II - L’initiation – Bande de tarés!
J’aurais pourtant pu me contenter de cette expérience énorme, de cette appartenance à une élite, mais je voulais aller encore plus loin. Je voulais faire de la montagne! Parce que randonner autour d’un lac d’altitude, aussi beau et élevé soit-il, se promener sur glacier, grimper sur un sommet de moins de 4000 mètres dans les Alpes, ce n’est pas " faire de la montagne ". Là il faut que je fasse une digression. Rien de plus énervant effectivement pour un alpiniste pur et dur que de se voir pris pour le randonneur précité. Faites bien attention donc, quand vous devisez en soirée avec un alpiniste! Sachez-le, par défaut il vous surplombe. Ce n’est pas de sa faute, c’est une déformation passionnelle. À force de se pendre dans des parois déversantes, il ne peut que juger les choses avec hauteur, supériorité. Aussi, lorsque vous lui demandez ce qu’il fait, sa réponse comportera un piège, destiné à savoir si vous lui arrivez à la cheville, à tester si vous êtes du milieu, ou si vous n’êtes qu’un vulgaire touriste. À votre question il répondra: " Je fais un peu de montagne ". Pauvre de vous si vous lui dites " Ah oui! Tu fais de la randonnée? Tu connais le lac machin? ". Dans son échelle de valeur vous venez d’atteindre l’insignifiance, qui se transformera si vous insistez en agacement. Il vous répondra cependant avec condescendance: " Oui, un peu ", avant de chercher le meilleur moyen de vous fausser compagnie: une soif soudaine, une musique attirante, des gros poumons parmi les convives. C’est que dans sa conception du monde, " faire de la montagne " c’est comme une carte de visite. Cela veut dire " je me mets au taquet dans des voies difficiles en montagne, j’engage la viande " . Vous avez peut-être entendu parler d’ascensions engagées. La montagne reste un des domaines où l’engagement prend tout son sens. Aujourd’hui on entend parler d’artistes engagés, ce qui me fait souvent hausser les épaules. C’est quoi le risque d’un artiste engagé en Occident? Ne pas passer sur une radio? Wah! courageux l’artiste! Dans une ascension engagée, le risque c’est d’y laisser sa peau ou sa viande, c’est autre chose. J’engage la viande c’est donc une expression du milieu, celle qui force le respect quand on voit les autres le faire et noue les tripes quand c’est à vous d’y aller. Cela veux dire que vous montez loin au dessus du dernier point , ce qui signifie que si vous tombez, c’est de haut. La viande c’est vous, votre corps. Une vision poétique des choses… ça veut surtout essayer de faire croire que vous n’accordez pas trop d’importance à votre " viande ". Si vous la cassez, eh bien après tout ce n’était que de la viande, pas de quoi verser des larmes lors de l’homélie. Votre interlocuteur vous fait donc comprendre à cette soirée que ce n’est pas un rigolo qui parcourt les alpages avec crème solaire et chaussures neuves. Au contraire il va se mettre dans des situations craignos en exposant un maximum son corps. Et vous, vous venez de lui dire " ah tu te ballades tranquille dans les alpages et les collines environnantes? ". Pas étonnant qu’il se vexe non? Un autre détail qui a son importance, il a infléchi sa phrase avec " un peu ", ce qui veut dire qu’il commence à intégrer l’humilité, donc il commence à avoir une bonne expérience de la montagne, on y reviendra. Alors si nous en revenons au sujet précédent, faire de la montagne, cela voulait dire pour moi rentrer dans ce club fermé des psychopathes de la trouille au ventre et de la traction d’un bras! Pas me contenter du lac machin ou du sommet bidule coté PD+ , Graal de tous les randonneurs du dimanche. Non, ce que je visais, c’était au moins la face Nord de l’Everest en solo sans oxygène pendant la mousson. Et pour cela il fallait commencer à se sortir les doigts du 6a . Fin de la digression. Mais plus dur encore, avoir la chance de croiser quelqu’un qui voudrait bien ne pas me prendre pour l’insignifiant terrien précédent et qui en plus voudrait bien m’emmener avec lui dans cette face Nord de l’Everest; ce fut Harvey. Harvey avait des gros poumons et on avait déjà sympathisé sur LE pan