Expés, cordes fixes, porteurs et éthique de l'alpinisme

Bonjour à tous,

Suite au message de Paulo Grobel qui m’a fait bien réfléchir sur la pratique de l’alpinisme, et souhaitant ouvrir le débat sans surcharger le post précédent (déjà bien long) je voulais décrire ma vision de l’Alpinisme et savoir ce que vous en pensiez.

Plus qu’un débat sur les cordes fixes ou sur la rémunération des porteurs, c’est les expés commerciales sur des hauts sommets qui me font réfléchir.

Pour moi l’alpinisme se résume en une phrase: « ascension d’itinéraires en milieu hostile avec économie de moyens ».

En réfléchissant dans ce sens, les expés sur des hauts sommets sont à l’opposé de cela. Sans parler de l’avion, du matos, du confort importé en altitude, des guides et de l’argent injecté « violemment » dans l’économie locale (sans nécessairement assurer un développement sain des populations: un haut salaire assure en effet de ne pas exploiter les gens mais provoque quand même un déséquilibre hallucinant (salaire sur une expé= salaire de plusieurs mois=les sherpas seraient-ils les traders aux salaires indécents de l’Himalaya?)
Ce qui m’interpelle le plus c’est l’utilisation d’autres êtres humains pour le plaisir des riches. Suffit-il de payer cher pour transformer un homme en bête de somme qui va risquer sa vie là où les occidentaux vont chercher l’épanouissement personnel?
Certes cela se fait dans d’autres milieux (travaux de force, chaines d’usines…) mais là on parle de pratique d’alpinisme avec des valeurs différentes.
C’est donc que les clients des expés ne sont plus des alpinistes (d’ailleurs leur niveau technique et leur expérience dans les Alpes ne le justifie généralement plus) mais des touristes de l’extrême. Reste la faute à nous, les guides (je me met dans ce cas car j’ai été admis au proba cette année et je souhaite bien orienter mon métier vers les expés), passionnés de montagne et qui, afin de la faire partager, peuvent finalement réussir à la dénaturer totalement…

Pour en revenir à nos cordes fixes, le problème n’est pas là: pourquoi ne pas équiper en cordes fixes si l’on est monté une première fois et que l’on veut remonter plus rapidement ensuite (cf bigwall). Le problème c’est que les cordes fixes n’ont plus de sens à partir du moment où on les pose soit même. Sans porteur pour les porter ni sherpas pour les poser, les cordes fixes ne sont plus une bonne stratégie.

Pour moi l’économie de moyen trouve un cadre dans « ce que l’on peut porter soit même dans un temps imparti ». Ainsi, en bigwall, on porte beaucoup de matos mais on met beaucoup de temps à le hisser.
En style alpin, on n’a pas beaucoup de temps (créneau météo, conditions de la montagne ou boulot le lundi matin) donc on porte moins.

En Himalaya, on ne peut pas rester trop longtemps en altitude donc on ne devrait pas trop porter, mais peu de gens sont capables de faire cela donc on sort le joker: les sherpas qui portent pour nous…

Si l’on veut faire un sommet en style alpin, il n’y a plus lieu de prendre des porteurs, des sherpas, et des cuisiniers (qui a un cuisinier à la maison? alors pourquoi en montagne? (cf économie de moyens)).

Pourquoi ne pas adopter une démarche d’autonomie en accentuant encore la progression douce (ou des objectifs moins hauts, moins isolés), quitte à réduire le niveau de l’ascension. La performance en perd un peu face à l’aventure humaine qui se crée alors…

J’attends vos avis avec impatience et notamment celui de Paulo Grobel qui a sans doute plus réfléchi que moi sur la question même si il reste associé pour moi à la haute altitude et aux cordes fixes.

[quote=« Oliv’, id: 964036, post:1, topic:94237 »]Pour moi l’alpinisme se résume en une phrase: « ascension d’itinéraires en milieu hostile avec économie de moyens ».

