La mort à 5m

Posté en tant qu’invité par Laurent:

Je suis vivant…
Et je trouve ça bizarre, illogique!

Hier, j’ai glissé sur un névé en descendant par la VN de l’Aiguille du Moine. Erreur stupide de ma part, j’ai fait deux pas de face et puis, me disant que ça ne passait pas, je me suis retourné pour descendre à reculons (en arrière quoi). J’avais quand même pris le temps de prendre le piolet que j’avais gardé avec moi (pour retaper un éventuel clou), les crampons eux étaient à la rimaye.
Et c’est en me retournant que j’ai glissé.

50m de glissade, sans pouvoir faire grand chose sinon me concentrer sur un but tout simple, m’arrêter! Mais j’ai eu beau me retourner, m’arc-bouter sur mon piolet, je n’ai réussi qu’à me freiner un peu en voyant arriver le bas du névé puis les blocs puis une terrasse de 10 m, puis plus rien. J’ai tapé un premier gros bloc puis un second…
Et je me suis arrêté. Debout sur mes jambes, sur cette terrasse bien inclinée, avec 5m de marge par rapport au bord de la marche. Haute la marche.
Je ne comprends pas comment j’ai pu m’arrêter sur cette terrasse inclinée pleine d’éboulis et de gravillons. En fait, logiquement je devrais être mort, ou tout du moins gravement blessé.

Ce matin je suis allé bosser, vivant et avec un simple mal aux côtes.
Les copains de cordée me disent que ce n’était pas mon jour. Ca doit être ça car plus j’y réfléchis moins je comprends.
C’est bizarre comme sensation, vivant et trop conscient d’avoir commis une erreur stupide. Sentiment d’avoir triché quelque part.
Je ne sais pas quel sera mon appréhension la prochaine fois que je me retrouverai dans une situation similaire.
Voilà, juste un petit besoin de parler après cette expérience que je partage avec peu de personnes (ce n’est pas mon prénom, je ne veux pas que mes proches s’inquiètent), tous alpinistes.
Je suis vivant et je ne sais pas pourquoi ni comment, mais je vais continuer à en profiter, un peu plus qu’avant peut-être.

Posté en tant qu’invité par strider:

oui il faut en parler, ça fait du bien…tu as subi un choc et il ne faut pas le garder pour soi…

disons qu’un gadin ça arrive forcément un jour ou l’autre, mais c’est vrai que quand c’est exposé c’est une autre paire de manche…c’est souvent dans les marches d’approches et notamment en retour qu’on relache…on n’est plus encordé, on lache un peu l’attention, on pense que c’est fini, on fatigue sans le mesurer…

quelle sera ton appréhension la prochaine confronté à ce genre de situation? je suis sur que tu y penseras inévitablement, ça t’obsédera l’esprit le temps que tu seras exposé, mais tu ne tombera pas parce que tu feras tout en sorte que cela ne se produise pas…c’est ça qui compte.

Posté en tant qu’invité par jc:

Content de te savoir en vie !
Le choc et le contrechoc passés, essaie d’en tirer la leçon qui te permettra de revenir en montagne sans appréhension. Repasser aussi objectivement que possible le fil de l’événement, comprendre quand et pourquoi ça a péché, afin de ne pas craindre de te retrouver dans les mêmes conditions.

Posté en tant qu’invité par Lucio:

qui n’a pas un jour dévissé dans une pente de neige (ou alors dévissé sans avoir commis d’erreur stupide) ? seulement, nous ne sommes pas égaux quant aux conséquences de nos erreurs. je ne sais pas si tu as bien ou mal fait de te retourner, mais tu aurais sans doute dû avoir les crampons aux pieds et, peut-être, être encordé. heureux, en tout cas, que tu sois là pour écrire ces lignes.

Posté en tant qu’invité par strider:

jc a écrit:

Le choc et le contrechoc passés, essaie d’en tirer la leçon qui
te permettra de revenir en montagne sans appréhension.