d’escalade mythique, le plus courtisé du monde, celui de l’UFRAPS de Grenoble. Les anciens comme moi s’en souviennent encore, la larme à l’œil. Qu’on en juge: trois mètres de haut, deux mètres de large. On pouvait grimper à deux simultanément si on faisait attention. Prises en bois et en résine rouge faites maison, le top de l’entraînement de l’époque. L’équipe de France du moment, celle qui a fabriqué des champions du monde à la pelle, y a posé ses doigts d’acier. C’est dire si j’étais au bon endroit! Je me lançai donc: " Au fait Harvey, j’aimerais bien que tu m’emmènes en cascade à l’occasion ". Encore une fois attention! La cascade, pour l’élite, ce n’est ni Belmondo ni l’homme qui tombe à pic, soyez à nouveau avertis pour la prochaine soirée. Ce n’est pas non plus la curiosité touristique aquatique et torrentielle qu’on va visiter derrière une barrière à cinq minutes du parking. Non. On parle là de la cascade de glace, et savoir ça vous donne une chance de plus en soirée pour ne pas vous faire trop surplomber. La prochaine fois que vous entendez un gros poumons dire " on est allé faire de la cascade ", vous saurez qu’il est allé se pendre à un glaçon par -10°C. C’est un truc pour l’élite parce que c’est comme l’escalade, mais en plus dangereux; génial non?: on s’y pèle les doigts et le reste, on se prend des blocs de glace sur la tête et les mains et on se cogne les doigts à longueur de journée (il n’y avait que des piolets droits à l’époque. Aujourd’hui les piolets sont galbés, ce qui protège les doigts lors de la frappe). Et pour rajouter au plaisir, les sacs à dos pèsent des tonnes lors de la marche d’approche, remplis qu’ils sont de ferrailles merveilleuses, de vêtements chauds, de manivelles faites dans le garage avec des rayons de vélo, de gants de plongée ou Mappa, de gants de rechange et du thermos qui tiédira vos lèvres gercées. Il fallait parfois ajouter la tente canadienne, les skis, le réchaud et les inventions de mon compagnon de cordée ( friends faits maison, pieux à glace en alu qui se tordaient dès qu’on tapait un peu fort dessus, on y reviendra aussi). Et comme pour toute élite, l’accessoire qui force le respect en cascade, c’est le cigare ! Notre Graal à nous, celui qui vous fait entrer dans la catégorie supérieure, celle de l’élite de l’élite. Le domaine des grosses paluches, ce signe de reconnaissance chez les artisans, les paysans et les alpinistes respectables. Pour ma part je n’étais pas aussi prétentieux (enfin pas pour l’instant, j’avais la sagesse de connaître mes possibilités, on appelle cela … la trouille). Je ne demandais donc pas à Harvey de m’emmener directement grimper un cigare . En gros un stalactite de glace géant de plusieurs tonnes et qui a deux particularités dignes de l’élite: celle d’être méchamment vertical (pour imager la verticalité en glace, on a coutume de dire qu’elle transforme n’importe quel bûcheron canadien en limace rampante), mais aussi de casser à l’improviste si vous tapez trop fort dessus, vous assurant une mort type bouillie. Mais secrètement, si il me l’avait proposé, je n’aurai pas décliné. La preuve, c’est qu’il me proposa pire et que j’y suis allé. Avec son sourire de vieux moniteur, malgré ses dix-huit ans, il avait tout du gars compétent, rassurant, et ses performances en escalade, bien supérieures aux miennes, m’assuraient de son appartenance à l’élite. D’ailleurs, en plus de ses gros poumons il avait des paluches énormes. Il accéda à ma requête mais ne me fixa pas spécialement de date pour cette initiation. Je dus donc attendre un peu le jour où il m’annonça: " samedi on va faire de la cascade, tu viens? " Et comment que je viens! Là aussi il faut que j’apporte une précision d’importance pour comprendre la suite. Aller faire de la cascade à ce moment pour moi, c’est un peu comme aller en falaise pour grimper: Des longueurs d’une trentaine de mètres maximum, pas trop loin de la voiture. Alors quand Harvey me rappelle la veille à 20 heures, j’ai comme un choc:
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" En fait on va à la Verte avec des potes, par le Couturier, c’est bon? … Allo?… ".