Ce qui m’interpelle le plus c’est l’utilisation d’autres êtres humains pour le plaisir des riches. Suffit-il de payer cher pour transformer un homme en bête de somme qui va risquer sa vie là où les occidentaux vont chercher l’épanouissement personnel?[/quote]

Pour la définition j’ajouterais le mot montagne : ascension d’itinéraires en montagne et milieu hostile avec économie de moyens".

Pour les porteurs, je dirais qu’il est courant d’utiliser des moyens d’aides lors de la réalisation d’équipée d’aventure. Là bas ce sont les porteurs, ici ces les moyens de transports (voiture, train, téléphérique,…)

Salut Olivier,

tes objectifs sont louables, mais je me pose la question de savoir si tu vas pouvoir trouver des clients prêts à revoir leurs ambitions à la baisse pour porter leur matos.

Etant donné que la plupart des gens qui prennent un guide ont un niveau technique/physique modeste, je ne vois pas trop quelle genre d’expé tu pourrais monter sans l’aide de porteurs. Car qui dit expés lointaines dit généralement, marche d’approche longue, quantité d’équipements et de nourriture importante. On arrive vite à des poids de matériel à transporter par personne qui sont rédibitoires pour beaucoup d’alpinistes moyens.

Si on peut assez facilement imaginer des expés de ce type dans les Andes avec des mules (apparemment c’est le portage humain qui te dérange) je ne vois pas trop comment faire en Himalaya, à moin de se cantonner à des sommets qui n’interesseront pas forcement grand monde. Il ne faut pas se le cacher, la plupart des gens qui vont en Himalaya viennent chercher ce qu’ils n’ont pas chez eux, cad des sommets de hautes altitudes qui necessitent une logistique assez lourde.

Pour ma part, le portage humain ne me dérange pas s’il remplie 3 conditions:

-un salaire décent.
-une charge raissonable pour éviter de détruire la santé des porteurs.
-un equipement et un niveau de confort pour les nuits en tente corrects.

Sinon j’aime bien ton expression « touristes de l’extrême », je la trouve trés parlante.

Elie

PS : je rentre pour les fêtes, si tu veux faire un coup de ski dans Belledonne en Janvier, fais moi signe :wink:

??
je ne vois pas le rapport entre l’intérêt d’une corde fixe et le fait de la poser ou pas soi-même, ce sont deux choses différentes.
quand au sondage, je vois pas comment tu peux faire autrement, tu veux utiliser un hélicoptère ? :smiley:
je trouve que tu mélanges un peu toutes les problématiques/questionnements

Salut jeunes gens :wink:
Ce ne sont pas les expés qui transforment les porteurs en bête de somme. Les civilisations de l’Himalaya ne connaissaient pas la roue ou ne pouvaient pas l’utiliser faute de routes adaptées, et utiliser des bêtes de somme est en contradiction avec le boudhisme ou certaines de ses variantes … Les premiers véhicules jamais vus au Thibet ont été ceux de l’Armée Populaire de Libération après 1950, et la première voiture arrivée à Kathmandou a été portée à dos d’homme depuis l’Inde à peu près à la même époque. Il est aussi naturel de travailler à porter là-bas que de bosser dans un bureau ou un magasin ici, surtout pour les populations que se sont fait une spécialité de cette activité en complément des cultures vivrières.

Maintenant, l’éthique économique des expés est un vaste débat, mais dans la pratique il se résout par le recours aux ressources locales aux tarifs locaux, plus parfois un coup de pouce pour se donner bonne conscience. Comment faire autrement ? Car j’ai un grand doute sur la capacité d’alpinistes autonomes, quelque soit leur niveau physique et technique, à se débrouiller entre eux avec leur matos, leur bouffe et leurs équipements d’altitude, au moins pour l’approche. À moins d’utiliser l’hélicoptère pour arriver au camp de base, et donc de réduire les porteurs aux chômage, ou de demander la construction de routes carrossables pour desservir les camps de base … Cite moi une cordée qui soit partie en montagne dans une démarche d’autonomie sur plusieurs semaines, chez nous dans les alpes, sans faire appel à l’aide de copains dévoués ou à la mise en place préalable de dépôts jalonnant l’itinéraire. Et pourtant dans les Alpes les possibilités de ravitaillement en cours de route sont autres qu’en Himalaya. Même dans les récits des premières historiques avec gros matos pour plusieurs bivouacs, il est habituel de voir que les grimpeurs ont été accompagnés jusqu’à la rimaye par des copains dévoués.

