valium (vrai de vrai)

et la méthode 3, tu ne vas quand même pas nous faire croire que
tu l’utilises… enfin je veux dire « toute la balade »… ? tu
finalises par la méthode 1 à mon avis !!!
ou bien la variante 1c qui associe les coups de pied au
derrière (sans les crampons quand même !).

Oui, pourtant! Je garde mon calme tout au long de la course (incroyable disent ceux qui m’ont bien connu). Mon arme secrète: le poids des ans (le maniement de cette arme ne demande aucun entraînement: il suffit d’attendre!)

n’empêche que ça m’est arrivé pas mal d’utiliser (même sur moi)

la méthode 2, mais avec des granules homéopathiques, ou de la
sporténine : ça marche vraiment bien dans pas mal de cas !

Je savais bien que nous allions finir par tomber d’accord.

:slight_smile: Merci Catherine

[%sig%]

Posté en tant qu’invité par Jean-Mo:

un peu des trois…

Posté en tant qu’invité par alain le monchu:

Il y a déjà bien longtemps , un guide a voulu m’appliquer ta méthode 1 parce qu’il trouvait que je m’arrétais trop souvent pour faire des photos . Je l’ai envoyé se faire voir , je me suis décordé et j’ai continué tout seul . Non mais …

Posté en tant qu’invité par Flo:

Bon anniversaire alors, même si j’ ai un jour de retard.

Je suppose que les méthodes varient aussi avec la personnalité du client.

Il y a des gens qu’ il doit falloir secouer comme des pruniers quand ils sont terrorisés, une bonne engueulade ou même une bonne paire de claques (là j’ exagère peut-être un peu, mais j’ ai un copain (X) qui l’ a fait car son second était pétrifié sur place et ça a marché).
D’ ailleurs, ça me rappelle que ce second terrorisé avait un chien qu’ il avait emmené faire les dents de Lanfon, des arêtes pas commode pour un chien, avec ce fameux copain X. Du coup, quand X venait voir son copain, le chien courait se cacher à l’ autre bout de l’ appartement.

Il y a aussi ceux qui ne croit jamais en eux, qu’ il faut convaincre avec beaucoup de pyschologie qu’ ils sont capable de continuer. La méthode Valium doit bien leur convenir à ceux là, un peu comme les placebo pour les hyppochondriaques.

Mais comme méthode pyslochogique, on peut aussi chercher la petite faille qui va motiver le client.
Pour celui qui hésite à se lancer en rappel,
si c’ est un footeux, comme argument motivant, tu lui dis, si tu ne te dépêches pas, tu vas rater la coupe du monde de foot.
A l’ amateur de bière, tu lui parles de la petite terrasse, à l’ ombre d’ un parasol qui l’ attend dans la vallée. (Pour moi, ce n’ est pas la peine, j’ y pense de moi-même)
A celui qui a un égo démesuré, tu le menaces de dire à tout le monde qu’ il a eu peur.
etc…
C’ est ça qui est bien, dans la pyslochogie, suivant la personnalité de chacun, on peut trouver le point faible qui va le faire avancer.

Mais bon, le métier de guide ce n’ est sûrement pas facile, j’ avoue que moi, quand je pars en montagne ou en grande voie avec une personne moins expérimentée que moi, ma méthode, c’ est de choisir quelqu’ un que je connais très bien.
Tu dois avoir encore un sacré paquet d’ aventures avec des clients à nous raconter.
J’ attends avec impatience de lire tes prochaines histoires si pleine d’ humour et si bien écrites.