Posté en tant qu’invité par catherine:
Si vous avez loupé les épisodes précédents, il faut lire d’abord, dans l’ordre :
1 – La petite annonce au caf
2 – La fièvre au bivouac
(NDLR : où l’on voit que le chanvre est sacrément accrocheur, et que le cul de chien bellifontain est très efficace pour l’escalade)
Au petit matin, je dormais comme un loir lorsque JC vint me secouer : « allez hop ! C’est l’heure ! »
J’avais transpiré toute la nuit, la fièvre avait presque complètement disparu. Comme j’avais dormi toute habillée, je n’eus qu’à sortir de mon duvet et enfiler mes chaussures. Le soleil éclairait déjà les plus hauts sommets, des brumes légères s’évaporaient dans l’air frais du matin, la journée s’annonçait superbe !
Je me sentais toute ragaillardie, et j’espérais faire honneur à JC en grimpant de mon mieux.
Le petit déjeuner fut rapide, on a fait un petit tas avec nos affaires de bivouac qu’on a cachées dans les rhododendrons, et nous sommes partis, JC en tête, à la recherche du début de la voie.
Cela nous a pris pas mal de temps, les indices étaient rares, voire inexistants, car en ces temps-là, personne ne grimpait l’index par ce côté.
On a fini par trouver le départ et on s’est équipés. A l’époque, les baudriers n’étaient pas aussi sophistiqués que maintenant et n’avaient pas de porte-matériel. Les voies n’étaient pas très équipées non plus, parfois pas du tout, alors on emmenait tout un tas de sangles, des mousquetons, et si besoin des pitons et un marteau. On mettait les anneaux en bandoulière et sur l’un d’eux on accrochait la quincaillerie. C’était le début des coinceurs, tous les grands grimpeurs et les guides en avaient, mais emportaient toujours pitons et marteau.
A l’OHM, on m’avait rassurée : on pourrait s’assurer tout le long sur des becquets, donc sangles et mousquetons suffiraient.
JC portait sur lui une quantité incroyable de sangles, mousquetons, et même des beaux coinceurs tout neufs et de toutes tailles, ça cliquetait et scintillait de partout ! J’étais très impressionnée… Pourvu que je sois à la hauteur, pensais-je, il va me trouver minable, trop nulle…
J’étais décidée à faire de mon mieux, avec mon style affiné tout au long de l’année sur les rochers de Fontainebleau, bien qu’en fait je brillais surtout sur la « Jaune du Cul de Chien » !
Comme je voulais lui montrer ce dont j’étais capable et profiter de son expérience, je lui demandais la faveur de me laisser faire la voie en tête : il pourrait ainsi m’observer et me donner des conseils pour améliorer ma technique. Il a été d’accord, et j’ai réalisé, avec une certaine fierté, la chance que j’avais de pouvoir grimper ainsi avec un alpiniste d’un tel niveau.
Je connaissais par cœur la voie normale de l’index, mais cette face est, je la découvrais. En fait, elle correspondait à ce que j’en avais lu : escalade pas très difficile, mais par endroits sur du rocher assez délité, à manier avec précaution.
Au bout de la première longueur, j’étais très fière de moi : j’avais grimpé comme un chat, en souplesse, sans faire tomber un seul caillou, et j’avais réussi à installer un beau relai, bien sécurisé. J’étais un peu déçue car à cause d’un bombement du relief, JC n’avais pas pu me voir dans un passage en dulfer que j’avais réalisé magistralement avant l’arrivée au relai.
Ce fut au tour de JC. Il était masqué par le bombement, mais je pourrai admirer son style dans la dulfer.
Et puis, il arriva quelque chose d’invraisemblable, de tellement inimaginable que je mis du temps à réaliser ce qui se passait…
Le JC tempêtait, faisait tomber des pierres, agitait la corde en violentes secousses, et lorsqu’il apparut pour le fameux passage où je brûlais de le voir en artiste, il s’est tout simplement tiré sur la corde !
Il arriva au relai le visage fermé, tendu, les mâchoires serrées, m’a dépassée en me bousculant et a continué sans un mot. Je n’avais pas du tout prévu qu’il passe en tête, et le relai n’était pas du tout en bonne configuration… J’ai dû bricoler en vitesse un semblant d’assurance pendant qu’il continuait à progresser comme un somnambule sans tenir compte de mes appels et protestations.
L’inquiétude commençait à m’envahir : Il ripait, faisait tomber des pierres, et je me protégeais de ces bombardements comme je pouvais, en l’assurant. La configuration de l’endroit m’empêchait de le voir, mais j’avais l’impression qu’il était en train de désagréger toute la montagne ! Puis, tout d’un coup tout est devenu calme, la corde se figea, plus un bruit… je me demandais avec anxiété ce qui allait suivre… lorsque tout à coup : « ting ting ting ! » le gars pitonnait ! Enfin essayait plutôt de pitonner car j’ai vu bientôt le piton me passer sous le nez, précédé d’un juron. Je crois bien en avoir vu deux ou trois filer ainsi vers le bas.
Mon inquiétude devint terreur : tous ces détails que j’avais enregistrés inconsciemment depuis la veille, en trouvant ce gars bizarre, me revenaient à l’esprit, s’articulaient, s’emboitaient et l’évidence était là, fulgurante : ce gars était dingue, j’étais encordée avec un fou !
Ma première idée fut de me désencorder illico et de redescendre en désescalade cette première longueur.
Il existe de nombreux livres décrivant comment bien s’encorder, avec moult schémas et conseils, mais aucun sur l’art et la manière de l’opération inverse.
Mes seules expériences de problèmes de désencordement jusqu’alors s’étaient toujours passées avec l’accord et la collaboration de toute la cordée, en l’occurrence mon papa, mon frère Gégé et moi. Mon papa avait une superbe corde en chanvre qui avait déjà bien servi, et nous y attachait ainsi que lui-même avec des nœuds en queue de vache bien serrés.
Et invariablement, au retour de course, si l’on s’était pris de la neige, de la grêle, ou pire de la pluie (ce qui était assez fréquent à cette époque en été dans les montagnes de Chamonix), on n’arrivait plus à desserrer nos liens. J’ai plusieurs souvenirs de retours au refuge où on se retrouvait dans la grande salle du réfectoire, en sabots, mais toujours encordés, et tout le monde s’y mettait, parfois même le gardien pour venir à bout de ces satanés nœuds.
Une fois même quelqu’un suggéra de couper la corde, ce à quoi mon pater s’opposa fermement, et on a dû rester encordés sur le chemin, puis dans la voiture jusqu’au chalet où la chaleur du feu dans la cheminée nous a permis de ne pas devoir rester attachés pour la nuit !
Cette fois-ci, la corde était en nylon, mais le problème était plus compliqué : mon éducation m’interdisait de laisser planté là mon coéquipier sans assurance… et puis je n’étais pas non plus si sûre que ça de pouvoir redescendre sans encombre cette partie que je venais de monter.
« Ce n’est pas possible, c’est un cauchemar, je vais me réveiller !» espérais-je de toutes mes forces… Hélas, non, c’était pour de vrai, et j’étais dans une situation très délicate sinon désespérée.
(à suivre…)