En effet, il n y a rien de si choquant d’utiliser le service de porteurs pour accéder au camp de base (même si le matériel amené au camp de base ne devrait pas être si conséquent: tables, gazinière, four, internet et autre ordinateurs portables…)
Ce que je voulais soulever dans mon message c’est plutot le problème des portages en altitude. Car si l’approche ne fait pas complètement partie de la course d’alpinisme (en France on prend bien la voiture), au delà du camp de base on est bien dans une pratique sportive (car vaine!) qui fait appel à la notion de l’économie de moyen.
Quitte à emmener échelles, oxygène et cordes fixes, pourquoi ne pas prendre le perforateur thermique, le caisson hyper bar chauffé pour dormir au chaud chaque soir ou même un rattrack en pièces détachées pour faire la trace!
Si on ne se limite plus à ses propres moyens, à ce que l’on peut porter soit même en un laps de temps imparti, où est la limite? l’argent?

Si jusqu’ à présent, on ne pouvait partir en himalaya en style alpin, avec l’évolution du matériel cela devient possible et devrait devenir la règle (il ne faut pas oublier qu’il y a 100 ans il y avait aussi des porteurs dans les Alpes. Maintenant ca ne viendrait à l’idée de personne).

Pour moi le vrai clivage passe entre les ascension (et accessoirement expéditions) avec ou sans guides.
Des que tu rentre dans la logique « avec guide » tu sors de la domaine de l’alpinisme… ce qui, entre autre, est une aventure… ce que la présence de guide tente précisément à enlever.
Alors on a 2 cas: alpinistes, et clients/guides.
Un alpiniste, qu’il soit pauvre ou momentanément riche (parce qu’il est fortuné, sponsorisé ou qu’il a économisé pour effectuer l’œuvre de sa vie), qu’il y vas à force de mollets ou en engageant des porteurs (qui dans la plupart de cas serons plutôt sur-payé que sous-payé), en louant des mules, les hélicoptères ou les bateaux, selon les conditions et les usages locaux, en installant les cordes fixes (qu’il a payé, emmené et fixé lui-même, selon le genre de la voie et le type de progression qu’il a choisit) ne vais pas poser de gros problèmes ético-économico-sociales par la simple raison qu’il ne sera pas nombreux et qu’il restera un peu fou (et on pardonne beaucoup de choses à des fous.)
Mais dès que l’on rentre dans la logique client/guide avec le baisse de niveau de participants, une fétichisme par rapport à certains sommets (8000, seven summits, etc.) et une certaine « obligation de réussite », ça biaise tout.
Le plus compliqué c’est le cas du guide, qui est tout d’abord un alpiniste qui a éventuellement trouvé le moyen de « financer » sa vie en montagne en entrant dans la logique commerciale, et c’est lui qui sera le plus tiraillé par les questions morales (davantage que ces clients, je pense).

je pense quand même qu’il y a des situations où le guide ne domine pas tout, et dans lesquelles l’aventure est parfois partagée. D’ailleurs ce qu’on demande au guide n’est pas d’aseptiser la course ou l’expé, mais de faire de son mieux pour que ça passe sans casse. Obligation de moyen, qu’ils disent les juristes, pas de résultats.

