J’ai assisté à la conférence de Werner Munter hier soir à Grenoble.
J’ai bien apprécié sa présentation de l’historique de la méthode, et de la méthode elle même.
Je résume en gros.
Dans les années 80 en Suisse, il y a eu une « série noire » d’accidents d’avalanches déclenchées, avec au moins un accident par an comprenant au moins 5 morts d’un coup, alors que les groupes accidentées étaient tous expérimentés (au moins les responsables dans le cadre de groups de club), et qu’un grosse proportion impliquait des guides (corrigez-moi si je me trompe).
Et Munter était un de ceux qui avait fait la formation avalanche des accidentés… Donc grosse remise en cause.
Les méthodes employées jusque là pour évaluer le risque d’une pente étaient du style coin glissant, analyse stratigraphique du manteau, etc. C’était long, compliqué, et visiblement inefficace !
Il a donc tout repris à zéro, en analysant ce qui n’allait pas avec les méthodes du type coin glissant.
Le résultat d’un coin glissant est : coin fragile, moyen, solide. Ce résultat n’est pas extrapolable à la pente adjacente ! Car dans la plupart des pentes en neige sèche, si on fait des coins partout, on trouvera des coins fragiles, moyens, solides, mais avec des proportions différentes et avec une répartition uniforme ou rassemblée par type. La seule utilisation possible d’un coin glissant est de faire des statistiques sur de nombreux coins.
Munter a fait 600 coins glissants dans de multiples conditions, et fait des statistiques par rapport au risque du bulletin, la pente, l’orientation.
Influence du risque donné par le BRA
Il a remarqué que pour les autres paramètres fixés, si il y a 5% de coins fragiles par risque 1, il y en a 10% par risque 2, et 20% par risque 3. La proportion double lorsqu’on passe d’un niveau de risque à un autre.
Il a donc donné un « potentiel de danger » à chacun des niveau de risque du BRA, avec un doublement entre chaque niveau : 2 pour risque 1, 4 pour risque 2, 8 pour risque 3. Pour le risque 4 (et 5), sa méthode n’est plus applicable (elle est toujours saturée).
Attention, le risque 4 en Suisse commence à un niveau plus élevé qu’en France. En découpant le risque 4 français en 3 (4-, 4o et 4+), le risque 3 suisse comprend le risque 3 français, plus le risque « 4- » français. Le risque 4 suisse comprend le risque « 4o » et « 4+ » français. Le risque 5 est le même entre les 2 pays. Cette différence est importante pour l’application de la méthode Munter en France.
Influence de la pente
Pour les autres paramètres fixés, si il y a 10% de coins fragiles sur une pente à 30°, il y en a 20% sur une pente à 35° et 30% sur une pente à 40°.
Il y a donc moins de risque avec une pente plus faible. Il a donc donné un « facteur de réduction de risque » de 1/4 pour les pentes de 34° et moins, 1/2 pour les pentes entre 35° et 39°, et 1 pour les pentes de 40° et plus, en sachant que la méthode ne fonctionne pas pour les pentes très raides (45° et plus, mais parfois à partir de 41° - la raison sera expliquée plus tard si vous êtes sages).
Influence de l’orientation
Pour les autres paramètres fixés, si il y a 10% de coins fragiles sur une pente quelle que soit l’orientation, il y en a 20% dans la moitié W > N > E, et 30% dans le quart NW > N > NE.
Il a donc donné un « facteur de réduction de risque » en fonction de l’orientation de la pente :
- 1/4 si la pente est dans la moitié S et qu’elle n’est pas dans les plages d’orientations et d’altitudes signalées comme risquées dans le BRA,
- 1/3 si la pente ne se trouve pas dans la moitié N,
- 1/2 si la pente ne se trouve pas dans le quart N,
- 1 si la pente se trouve dans le quart N.
Ceci n’est valable que pour de la neige sèche.
Influence du nombre de personnes et de la fréquentation
Le même type de raisonnement amène à un facteur de réduction de 1/3, 1/2 et 1 selon l’espacement dans le groupe et les traces déjà présentes (je ne détaille pas).