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" Euh, ouais mais t’es sur? C’est que j’ai jamais fait de cascade moi, j’ai même jamais fait de voie en montagne tout court . Pis le Couturier c’est quand même pas rien! "
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" Ouais t’inquiète, paraît que c’est en super conditions , c’est pour ça qu’on en profite. "
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" Bon, ok. On se file rencard où et à quelle heure? "
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" En fait faut qu’on parte super tôt, donc on passe te chercher ce soir et tu dors chez moi, comme ça demain à 5 heures on décolle, t’habites où? "
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" Je te file l’adresse mais tu passes pas tout de suite hein! Faut que j’aille récupérer les piolets d’un pote, j’en ai pas moi. "
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" Pas de souci on est encore à la maison, on passe un peu plus tard " …
Bon je vous éclaire un peu. Déjà je n’ai pas de piolets de cascade parce que ça coûte un bras ces engins là. Il faut donc que j’aille les récupérer chez une autre élite qui partage les mêmes bancs de la fac que moi. Ensuite, j’habite avec ma moitié qui avait comme programme: soirée tranquille, sortie à la journée le samedi en cascade pour moi, dimanche en amoureux. Et là en cinq minutes, la soirée s’évapore et le dimanche part en fumée. Parce que la Verte, ce n’est pas vraiment une sortie à la journée depuis Grenoble. En plus ce n’est pas une cascade d’une trentaine de mètres mais un couloir de neuf cents mètres de dénivelée. Et ce n’est pas à côté de la voiture. La Verte c’est une montagne mythique pour tout alpiniste. D’elle on a dit: " avant la Verte on est alpiniste, à la Verte on devient montagnard ". C’est un sommet à plus de 4000 mètres d’altitude dans le massif du Mont-Blanc, d’une esthétique phallique envoûtante pour tout montagnard. Elle fait la pluie et le beau temps sur tout le massif " Mont-Blanc ne peut si Verte ne veut " est un dicton météorologique chamoniard. Le Couturier c’est un couloir célébrissime pour sa beauté et sa difficulté, une face Nord qui exclut le grimpeur du dimanche. Or moi à ce moment là, j’ai une condition physique de vieux fumeur, une expérience dans cette difficulté inexistante, je n’ai jamais utilisé de piolets traction et je ne suis jamais monté à 4000 mètres. D’ailleurs je ne suis jamais allé dans le massif du Mont-Blanc. Autant dire que c’est grâce à une sagesse extrême que j’ai dit oui. Je m’en vais donc un peu hagard récupérer les piolets du copain, qui ne me rassure pas spécialement sur la bonne idée que j’ai eu de dire oui à Harvey: " Bah tu verras bien " étant l’encouragement le plus fort qu’il a trouvé. Je rentre ainsi à la maison et l’attente commence. À 21 heures Harvey appelle enfin:
- " Bon on est un peu à la bourre mais on vient t’inquiète. T’as récupéré les piolets? "
À la bourre? D’autres appellent ça le quart d’heure grenoblois. Un quart d’heure de plusieurs heures parfois. Mais il arrive enfin, à 23 heures… Accompagné par un mec avec des poumons et des paluches encore plus gros. Environ un quintal chacun, ça rassure. Nous nous couchons donc vers minuit avec un départ prévu à 5 heures et un stress tellement énorme pour moi que je n’ai quasiment pas fermé l’œil de la nuit. Le matin me trouve donc en pleine forme, l’idéal pour aller se taper les neuf cents mètres de couloir glacé du Couturier, incliné à 55 degrés, sortir à plus de 4000 mètres d’altitude et redescendre par le non moins célèbre couloir Whymper; célèbre pour ses chutes de pierres surtout. D’ailleurs je suis tellement en forme et détendu que je ne retrouve pas mon casque au moment de charger la voiture. Heureusement, il y a deux bonnes heures de route pour rejoindre Chamonix, je pourrais au moins somnoler un peu à l’arrière. Enfin, c’était le programme si il y avait eu un peu de chauffage dans