[quote=« Oliv’, id: 965008, post:6, topic:94237 »]Quitte à emmener échelles, oxygène et cordes fixes, pourquoi ne pas prendre le perforateur thermique, le caisson hyper bar chauffé pour dormir au chaud chaque soir ou même un rattrack en pièces détachées pour faire la trace!
Si on ne se limite plus à ses propres moyens, à ce que l’on peut porter soit même en un laps de temps imparti, où est la limite? l’argent?[/quote]

La limite est donnée par la somme de dangers inhérents au terrain sur lequel s’aventurent lesdits alpinistes : le caisson hyper-bar (je suppose que c’est un exemple caricatural) ne met pas à l’abri les humains de l’isolement, des avalanches, chutes de pierres, du froid et de l’altitude dés lors qu’ils ont quitté le caisson, de la fatigue, des décisions erronées, etc etc
Cela dit la recherche du confort a ses limites en montagnes :confused:

Posté en tant qu’invité par hugues05:

Bonjour Oliv’
Pour t’encourager dans ta pratique pro, je suis persuadé que tu as « les clients que tu mérites ».
Si tu veux accéder à une certaine forme de pratique qui te convient, tu trouvera des clients pour.
Ce n’est pas évident au début de ta carrière mais c’est possible aux prix assez souvent des quelques sacrifices financiers mais avec la récompense de ton épanouissement et celui des personnes que tu accompagnes. Regarde par exemple la pratique de Grobel et il y en a d’autres.
Bon courage.

J’ai du mal à me situer dans les cases du sondage. Pour le portage en vallée jusqu’au camp de base, je crois que je n’aurais pas beaucoup d’objections, dans les régions où il y a effectivement une tradition forte de portage à dos d’homme (et même ailleurs, pourquoi pas ?). Je crois que le problème du portage en haute montagne est très différent.
-Il y a il me semble une dimension qui concerne l’éthique de l’alpinisme, qui a été abordée. On pourrait dire qu’au fond, chacun fait ce qu’il veut de ce point de vue et qu’il y a suffisamment de sommets déserts, voire vierges, en Himalaya pour que toutes les pratiques ne se gênent pas. Le problème est que l’existence de porteurs d’altitude, les cordes fixes et les expéditions commerciales, a pour conséquence que viennent en Himalaya toutes sortes de personnes absolument incompétentes en alpinisme et incapables de réaliser une course sérieuse en autonomie dans les Alpes. J’ai été absolument effaré lors de mes séjours là-bas de voir que le public des expéditions commerciales n’est pas du tout en général un public d’alpinistes, mais des touristes qui ne font que ce genre de choses. Cela conduit à une ignorance profonde des risques que prennent les porteurs en montagne, et tous ceux qui « équipent » la montagne pour les autres. J’ai été tout aussi effaré par le nombre de morts parmi les porteurs d’altitude, et la manière dont les touristes semblent considérer comme normal que des autochtones se tuent pour nos loisirs parce qu’ils ont besoin de travailler pour vivre, dans des conditions qui en France donneraient lieu à des poursuites pénales mais qui là-bas ne suscitent que l’indifférence.

  • Il y a en réalité peu de porteurs réellement compétents et équipés pour aller en haute montagne en Himalaya, parce que les habitants des plus hautes vallées ne sont pas si nombreux. Les agences locales font venir des gens de plus bas qui connaissent mal la montagne. D’où là encore des accidents et des morts. Refuser d’emmener des porteurs en altitude permet d’éviter cette surenchère.
    Lucien

Posté en tant qu’invité par Directicîme:

Oliv, le problème qui te préoccupe est difficile a réglé. Nous sommes, le monde moderne dans une logique de profits au détriment de toutes concidération Humaine. Grand nombres de guides travail avec des agences (nous les connaissons) qui ne sont pas regardantes sur le niveaux des clients souvent alaises financièrement. J’ étais partant sur un 8000 avec une agence très sérieuse en France, nous avions une journée montagne a Chamonix avec un peux de technique glacière, c’etais a mourir de rire…!! je suis donc resté chez moi… et cette expé n’a jamais été au sommet. QUE certaints guides ne soit pas étonnés de cette situation ils en sont les pricipaux acteurs.

Je suis attaché aux valeures de l’alpinisme, il est donc nécessaire quant ont parle éxpé de relevé en peux le niveaux, ce sera plus difficile pour trouvé et monté une équipe…( ces mon cas pour l’éperons nord du KAN TENGRI ) mais certainement plus valorisant.