Méthode Munter
La méthode Munter consiste à évaluer les facteurs de réductions, et à calculer « l’indice de Munter » (dénomination perso pour ne pas se perdre dans les explications) en multipliant le potentiel de danger (issu du BRA) par les facteurs de réduction.
Munter estime que le risque est acceptable si l’indice est inférieur ou égale à 1. Pas la peine de s’imposer un indice de 0,8 ou 0,5 par exemple, car on renoncerait à beaucoup d’itinéraires pour ne pas gagner grand chose en risque, car pour atteindre un indice de 1, on a déjà renoncer à la plupart des itinéraires dangereux.
Il y a beaucoup d’arbitraire dans la conception de la méthode. Mais en la confrontant avec l’expérience, il a pu choisir des facteurs de réduction adaptés, et vérifier si elle fonctionnait. Et la plupart du temps, ça marche. Et surtout, la plupart des gros accidents auraient pu être évités.
Cette méthode est juste un outil pour évaluer le risque d’une pente, et doit être utilisée à l’intérieur de la méthode 3x3 pour être vraiment efficace. Lorsque la méthode 3x3 ne nous a pas fait renoncer, on applique la méthode Munter : si c’est encore bon, on peut y aller, car le risque de déclencher une avalanche sur cette pente est faible (mais pas nul bien sûr).
Adaptation à la France
La méthode Munter repose sur les bulletins de prévision des risques d’avalanche. Ceux-ci sont élaborés entre autre à partir de tests ponctuels (comme le coin glissant) effectués chaque jour dans les stations de ski. Les tests ponctuels sont donc toujours utilisés, alors que Munter a voulu les abandonner : ça parait contradictoire. Mais en fait, le risque du BRA est calculé à partir d’un grand nombre de tests ponctuels, et on peut faire des statistiques dessus, comme l’a fait Munter pour concevoir sa méthode. De plus, le bulletin ne se base pas que sur les tests ponctuels.
Par contre, les BRA français sont différents des BRA suisses :
- le niveau de risque pour le risque 4 est différent
- le BRA français donne un risque par massif, alors que le BRA Suisse donne une carte (en plus du texte) avec des zones d’ « isorisque »
- le BRA français donne des orientations plus risqué, mais peu précises (souvent sans précision de massif, donc valable pour tout le département), alors que le BRA suisse donne des « camemberts », en nombre variable selon l’hétérogénéité des conditions.
Le SNGM a réfléchi à une adaptation. Elle est en cours d’évaluation. C’est pourquoi elle n’est pas diffusée au grand public, car elle est susceptible d’être modifiée. Déjà que certains à la sortie de la conf n’avait pas compris grand chose, si les règles changent tous les 3 mois c’est pas gagné.
Et comme cette méthode simple pourrait être utilisé comme argument dans un procès, il ne faut pas que l’adaptation soit foireuse. Mais en attendant, chacun peut faire son adaptation perso.
Critique de la méthode Munter
La méthode Munter est utile pour toujours se poser les bonnes questions, et éviter les erreurs dû à la routine ou aux grosses conneries (effet de groupe, « c’est mi avril, pas de problème sous 3000m, go ! », …).
Par contre, pour pouvoir faire la plupart de mes sorties, il aurait fallu que je limite l’indice de Munter à 2 et non 1
Donc perso, j’affine encore la méthode avec des facteurs de réduction supplémentaires. En fait je n’utilise pas cette méthode, mais ça y ressemble, sans que ce soit chiffré.
La grosse découverte de Munter est d’avoir conjecturé et participé à montrer que le risque du BRA donnait une mesure logarithmique du potentiel de danger (donc le potentiel de danger varie comme l’exponentielle du risque du BRA).
Ca ressemble aux échelles d’intensité des tremblements de terre (il y en a plein) basées sur l’observation des dégats (différent de la magnitude qui mesure l’énergie totale libérée lors du tremblement de terre, mesurée sur l’échelle de Richter).
Cette découverte peut aboutir à des résultats intéressants…