cette vieille R11. Nous étions en plein mois de janvier. Tant pis, je dormirai dimanche. Au parking nous retrouvons d’autres potes d’Harvey, tous on l’air d’être des pros. Pour ma part, je fais semblant. La benne du téléphérique nous monte en un rien de temps à plus de 3000 mètres, les faces nord du cirque d’Argentière nous assènent leur austérité et leur hauteur, le mois de janvier ne fait pas semblant, c’est froid, c’est blanc, c’est gigantesque. Nous partons alors au pied de la célébrité, le moment de vérité commence. Mais autant aller directement au résumé de cette journée. Ce fut long, très long. Les pros du parking montent comme des fusées, on ne les revoit pas de la journée. Harvey lui, traîne son boulet en bout de corde. Neuf cents mètres c’est vraiment long, trop long. Vers 4000 mètres le réservoir est vide, je ne bouge plus. Harvey essaye de me motiver, sans succès. J’essaye de m’envoyer un carré de chocolat pour reprendre un peu d’énergie, mais il est dur et n’a aucun goût. Je n’arrive même pas à l’avaler. Harvey me pose donc là, me disant qu’il va au sommet et qu’il me récupère à la descente. Rater le sommet de la Verte, c’est impensable, je le comprends. Par contre je sais que la descente se fait par l’autre versant, ce qui ne manque pas d’inquiéter mon esprit embrumé. Comment on va faire puisque je ne peux plus monter? Est-ce qu’Harvey va revenir du coup? L’avantage du cerveau embrumé par le mal des montagnes c’est que la réflexion est au point mort, l’inquiétude ne vous envahi donc pas. Le sommeil par contre oui. Et c’est ce qui a failli mettre fin brutalement à ma carrière. S’endormir quand on est posé en équilibre sur ses talons dans une pente à 45 degrés, attaché à rien, c’est une mauvaise idée. Heureusement pour moi, au moment de basculer dans le sommeil et le vide, un réflexe salutaire déclenché par la sensation de chute m’a réveillé. La décharge d’adrénaline a du être assez forte car je n’ai plus eu sommeil ensuite. Mais j’ai vraiment du dormir car peu après je vois Harvey qui revient du sommet. Or cent mètres de dénivelé aller/retour ça ne se fait pas en deux minutes, durée qu’il me semble s’être écoulée depuis son départ. Je lui raconte ma mésaventure mais il m’écoute à peine. " je suis monté trop vite, j’ai le mam . Allez! O n redescend dare-dare! " À peine a-t-il fini sa phrase qu’il enquille la descente sous mes yeux médusés. " Euh, on ne s’encorde pas? " Mais il est déjà loin en dessous. Pas le choix, j’emboîte le pas. Vers le tiers inférieur du couloir, une partie en glace vive avoisinant les 55 degrés me noue les tripes et j’arrive à convaincre Harvey de sortir la corde. Une fois le passage franchi, il replie illico la corde à mon grand désarroi, et reprend sa course vers le bas. Pas le choix, j’emboîte le pas. Il arrive en bas, saute la rimaye et s’allonge de tout son long sur le glacier. Je le rejoins un quart d’heure plus tard, peu rassuré par le saut qu’il faut faire pour franchir la rimaye. Pas le choix, je saute. Je m’écroule à mon tour à côté de lui. " Fais comme moi, dors un quart d’heure pour récupérer, je fonce au téléphérique pour retenir la dernière benne, c’est super tard ". Et le voilà reparti, je suis épuisé. Je ne dors pas, par peur d’y passer la nuit, mais je souffle un bon quart d’heure. Le retour n’est pas très long, mais il me semble interminable. Je suis en mode automate, un pied, puis l’autre, puis l’autre, puis l’autre, puis l’autre, puis l’autre. La tête baissée, les yeux mi-clos, j’attends l’arrivée. La remontée au téléphérique est une épreuve mentale redoutable. Et là, dans cette bulle de souffrance, revenant d’un monde hors du monde, je découvre soudain que je suis sur une piste de ski, entouré de skieurs. La magie de Chamonix… Au milieu des forçats qui reviennent d’outre-tombe, il y a les combinaisons fluos, les familles de touristes, le décalage est énorme, irréel. L’un d’eux m’interpelle en me voyant raquettes au pied.