Une équipe de porteurs jusqu’au camp de base n’a rien de choquant, de toutes façon pour grands nombres de sommets il est difficile de faire autrement…enssuite pour le sommet je suis contre toute assistance…nous devons avoir le niveaux…

Bon courrage…Directicîme.

tout a fait d’accord… on a pas mal de soucis pour le pathibatha chuli , mais on va y arriver…

le plus important étant ce qu’on apporte avec soit…

pierre-yves

Posté en tant qu’invité par Paulo Grobel:

C’est drôle, j’étais en train d’écrire un bout de texte pour le Noijing sur la questions des moyens et il me semble coller particulièrement à ce post.
La tendance actuelle de vouloir augmenter sans limites les moyens mis à disposition et utilisés par des alpinistes pour gravir un sommet himalayen ne me semble pas pertinent et ne me conviens absolument pas. « En plus c’est pas dans le Mouve »… Je souhaiterais plutôt, pour mes expés, un meilleur choix de l’objectif envisagé et une adéquation la plus précise possible entre les capacités des alpinistes (individuelles et collectives, techniques et relationnelles) et la nature réelle du projet. Pour, au final, limiter le plus possible les moyens mis en œuvre.
Deux mantras sont particulièrement importants pour moi aujourd’hui : « Faire ensemble », et « faire soi-même » ce qui rejoins le désormais classique « faire mieux avec moins ».
Et pour revenir au sujet, (à la réflexion, je n’en tape des cordes fixes sauf quand il y a conflit d’usage) c’est plutôt la notion d’encordement qui m’interpelle car j’ai envie de vivre un alpinisme solidaire et conscient en étant en-cordée, a-ccordé avec mes compagnons de ce voyage en altitude qu’est une expé. Et ce n’est pas si facile !
Bonne journée à tous
Paulo

Posté en tant qu’invité par Paulo Grobel:

Pour terminer la journée, voici le début du compte rendu en images de cette ascension du Ratna pour illustrer les propos un peu confus de la " brève de comptoir" initiale. A retrouver sur mon site : http://www.paulo-grobel.com/05_expes/Fiches_PDF/cr_phu_09/ratna_asc.htm
bonne lecture.
Paulo

Posté en tant qu’invité par Paulo Grobel:

Avec une petite pensée pour Oliv et Audrey…
Bonjour…
Les rencontres Expé de La Grave viennent de se terminer, avec un colloque très intéressant sur « l’itinérance des profondeurs » et un thème riche en discussions : l’ascension des 8000.
Forcement, j’ai continué à réfléchir sur les derniers commentaires de C2C.
Première remarque, plutôt que d’opposer toutes choses, je souhaiterais plutôt me concentrer sur ce qui les relie.
Il me semble qu’au Népal toutes les expéditions organisées (NMA Peak ou sommet d’expédition) sont des expéditions commerciales, qu’elles soient organisées par une équipe d’amateurs ou par un guide de haute montagne. Car elles font toutes appel, même à minima, à des services qui s’achètent et se payent. Concrètement, les transports, le permis, les porteurs de vallée, le sirdar.
Plus le sommet envisagé est haut, plus ces services seront importants et comporteront d’autres éléments : une équipe de cuisine, des porteurs d’altitude.
Tous les participants à ces expéditions commerciales, avec ou sans encadrement, sont des alpinistes à partir du moment où ils ont le projet de gravir un sommet nécessitant les outils de l’alpiniste (corde, piolet et crampons). Et tous les leaders d’une expé endossent, qu’il le veuille ou non, le même statut de chef de projet, de chef d’entreprise. Même si c’est une micro entreprise, limitée dans le temps. Ces chefs d’expé (amateur ou pro) sont donc de fait manager de deux équipes : celle des alpinistes occidentaux dont il fait partie, et celle des Népalais (porteurs de vallée ou d’altitude, cuisine). Cette fonction se définit forcément par des taches et des responsabilités, ce qui ouvre d’autres champs de réflexion. Et, il n’y a pas (il ne devrait pas y avoir) de différence entre une expédition de performeurs de haut niveau, une expé d’alpinistes amateur ou une expédition encadré par un guide (occidental ou népalais). Une expédition sur un 8000 est, de la même façon, identique à l’ascension d’un sommet de 6000. Ce sont nos manières de faire, les moyens utilisés qui seuls marquent les différences.
Ceci étant dit, abordons maintenant le vrai sujet de ce post…
Au Népal, il y a souvent une confusion extrême entre les taches, les statuts et les dénominations d’une équipe népalaise.
Pour organiser une expédition, il est possible (mais pas obligatoire, même à 8000) d’employer :
1…, Des personnes capables de porter nos affaires
• Le matériel collectif
• La nourriture d’altitude
• Le matériel personnel
Cela nécessite d’évaluer le poids réel des affaires à transporter avec une stratégie et un contrôle à mettre en place pour limiter ce poids.
Le poids qu’une personne est capable de porter varie avec l’altitude mais aussi avec la nature et la difficulté du terrain.