« sans appréhension » ça me laisse dubitatif , jc…la prochaine situation comparable, il est plus que probable qu’ il balisera au moins un peu et il ne pourra pas s’en empecher, la différence c’est qu’il prendra le temps de trouver la solution pour ne pas tomber…à la longue il aura de moins en moins la trouille mais il ne pourra pas oublier l’évènement, il s’en rapellera dès que chaque situation similaire se présentera…c’est sa réaction, son courage, son inventivité, sa capacité à prendre le temps qu’il faut, qui fera la différence.

Repasser aussi objectivement que possible le fil de l’événement

pas évident non plus…je pense que l’objectivité est impossible : un gadin est relatif autant à la montagne qu’à soi c’est complètement imbriqué…de plus ça se passe tellement vite qu’on ne sait plus toujours vraiment comment exactement cela s’est produit.

je pense au contraire qu’il ne faut pas décortiquer la situation…il faut lacher du leste et faire marcher la machine de l’oubli…lorsqu’il sera exposé de nouveau à la situation, il s’en rappellera inévitablement et pas qu’à moitié, mais à ce moment-là il trouvera la solution en lui et en l’extérieur pour ne pas tomber.
finalement c’est une question de temps qu’il faut donner aux choses, on va souvent trop vite.

Posté en tant qu’invité par l’Urbain:

Laurent a écrit:

j’ai fait deux
pas de face et puis, me disant que ça ne passait pas, je me
suis retourné pour descendre à reculons

Marrant (si j’ose dire…), il m’est arrivé exactement la même chose, il y a une dizaine d’année. Résultat : un vol plané au dessus d’une petite barre (4m quand même) et un attérissage brutal sur un gros cailloux plat, sur le dos. Mon coccis est vraissemblablement fêlé, mais rien de grave.

Bienvenue parmis les vivants ! Rien de tel qu’une grosse frayeur pour vivre plus intensément.

En espérant, bien sûr, que ça ne t’arrive plus.

Posté en tant qu’invité par jc:

Faire marcher la machine de l’oubli et ne pas vouloir essayer de décortiquer, c’est refouler, reculer pour mieux sauter si je puis dire…; ça augmente l’appréhension et le doute; en aucun cas pour ce qui me concerne… mais bon chacun voit les choses différemment.

Posté en tant qu’invité par Flo73:

Conserve ce moment comme une expérience positive, on fait rarement deux fois la même erreur. La prochaine fois, tu auras peut-être peur, mais tu seras beaucoup plus attentif, grâce à ton erreur de ce week-end.
En tout cas, moi aussi, je suis contente pour toi que tu t’en sois si bien tiré.

Posté en tant qu’invité par Paul G:

Content que ça se termine bien, content que tu nous le racontes.

J’ai deux questions :

  • Pourquoi l’arrêt au piolet n’a pas fonctionné ? Est-ce que tu as qd-même ralenti, et qu’il aurait fonctionné si le névé avait été + long ?
  • D’après toi, est-ce qu’il aurait mieux valut avoir des crampons sur ce névé ? Comment était la neige ?

Posté en tant qu’invité par strider:

jc a écrit:

Faire marcher la machine de l’oubli et ne pas vouloir essayer
de décortiquer, c’est refouler, reculer pour mieux sauter si je
puis dire…; ça augmente l’appréhension et le doute; en aucun
cas pour ce qui me concerne… mais bon chacun voit les choses
différemment.

lacher du leste et ne pas décortiquer ce n’est pas forcément refouler, c’est juste laisser le temps de décanter pour voir les choses sous un nouveau jour ; tourner la page et revoir les choses autrement, les jours se suivent et ne se ressemblent pas…

ressasser une chute dont on a pas tout les moyens, ni toutes clés pour comprendre ce qui exactement s’est produit, c’est plutôt ça qui entretient le doute…car le propre d’un petit accident qui nous a troublé c’est que justement on a pas tout compris, tout s’est passé trop vite etc… hé bien faut laisser le temps trouver ses propres solutions sans se torturer l’esprit ou forcer artificiellement une réponse.