- " Où est-ce que vous êtes allé vous promener ? " me demande-t-il.
Me promener…
- " Par là-bas. " c’est tout ce que j’arrive à articuler entre ma fatigue et mon agacement. Non mais il m’a pris pour un touriste! Et puis enfin, après un temps incommensurable, je rejoins le téléphérique, Harvey est là, dans la benne. Ce n’est même plus la dernière, c’est celle des employés qui rentrent chez eux dans la vallée. " Dépêche toi, on part! ". Aujourd’hui il a réussi l’exploit qui nous sauve du bivouac improvisé. On fête ça en débouchant nos gourdes, l’eau est complètement gelée… Tant pis, on boira dimanche! Après avoir repris quelques forces je peux enfin lui avouer: " Harvey, tu m’as dégoûté de la montagne, plus jamais je n’y remettrai les pieds ".
Glossaire:
C’est Abo : C’est super difficile! Là encore, relativiser l’avis suivant les critères habituels. C’est abo peut parfois être utilisé pour masquer son incompétence ou sa trouille. Surtout si il n’y a pas de témoin. Là encore, ne faites pas le fanfaron: si c’est une fille qui vient de vous dire ça, ne gonfler pas vos muscles de macho condescendant, si ça se trouve, la fille passe du 8a, et vous aurez l’air malin quand elle vous regardera lui prouver que " mais non fillette , c’est un peu physique c’est tout ".
C’est Rando : C’est super facile. Attention, le rando est subjectif et la subjectivité peut-être affectée par la mauvaise foi (et le sexe du fanfaron). Se méfier aussi d’un type qui passe du 8a et qui te dit: "Vas-y c’est rando ".
Cigare : Structure de glace en forme de cigare. En général un cylindre de glace, vertical, qui peut être suspendu ou non. Dans le premier cas les dangers sont plus importants car le cigare pend au dessus du vide, et y ajouter votre poids tout en tapant régulièrement dessus avec des piolets et des crampons risque de le faire tomber brutalement. Ces structures sont fragiles, d’autant plus lors des changements de température. Mais curieusement toute l’élite psychopathe rêve d’y grimper…
Cotations (françaises):
Système complexe tentant de retranscrire le plus objectivement possible la difficulté d’une ascension. Là aussi il faudrait écrire un livre spécialement sur le sujet, l’histoire, les débats et conflits associés aux cotations. Et attention, chaque pays à ses propres cotations, c’est génial non?
En rocher: Un chiffre suivi d’une ou plusieurs lettres et parfois d’un signe mathématique pris parmi +, - et /. Par exemple 6a+ ou 7b/c.
Les chiffres vont actuellement de 2 à 9 et les lettres de a à c par ordre croissant de difficulté.
Un 7c est donc plus difficile qu’un 7b. Quand la difficulté est entre 7b et 7c on va utiliser le + ou le -. Un 7b+ c’est donc un gros 7b, et un 7c- est un petit 7c. Oui on sait, c’est fin (et subjectif… de l’égo aussi?)
Par contre il ne faut pas confondre un 6a/b avec un 6a+ ou un 6b-, une erreur classique. Un 6a/b n’est ni un gros 6a, ni un petit 6b, c’est un 6a pour les uns, un 6b pour les autres. En clair, on trouve ce genre de cotation quand il y a un pas morpho dans la voie. Être petit ou grand est un avantage dans ce passage. Dans cet exemple c’est 6b si on est petit, 6a si on est grand peut-être. On est en général plus avantagé à être grand. Je sais, c’est dégueulasse, mais quand le bac salvateur est dix centimètres trop haut, on regrette de ne pas être plus grand, d’autant plus quand le dernier point est, lui, dix mètres plus bas.