2…, Des personnes capables d’organiser le déplacement du groupe
• de faire la trace
• de décider de l’emplacement des camps
• de gérer l’équipe de porteurs

3…, Des personnes capables d’encadrer techniquement l’ascension
• d’être présent ou proche du groupe.
• D’être encordé (en second/en tête)

Il faut clairement séparer ces 3 fonctions et en définir les taches
La prise en charge du portage = les porteurs d’altitude
L’organisation de l’expédition sur le terrain = le sirdar
L’encadrement technique = le ou les guide (s) (UIAGM ou Népalais)
Une remarque :
Plus la taille du groupe ou la difficulté de l’ascension augmente et plus ces fonctions doivent être séparées.
Cette réflexion sur la notion d’encadrement est pour moi l’enseignement principal de notre ascension du Ratna Chuli.
C’est ce que j’ai essayé, juste après, de mettre en place au Pokarkang avec Chhotemba qui a vécu et qui s’est confronté ainsi à une expérience réelle de travail de guide. Mais cela signifie surtout qu’il n’est plus porteur d’altitude. Chhotemba ne peut pas être présent avec le groupe et en même temps porter une charge. Il doit également être encordé avec l’un d’entre nous.
C’est une vraie révolution pour les alpinistes népalais et pour l’organisation des expés.
Parler de l’encadrement, c’est aussi aborder le sujet de la difficulté des ascensions himalayennes.
Je pense que la majorité des ascensions choisies en Himalaya sont trop difficiles pour les alpinistes qui les réalisent, car la spécificité hypoxique du caractère himalayen est souvent sous-évaluée. Et c’est (c’était) aussi valable pour moi!
L’évaluation de la difficulté d’une ascension en Himalaya a été complètement faussée par l’abandon de la notion de cordée, par l’utilisation et la systématisation des cordes fixes. Jusqu’à présent, j’estimais que le critère d’altitude s’additionnait à la difficulté technique alors que c’est un élément qu’il faut multiplier, sans oublier la notion de paliers lié à l’altitude.
Pour essayer d’illustrer ce propos, prenons un exemple précis : la partie technique de l’ascension de l’Island Peak est une pente de neige et de glace de 180 à 200 m de hauteur et d’une inclinaison moyenne de 50 à 55 °. Il me semble que ce passage peut être côté AD dans les Alpes. Sauf que pour l’Island Peak, il se situe entre 5500 et 6000 m, ce qui change tout, puisque l’hypoxie diminue de manière dramatique nos capacités physique (et donc technique). Et ce même passage situé 1000 m plus haut sera encore plus difficile à franchir puisque nos capacités auront encore diminué. Pourtant, c’est le même passage !
Ce qui veut dire que pour envisager l’ascension de l’Island Peak, il faut que le leader de la cordée soit à l’aise dans un niveau D dans les Alpes. Ce qui laisse rêveur quand on voit la réalité !
Choisir une progression en cordée de deux et réduire de fait l’utilisation des cordes fixes oblige d’appréhender différemment la notion de difficulté technique.
En changeant ainsi simplement un élément de notre pratique, c’est l’ensemble de l’activité qui s’en trouve modifiée. La relation entre les alpinistes change de nature pour se positionner sur des valeurs d’honnêteté et de solidarité pour être capable de vivre un réel engagement.
En parallèle, l’équipe népalaise prend, à l’intérieur de l’expédition, une nouvelle dimension car il y a nécessité de « rester ensemble », de « faire ensemble ». Les Népalais, quand ils sont embauchés et payés comme porteurs d’altitude, doivent avoir les mêmes compétences techniques que les occidentaux, mais à un niveau supérieur puisque le poids porté, même raisonnablement calibré rends la progression plus difficile.
Pour vivre des ascensions avec ce niveau d’exigence, ce niveau de qualité, il faut forcément diminuer la difficulté technique et/ou augmenter la durée, et porter beaucoup d’attention à la constitution des équipes d’alpinistes (occidentaux et Népalais).
En guise de conclusion :
La tendance actuelle de vouloir augmenter sans limites les moyens mis à disposition des alpinistes pour gravir un sommet himalayen ne me semble ni raisonnable ni pertinent.
Il me semble plus intéressant de choisir des objectifs d’ascension avec une adéquation entre les capacités des alpinistes (individuelles et collectives, techniques et relationnelles) et la nature réelle du projet.
Pour, au final, limiter le plus possibles les moyens mis en œuvre, tout en réunissant les conditions d’une réussite respectueuse des individus et de l’environnement.
Un vaste chantier… Pour tous.
Paulo, janvier 2010

