Posté en tant qu’invité par francois:
Dans le dernier Montagne Mag que je viens de recevoir, il est question d’un 7000 à ski (Mustagh Ata). Ca me servira de prétexte à une petite leçon de morale.
Commençons par un peu d’histoire .
Groenland, 1883. L’explorateur-universitaire-baron suédois E.A. Nordenskjoeld partit à ski, en compagnie de deux camarades. Il parcourut 230 km vers l’Est, puis revint à son point de départ. Les trois hommes auront donc parcouru 460 km à ski sur l’inlandsis groenlandais. Performance remarquable. Encore plus remarquable lorsque l’on saura qu’elle a été effectuée en … 57 heures! Certains bons esprits ayant émis des doutes sur la vraisemblance de cette équipée, on organisa, la même année, une course de 200 km afin de convaincre les incrédules. Le vainqueur couvrit la distance en 21 heures et 22 minutes, y compris 1 heure de repos, et le deuxième arriva 5 secondes plus tard. Quant au troisième, un nommé Apmut Ahrmann, il mérite une mention particulière. Il revenait d’une chasse au loup (à ski bien entendu) quand il entendit parler de la course. Parti en retard, il remonta tous les concurrents et arriva 11 minutes après le premier. A l’arrivée, il apprit qu’un ours dévastait son étable. Sans déchausser, il partit chasser l’ours, le tua et le ramena sur son dos. La viande d’abord, la peau ensuite. Puis il se mit à table, un peu fatigué tout de même. En moins d’une semaine, il avait parcouru plus de 550 km à ski dont plusieurs centaines en course et plusieurs dizaines avec un ours sur le dos! On croit rêver! Naturellement, il n’était pas question de titanate de carbo-litron dopé à l’éthanol. Les skis étaient en bois, en vrai bon bois de forêt, bien lourd, bien épais, cintrés à la vapeur au-dessus de la marmite familiale, de bons gros bâtons de frêne, des fixations en cuir et en ferraille avec quelques clous par-ci par-là pour faire tenir, quant aux vêtements, c’était gilets, cravates et chaînes de montre, aux pieds des chaussures en cuir d’animal de par là-bas (renne ou phoque) et des peaux de loup recouvraient le tout (à cause du froid). Comme on le voit, on ne badinait pas avec les convenances, à l’époque.
Himalaya, 1924. Le britannique Norton, lors de l’expédition Mallory à l’Everest, arriva seul et sans oxygène (mais à pied cette fois) jusqu’à l’altitude de 8580 m sur l’arête N de la montagne puis renonça, non parce qu’il était épuisé, mais parce qu’il ne lui paraissait pas raisonnable d’aborder seul et sans corde le petit mur rocheux qui se trouve à cette altitude (équipement de l’époque : laine, toile, bottes en peau de rennes, chaussures à clous, cordes en chanvre). Ce qui prouve que le manque d’oxygène n’avait pas affecté ses capacités de jugement à une altitude où la plupart des alpinistes, et non des moindres, commencent à perdre la boule ou l’on perdue depuis longtemps. Cette altitude-ci ne fut dépassée qu’en 1952 et avec de l’oxygène. Nos anciens n’étaient donc pas si mauvais et leurs exploits constitueraient aujourd’hui encore des performances exceptionnelles.
Himalaya, 1931. R.L. Holdsworth au cours d’une expédition au Kamet (7754 m) atteint le col Mead à ski à 7138 m, altitude qui ne fut dépassée, à ski, que 50 ans plus tard, en 1980.
10 juin 1935. Fritz Krügler, Peter Schindelmeister et Erwin Schlager descendent à ski la face N du Fuscherkarkopf, dans le massif des Hohe Tauern en Autriche. 450 m à 45° avec des maxima à 50°. La même année, Fritz Krügler et Peter Schindelmeister récidivent avec la descente, dans le même massif, des 1000 m à 45° de la face N du Hochten. Performances tout à fait extraordinaires eu égard au matériel en usage à l’époque (skis en bois taillés dans la masse, carres vissées, bâtons en bambou, chaussures à clous, fixations à lanières).
Tout ca pour dire quoi ? Pour dire ceci, que nos actuels faiseurs d’exploits fluo-médiatico-sponsorisés seraient bien inspirés de relire leurs classiques afin de les inciter à une modestie salutaire.
Amen.
(vous avez remarqué, bien sûr, que ce texte est sous forme d’anantapodoton)