Pour les cotations inférieures à 6 on a tendance (enfin, nous les anciens) à ne pas utiliser les lettres. On aura donc par ordre de difficulté croissante: 4, 4 sup, 5 et 5 sup. Ça suffit en général. En dessous de 4 ces mêmes anciens ne s’abaissent pas à donner une cotation, c’est rando , ça suffit.
Il n’y a pas 1 comme cotation ça commence à 2 et finit à 9 à l’heure actuelle. Le 6 était considéré il y a soixante-dix ans en arrière comme la limite des possibilités humaines. Ben depuis on a fait 7, puis 8, puis 9, jusqu’où s’arrêteront-ils ces jeunes?
Quelques références sur les cotations:
2: il faut poser les mains.
9: on aimerait bien les y poser.
6: début de la grimpe pour de vrai.
7: début des trucs abo, nécessite un entraînement important et continu pour les gens normaux. J’en connais qui font du 7a en ne grimpant qu’une fois par an, mais ce sont des mutants .
En glace:
Les cotations en glace ont beaucoup évoluées ces dernières années et on trouve aussi des cotations pour le dry tooling que je ne présenterai pas ici. Je ne suis pas un topo ambulant!
Un chiffre suivi éventuellement du signe + ou -. Exemple 4+, 6-
Ça commence à 3 et ça finit à 6 (même si certains 7 existent). La cotation est plus simple car moins subjective qu’en rocher. La cotation est en effet donnée par la partie la plus raide de la voie. Plus c’est raide longtemps, plus la cotation grimpe. Donc dans le 6, on a une longueur complète verticale. Le + peut toutefois être ajouté au 6, car contrairement aux lois de la gravité, certaines cascades de glace comportent des parties déversantes.
Mais ce n’est pas parce que la cotation est objective que tous les 4+ se ressemblent (voir le dicton plus bas). En effet, c’est souvent les caractéristiques de la glace qui font la cotation. Une glace sorbet est beaucoup plus facile à grimper qu’une glace froide qui va faire des assiettes. Une glace en chou-fleur et méduses est beaucoup plus technique et engagée qu’une glace lisse.
Dicton: cotations , piège à con.
En montagne de manière générale, pour coter l’ensemble d’une ascension:
C’est le système le plus ancien et le plus universel. Il est utilisé dans la plupart des pays (hormis en Belgique ou en Hollande où on n’a toujours pas trouvé de montagnes.)
Constitué d’une abréviation d’une ou deux lettres, suivie d’un + ou -.
On trouve par ordre de difficulté:
F : facile. C’est rando ! (mais on trouve rarement F+ et jamais F-)
PD : non non, ce n’est pas une abréviation machiste, même si on parle parfois de dalles à pédés . PD ça veut dire Peu Difficile et non Pas Difficile, il est bon de le rappeler. On peut se mettre au taquet dans du PD+. Si, si ça c’est vu. Non, je ne donnerai pas de noms.
AD : Assez Difficile
D : Difficile. C’est clair.
TD : Très Difficile. On vous aura prévenu. C’est le niveau demandé pour les guides en moyenne.
ED : Extrêmement Difficile. C’est beau la langue française non? On a plein d’adverbes gradués. Bon là clairement vous commencez à rentrer dans l’élite, dans du sérieux sérieux.
ABO : On y vient, c’est de là que vient l’expression c’est abo ! ABOminablement difficile. J’ai toujours trouvé cela très poétique. Et oui, il y a ABO+ aussi!
Ces dernières années, avec tous ces jeunes mutants , on a ouvert l’échelle car il y en a qui font encore plus difficile que ABO+, les monstres. Mais cette cotation est tellement ancrée que la très grande majorité utilise toujours ce système. De plus la très grande majorité n’ira jamais dans du ABO.