[quote=« Paulo Grobel, id: 975901, post:16, topic:94237 »]Pour essayer d’illustrer ce propos, prenons un exemple précis : la partie technique de l’ascension de l’Island Peak est une pente de neige et de glace de 180 à 200 m de hauteur et d’une inclinaison moyenne de 50 à 55 °. Il me semble que ce passage peut être côté AD dans les Alpes. Sauf que pour l’Island Peak, il se situe entre 5500 et 6000 m, ce qui change tout, puisque l’hypoxie diminue de manière dramatique nos capacités physique (et donc technique). Et ce même passage situé 1000 m plus haut sera encore plus difficile à franchir puisque nos capacités auront encore diminué. Pourtant, c’est le même passage !
Ce qui veut dire que pour envisager l’ascension de l’Island Peak, il faut que le leader de la cordée soit à l’aise dans un niveau D dans les Alpes. Ce qui laisse rêveur quand on voit la réalité ![/quote]
Est-ce que ce décalage ne vient pas d’une sous-estimation du temps d’acclimatation nécessaire? Je ne connais pas l’Island Peak. Quel est le profil d’acclimatation habituel?

[quote=« FabienenCordoba, id: 979560, post:17, topic:94237 »]

[quote=« Paulo Grobel, id: 975901, post:16, topic:94237 »]Pour essayer d’illustrer ce propos, prenons un exemple précis : la partie technique de l’ascension de l’Island Peak est une pente de neige et de glace de 180 à 200 m de hauteur et d’une inclinaison moyenne de 50 à 55 °. Il me semble que ce passage peut être côté AD dans les Alpes. Sauf que pour l’Island Peak, il se situe entre 5500 et 6000 m, ce qui change tout, puisque l’hypoxie diminue de manière dramatique nos capacités physique (et donc technique). Et ce même passage situé 1000 m plus haut sera encore plus difficile à franchir puisque nos capacités auront encore diminué. Pourtant, c’est le même passage !
Ce qui veut dire que pour envisager l’ascension de l’Island Peak, il faut que le leader de la cordée soit à l’aise dans un niveau D dans les Alpes. Ce qui laisse rêveur quand on voit la réalité ![/quote]
Est-ce que ce décalage ne vient pas d’une sous-estimation du temps d’acclimatation nécessaire? Je ne connais pas l’Island Peak. Quel est le profil d’acclimatation habituel?[/quote]