pour ce qui est de l’appréhension c’est très difficile à mesurer et je pense que c’est en situation qu’on la sent vraiment et qu’on l’affronte…la différence est que la prochaine fois exposé, Laurent pourra prendre son temps, quitte à remettre ses crampons, mettre un assurage etc…c’est le temps qui permet aux choses de se rééquilibrer : en situation Laurent aura le temps qu’il faudra et je parie qu’ il y arrivera très bien malgré l’appréhension…

Posté en tant qu’invité par Laurent:

Paul,

Pour ce qui est de l’arrêt avec le piolet, c’est une conjonction de petites choses. D’abord c’est le marteau que j’avais avec moi, pr retaper les clous c mieux. Et du coup c’est la lame que j’ai tourné vers la neige. Ca me fait d’ailleurs pensé que j’ai quand-même du réfléchir un peu à ce moment là. Et une lame de piolet, dans de la neige molle et humide, ça bloque pas énôrme.
Et puis, le névé était quand-même bien raide et j’ai rapidement pris de la vitesse. Du coup plus difficile de s’arrêter.
Ensuite, d’après les copains, j’étais un peu de travers et je n’ai pas assez planté les pieds pour freiner.
Et ça aurait peut-être fini par m’arrêter si le névé avait été plus long… je ne le saurai jamais vraiment.
Toujours est-il que cela m’a probablement ralenti et en partie sauvé la peau.

Pour ce qui est des crampons, ils étaient à la rimaye, nous n’avions pas spécialement notés d’infos sur un névé expo à passer à la descente. Mais les 3 copains qui étaient avec moi sont tous descendus sans encombre, sans crampons… à reculons.
Mais ils ont eu très peur.
Et moi j’ai eu très peur pour mes 2 copains qui sont descendus après moi, je les voyait partir à tout moment.

Posté en tant qu’invité par Gepi:

Laurent a écrit:

Je suis vivant…
Et je trouve ça bizarre, illogique!

C’est déstabilisant à souhait.
Ça s’est réellement passé, ce n’était pas un rêve.
Il s’en fallait de si peu pour qu’il en soit autrement, un peu comme une pièce qui tourne et finalement tombe du bon côté, par hasard, alors que l’on pensait maîtriser et laisser une place au hasard (par principe), mais objectivement si peu.
C’est sûr, ça ébranle méchamment, mais tu es bien là malgré cette erreur.
Tu n’as pas eu du mal à dormir la nuit qui a suivi, voir la 2ème aussi ?
Ça oblige à se reconsidérer et faire preuve de plus d’humilité, de concentration, à ne pas perdre de vue les risques (droit à l’erreur ou pas) malgré la force de l’habitude.
Ne pas trop flipper non plus.

Pour moi, je laisserais les choses se tasser, car au début c’est très destabilisant.

Posté en tant qu’invité par pastriste:

salut , Strider à raison ça vas trés vite lorsque ça arrive ce genre d’histoire…il faut beaucoup de recul et de temps pour analyser et intégré ce qui c’est passé…Mais une chose est sure , il faut reprendre vite derrière pour pas laisser l’appréhension s’installer pour finalement ne plus pouvoir faire de l’alpi et de la grimpe…

en 2002 j’ai fait une chute trés longue d’un rappel sur une corde libre ( non noué ), je vous dis que les secondes lors d’une chute c’est terriblement long lorsqu’on pense qu’on vas mourir, l’impact au sol terrible…

quand t’as oublié ? Vraiment je crois pas que c’est possible , ça te marque vraiment trop …rien qu’a lire ce sujet , tout reviens , d’ailleurs c’est le type de sujet qui forcemment m’interpelle profondemment…

plusieurs mois aprés j’ai repris la grimpe juste sur le massif en face du lieu de ma chute , j’ai vomi de trouille sur les premières longueurs , puis ça été mieux…

finalement , en aout j’étai aux Cosmiques et Petits charmoz , en septembre la crête du diable au balaïtou , et depuis j’ai fait plus dur que celle la…

Un copain lors de ma réeducation m’as fait parlé et m’as aider à analyser les raisons et circonstances de mon accident , ça m’as beaucoup aider par la suite …c’est important de comprendre…
Si tout de même suis trés vigilant sur l’installation d’un rappel maintenant , dangereux la routine et la confiance aveugle…

