Posté en tant qu’invité par DaF:
Un article très interessant sur l’utilisation des dernières innovations technologiques pour atteindre des sommets en très haute montagne dans des conditions extrèmes.
Bonne lecture !
La source : http://www.lesechos.fr/info/rew_metiers/4344441.htm
Jean-Christophe Lafaille, l’alpiniste high-tech [ 18/11/05 ]
Le Français Jean-Christophe Lafaille va s’attaquer seul et en hiver au Makalu. Un exploit impensable sans les nouveautés technologiques qui l’accompagnent.
Dans quelques semaines, l’alpiniste français Jean-Christophe Lafaille tentera la première ascension hivernale du Makalu, un des quatorze géants de la planète, culminant à 8.481 mètres au Népal. Il sera seul, sans porteurs ni oxygène, et devra lui-même charrier un lest d’une trentaine de kilos de matériel jusqu’à une altitude de 7.400 mètres où il installera son dernier camp fixe avant le sommet. L’ascension terminale ne durera que deux jours avec un bivouac de fortune vers 8.000 mètres, mais il restera peut-être plus de deux semaines à lutter contre le froid pour s’acclimater à l’altitude et attendre une fenêtre météo propice.
La prouesse physique est énorme : sous l’effet de l’hypoxie, le nombre de ses globules rouges va augmenter, son sang s’épaissira et sa circulation sera plus difficile, ce qui fragilisera considérablement son organisme avec un risque accru de gelures et d’affaiblissement. Les conditions hivernales et le raccourcissement des journées en cette saison ne vont rien arranger à l’affaire : en plus du manque d’oxygène qui va réduire de moitié ses capacités physiques, l’alpiniste devra affronter des rafales pouvant dépasser 100 kilomètres/heure et des températures frisant les - 60 degrés. Avec le froid, la densité de la masse d’air va aussi raréfier son oxygène. Pour compliquer le tout, il devra porter un masque de protection contre le froid qui filtrera encore son air… Personne avant lui n’a réussi un tel exploit. Même Reinhold Messner, le premier vainqueur des quatorze « 8.000 » de la planète, s’y est cassé les dents à deux reprises.
L’alpiniste ne part cependant pas sans quelques sérieux atouts en poche. D’abord l’expérience : depuis 1993, il a affronté douze géants dont six en solitaire, et réalisé l’an dernier la première ascension hivernale du Shishapangma (8.036 mètres), réputé impossible. Son style alpin (une logistique minimale pour des ascensions éclairs) a imposé son nom dans le milieu. « J’aime l’autonomie, explique-t-il. Elle me permet d’être en prise avec moi-même, de gérer ma stratégie de progression, ma fatigue, ma résistance mentale ».
L’autre atout est son partenariat technique avec des marques qui ont avancé avec lui dans la connaissance des mécanismes de protection contre le froid et la haute altitude. Rien à voir avec les vieilles parkas et la corde de chanvre qui ont servi aux Français il y a cinquante ans pour la première ascension de ce sommet, le cinquième de la planète. « J’aurai sur moi 12 kilos de vêtements et d’équipement, détaille l’alpiniste. Mon principal ennemi est le refroidissement dans les phases de repos et d’inaction. La veille de la tentative, je dois bivouaquer vers 7.900 mètres d’altitude. Il me faudra rester douze heures quasiment immobile dans un froid extrême ».
Fluidifier le sang
L’alimentation sera la première enveloppe de protection de son organisme : les oméga 3, connus pour leur effet cardio-protecteur, fluidifient aussi le sang, empêchent la formation de caillots, et diminuent le taux de triglycérides, ce qui devrait constituer un bon rempart contre les gelures. Depuis plusieurs mois, poissons et huile d’olive constituent donc une base importante de ses menus. Pour poursuivre ce régime, il emmènera dans ses rations (5.000 calorie/jour) des saucissons enrichis en acides gras poly-insaturés que lui a préparés la salaison Montagne Noire.
La seconde enveloppe protectrice sera la tente : ultra-légère (800 grammes) et conçue pour offrir un minimum de prise au vent et un volume intérieur facile à chauffer. « Nous y avons amélioré certains détails pour faciliter aussi le montage et limiter le temps d’exposition aux intempéries ». Elle est également très lumineuse, un paramètre vital pour le maintien du moral dans la solitude et l’environnement austère de ses deux mois d’expédition. Un sac de couchage en duvet naturel équipé de manchons pour sortir les bras sans perdre inutilement les calories accumulées, complétera ce « nid de fortune ».
La journée, Jean-Christophe Lafaille devra gérer sa transpiration, cause de déshydratation et de refroidissement. Même inapparente, elle peut remplir une bouteille d’un litre et demi en quelques heures - trois fois le niveau normal des pertes hydriques en plaine. Le premier rituel matinal sera de faire fondre au moins cinq litres d’eau pour la journée. A cause de la moindre pression en altitude, c’est un travail qui va demander presque une heure et demie. « Au Shishapangma, je mettais trois heures à me préparer le matin ». D’où le travail des ingénieurs sur l’ergonomie d’un certain nombre de détails : le système de laçage des chaussures, la souplesse des gants, le dessin des surmoufles à trois doigts qui facilitent la préhension, la hauteur de la tente ajustée au buste de l’alpiniste pour faciliter ses mouvements, le choix des différents systèmes de zip sur les vêtements… « J’espère gagner une heure qui sera du repos en plus ».
Pour marcher, l’alpiniste a prévu de porter 5 couches vestimentaires, en haut comme en bas : tee-shirt technique respirant, combinaison polaire, membrane Windstopper, nouvelle combinaison en duvet, et gilet gonflable Airvantage. Ce dernier-né de la firme Gore-Tex permet d’ajuster la chaleur du vêtement en y soufflant l’air des poumons dans un réseau de tuyères dessiné dans la membrane. « Avec ce produit, nous couvrons maintenant tout l’éventail des besoins de protection : contre le vent, la pluie et maintenant le froid », jubile Agnès Occelli, responsable de marché. Cinq ans de développement et 7.000 heures de tests ont été nécessaires pour concevoir cette membrane que la firme destine aux segments du loisir hivernal et de la moto. « Elle devrait me fournir un apport de chaleur immédiat au moment des pauses », espère Jean-Christophe Lafaille.
Il lui restera deux sommets après le Makalu pour réaliser le « grand chelem » et entrer au Parthénon de l’himalayisme. Moins de quinze alpinistes sont parvenus au sommet des quatorze « 8.000 » de la planète. Dans sa ligne de mire : l’Everest en hivernale et en solitaire. Un projet impensable il y a quelques années.