C’est ce que je pense aussi. L’acclimatation joue un role enorme sur le succes d’une ascension. A titre d’exemple, et malgre ma modeste experience de la haute altitude:

  • Montee au Stok Kangri (6153m) en 4h30 pour 1200 m de denivellee, apres un trek de 3 semaines au Ladakh. A titre de comparaison, des alpinistes Francais qui ont gravi le sommet quelques jours avant moi, apres seulement 3 jours d’acclimatation a Leh, ont mis 9h pour l’atteindre. Je suis partie a 5h du matin, ils ont du partir a 1h!
  • Mera Peak au Nepal: montee du camp de base a 5380m au sommet a 6460m en 5h, suite a un trek ou nous avions deja traverse 2 cols a plus de 6000 m (Sherpani col et west col); alors que les alpinistes arrives depuis Lukla en quelques jours seulement, et donc avec une nettement moins bonne aclimatation, sont partis du camp avance a 5800m (ou ils n’ont pas dormi de la nuit) pour au final arriver plus tard que nous au sommet (voire pas du tout).

Bien sur, meme acclimates, on ressent malgre tout les effets de l’altitude, on va donc s’epuiser beaucoup plus vite dans une pente raide, alors quand on est pas acclimates (ou pas suffisamment), sans la corde fixe, on ne monte pas.

Posté en tant qu’invité par Alpi médiocre:

Je pense que le fond du problème est là. Et que le concept de « touriste de l’extreme » est tout à fait adapté.

Ce qui me gêne, ce n’est pas le portage par moyens humains, mais le fait que des porteurs d’altitude sont "obligés " d’engager leur vie pour permettre à des gens qui n’ont pas les moyens (expérience, capacité technique et physiques, pas les moyens financiers) d’accéder à la haute altitude d’y aller quand même.

Et qui engagent leur vie pour sauver ces personnes quand la situation se dégrade.

Ce qui me gêne, c’est de savoir qu’on porteur d’altitude va aider un client à redescendre tardivement d’un sommet en haute altitude, quitte à devoir bivouaquer dans des conditions limites, alors que ce client n’a rien à faire à cet endroit à cette heure là. Il y est trop tard, car il n’avait pas la caisse suffisante pour avancer plus vite lorsqu’il l’aurait fallu.

Je dis cela en tant qu’alpiniste très modeste. Je me suis vu proposé plusieurs fois de participer à des expéditions commerciales en haute altitude, par des personnes avec lesquelles je grimpe et qui partaient en expé (moyennant finances), alors que ni elles ni moi n’avaient les capacités pour y aller.

Et lorsque je répondais qu’on n’avait manifestement pas le niveau, on me répondait : t’inquiètes pas : il y aura des cordes fixes, un caisson hyperbarre, des sherpas (x sherpas par client) !

Ben ça me gêne énormément, et je reste cantonné dans les Alpes. Je n’irais certainement jamais en haute altitude. C’est trop difficile pour moi.

Mais si je voulais y aller, moyennant finances et prises de risques des sherpas, ça me serait possible !

Et puis aux conversations entre collègues lors desquelels on se raconte nos vacances, ça aurait plus de gueule de déclarer « moi cet été, je suis allé gravir l’Everest » plutôt que « le Mont Blanc ». (Je ne parle pas des autres sommets (Verte, aiguilles du Diable etc) car j’ai l’impression que les non alpinistes ne connaissent que ces 2 montagnes.

Une remarque autre sur les interventions d’Oliv’ : je trouve cela très sain qu’en tant qu’aspirant guide, tu te poses ces questions, en prévision d’une pratique professionnelle.

Pourquoi est-ce que ça te gêne ?
C’est un travail contre rétribution. Evidemment, on peut discuter des conditions de travail et du niveau de rétribution. Mais le principe en lui-même ?
C’est exactement la même chose avec les guides qui emmènent en montagne des gens qui, pour la plupart, n’ont pas le niveau (sinon, ils n’auraient pa besoin de guide) et personne ne trouve ça choquant.