Dalle à pédé : En ces temps d’inclusion et de politiquement correct voilà une expression qui devrait disparaître. Mais moi j’aime bien les dalles à pédé, et je suis fier d’y grimper car c’est le style de grimpe où je suis le plus fort. Expression inventée certainement par des mules , fières de leurs gros bras leur permettant d’aller se pendre dans des devers abominaffreux, et souvent nulles dans la grimpe en dalle justement. D’où un certain " les dalles c’est pour les pédé s ", car il faut être fin, technique et pas bourrin pour y grimper, tout le contraire d’une mule . Mule qui ne voudrait pas être prise pour un pédé et qui surtout se protège ainsi du ridicule en évitant de montrer sa gaucherie dans une dalle bien lisse (l’éléphant dans le magasin de porcelaine). Car la dalle à pédé est une dalle hyper lisse. La morphologie du grimpeur de dalle est également plus proche de la danseuse classique (qui, ne vous y trompez pas est en général très musclée) que du mulet super-saïyen, d’où cette expression dénigrante et servant d’écran aux nuls en dalle. Si vous avez un pote arrogant qui passe du 8a en no foot en gros dévers, proposez lui un jour d’aller faire du 6c dans une dalle à pédé…
Dry tooling : Garder ses outils au sec. En clair c’est une activité d’allumés qui veulent faire du rocher avec du matériel de glace. On les voit donc pendus dans des falaises sans un pet de glace avec crampons aux pieds et piolets en mains.
Engager la viande : Monter (son corps, c’est à dire la viande ) loin au dessus du dernier point . Je vous laisse philosopher sur la portée de cette image.
Friend : Type de coinceur le plus connu et le plus utilisé. C’est un système à cames à axe décentré. Plus on tire dessus, plus les cames s’ouvrent et donc plus ça coince.
MAM : Petit nom du Mal Aigu des Montagnes. Phénomène dû à l’hypoxie (ouvrez le dictionnaire je ne vais pas tout faire), et qui présente toute une gradation de symptômes, du simple inconfort (euphémisme), à la mort. Au premier stade on a en général mal à la tête, on a sommeil, on n’a pas faim, on a des nausées. Dans les derniers stades c’est l’œdème pulmonaire (on crache du sang et on meurt asphyxié) ou l’œdème cérébral (on délire complètement avant de mourir, parfois dans des actes inconsidérés que le délire peut amener: certains par exemple se déshabillent sur les pentes de l’Everest par -40ºC parce qu’ils ont trop chaud). Les facultés mentales sont en général de plus en plus faibles au fur et à mesure qu’on passe les stades, et les hallucinations de plus en plus fortes. J’ai un ami qui a ainsi grimpé le Nevado Sajama accompagné du chat botté tout en faisant la conversation à son bâton. Une seule solution pour échapper au MAM en général: descendre le plus vite et le plus bas possible, facile avec les symptômes précités non? D’où l’utilité du compagnon de cordée, faut bien qu’il serve à quelque chose des fois. On comprend ainsi pourquoi le solo à 8000 mètres d’altitude est plus dangereux qu’à 4000 mètres.
Morpho : se dit d’un passage ou la taille joue un rôle important. C’est morpho logique quoi. Seule la taille compte, car le poids est toujours un handicap en escalade.
Mutant : Grimpeur dont on ne comprend pas comment il peut passer un truc aussi abo .
Point ou protection : Peut parfois être la réparation nécessaire à l’hôpital quand vous vous êtes méchamment gamelé (on parle alors de point de suture), mais plus généralement c’est l’abréviation de " point d’assurance ". Entendez par là: spit , broche , piton , coinceur , sangle que vous placez ou qui est déjà en place, et qui vous permet de passer votre corde pour vous assurer. Une chute au dessus d’un point fera une longueur double de celle qui vous éloigne du dit point (si celui-ci ne lâche pas bien sûr). Le contraire du point est rien:
- " Tu vois des points ? Putain non y’a rien ! Fais gaffe hein?! "
Rimaye : C’est comme une crevasse mais à la jonction du glacier et de la roche. C’est donc en général le début du glacier et ça ne fait que béer de plus en plus au fil de la saison. La rimaye peut donc empêcher de prendre pied sur le rocher et il ne reste plus qu’à rentrer à la maison, ou à sortir un pont pliant.