[%sig%]

Posté en tant qu’invité par bloli:

Personnellement j’ai frôlé la mort à au moins deux bonnes reprises, en rocher, avec grosses blessures à la clé.
Au début, j’escomptais seulement ne plus souffrir, puis trois semaines après avoir lâché les béquilles après 6 mois d’immobilisation et 4 mois de rééducation, j’ai de suite repris la grimpe, avec un guide. Et moins d’un an après j’ai refait le passage où j’étais tombé.
La deuxième fois je l’ai refait avec une épaule pas encore bien remise.
Je crois beaucoup à la démytification des endroits « tragiques ».
Refais le même passage, en conditions parfaites de sécurité et à mon avis, tu en sortiras plus fort qu’avant.
Viva la vie !

Posté en tant qu’invité par v-max:

c’est étrange que je sois tombé sur ce sujet parce qu’il m’ai arrivé une experience similaire il y’a 15 jours evidemment pour ne pas affolé les proches seul mon compagnons de cordée et moi sommes au courant. Maintenant je sais que j’aime vraiment la vie , mais aussi la montagne.

Posté en tant qu’invité par jean-georges:

petit conseil d’ami: en cas de glissade sur un névé la façon la plus efficace de s’arrèter si on est conscient:
se retourner sur le ventre, tète en haut
progressivement appliquer les paumes des deux mains à plat sur la neige et appuyer doucement et progressivement sans chercher à planter la partie avant des pieds et si on porte des crampons rester à genoux et ne pas planter les pointes avant ( risque de saut périlleux arrière…)
J’ajouterai qu’à l’occasion de ballades de printemps sur neige, repérez un endroit sans risque avec une bonne pente qui se termine en cuvette ou avec une remontée et entrainez vous en vous lançant sur un sac en plastique pour prendre de la vitesse et pour expérimenter cette technique ancienne, peu enseignée mais très efficace.
Bonne glisse et gaffe aux pieds
jean-georges

Posté en tant qu’invité par mountaingirl:

J’ai appris cette technique moi en école de neige, si si c’est encore enseigné. On nous dit même de relever un peu les fesses, pour que les bras s’enfoncent bien petit à petit et face ancres peu à peu.
Maintenant je les encadre les écoles de neige donc je repratique/répète chaque printemps, c’est pas du luxe ! On part vite sur un névé…

Laurent, remets toi bien et surtout laisse aller ce qui remonte en toi côté moral et physique : ton corps et ta tête cicatrisent.
Et profite de la vie, elle est belle la vie : c’était pas ton heure mais un bon rappel que chaque minute est précieuse !

Posté en tant qu’invité par Paul G:

Je confirme les propos de moutaingirl : cette technique est encore enseignée.
Heureusement, parce que je ne vois pas comment faire autrement ?

Ce genre de chose devrait faire partie de la leçon n°1 de tout alpiniste (arrêt avec / sans piolet, avec / sans crampons et technique d’arrêt dynamique encordés)

PS : à mon avis, Laurent savait bien comment s’arrêter. Sinon, il ne serait plus là pour raconter son histoire…

Posté en tant qu’invité par Laurent:

Bonsoir à tous,

Je suis bien d’accord avec vous tous en ce qui concerne les techniques d’arrêt après une glissade. Je les connaissais et j’ai bien sûr essayé de m’arrêter en les suivant, comme quoi, les réflexes appris en école de neige sont bien utiles, surtout quand ils reviennent immédiatement comme ça a été le cas ce dimanche.
Je pense aussi que si je n’avais pas réussi à me freiner un peu, je serai probablement passé par-dessus la marche.
Je m’en tire finalement avec 3 côtes cassées (toutes du même côté) et un bon mois à rester tranquille.
En tout cas, merci à tous pour le partage de vos expériences respectives.
A très bientôt en Montagne
Laurent

Posté en tant qu’invité par Tof:

Ce genre de chose devrait faire partie de la leçon n°1 de tout alpiniste

Non, la leçon n°1 est de ne pas glisser ou tomber. Tout le monde a fait l’erreur de laisser le matos en bas en sous-estimant les risques d’une glissade.