Posté en tant qu’invité par Paulo Grobel:
Avec une petite pensée pour Oliv et Audrey…
Bonjour…
Les rencontres Expé de La Grave viennent de se terminer, avec un colloque très intéressant sur « l’itinérance des profondeurs » et un thème riche en discussions : l’ascension des 8000.
Forcement, j’ai continué à réfléchir sur les derniers commentaires de C2C.
Première remarque, plutôt que d’opposer toutes choses, je souhaiterais plutôt me concentrer sur ce qui les relie.
Il me semble qu’au Népal toutes les expéditions organisées (NMA Peak ou sommet d’expédition) sont des expéditions commerciales, qu’elles soient organisées par une équipe d’amateurs ou par un guide de haute montagne. Car elles font toutes appel, même à minima, à des services qui s’achètent et se payent. Concrètement, les transports, le permis, les porteurs de vallée, le sirdar.
Plus le sommet envisagé est haut, plus ces services seront importants et comporteront d’autres éléments : une équipe de cuisine, des porteurs d’altitude.
Tous les participants à ces expéditions commerciales, avec ou sans encadrement, sont des alpinistes à partir du moment où ils ont le projet de gravir un sommet nécessitant les outils de l’alpiniste (corde, piolet et crampons). Et tous les leaders d’une expé endossent, qu’il le veuille ou non, le même statut de chef de projet, de chef d’entreprise. Même si c’est une micro entreprise, limitée dans le temps. Ces chefs d’expé (amateur ou pro) sont donc de fait manager de deux équipes : celle des alpinistes occidentaux dont il fait partie, et celle des Népalais (porteurs de vallée ou d’altitude, cuisine). Cette fonction se définit forcément par des taches et des responsabilités, ce qui ouvre d’autres champs de réflexion. Et, il n’y a pas (il ne devrait pas y avoir) de différence entre une expédition de performeurs de haut niveau, une expé d’alpinistes amateur ou une expédition encadré par un guide (occidental ou népalais). Une expédition sur un 8000 est, de la même façon, identique à l’ascension d’un sommet de 6000. Ce sont nos manières de faire, les moyens utilisés qui seuls marquent les différences.
Ceci étant dit, abordons maintenant le vrai sujet de ce post…
Au Népal, il y a souvent une confusion extrême entre les taches, les statuts et les dénominations d’une équipe népalaise.
Pour organiser une expédition, il est possible (mais pas obligatoire, même à 8000) d’employer :
1…, Des personnes capables de porter nos affaires
• Le matériel collectif
• La nourriture d’altitude
• Le matériel personnel
Cela nécessite d’évaluer le poids réel des affaires à transporter avec une stratégie et un contrôle à mettre en place pour limiter ce poids.
Le poids qu’une personne est capable de porter varie avec l’altitude mais aussi avec la nature et la difficulté du terrain.
2…, Des personnes capables d’organiser le déplacement du groupe
• de faire la trace
• de décider de l’emplacement des camps
• de gérer l’équipe de porteurs
3…, Des personnes capables d’encadrer techniquement l’ascension
• d’être présent ou proche du groupe.
• D’être encordé (en second/en tête)
Il faut clairement séparer ces 3 fonctions et en définir les taches
La prise en charge du portage = les porteurs d’altitude
L’organisation de l’expédition sur le terrain = le sirdar
L’encadrement technique = le ou les guide (s) (UIAGM ou Népalais)
Une remarque :
Plus la taille du groupe ou la difficulté de l’ascension augmente et plus ces fonctions doivent être séparées.
Cette réflexion sur la notion d’encadrement est pour moi l’enseignement principal de notre ascension du Ratna Chuli.
C’est ce que j’ai essayé, juste après, de mettre en place au Pokarkang avec Chhotemba qui a vécu et qui s’est confronté ainsi à une expérience réelle de travail de guide. Mais cela signifie surtout qu’il n’est plus porteur d’altitude. Chhotemba ne peut pas être présent avec le groupe et en même temps porter une charge. Il doit également être encordé avec l’un d’entre nous.
C’est une vraie révolution pour les alpinistes népalais et pour l’organisation des expés.
Parler de l’encadrement, c’est aussi aborder le sujet de la difficulté des ascensions himalayennes.
Je pense que la majorité des ascensions choisies en Himalaya sont trop difficiles pour les alpinistes qui les réalisent, car la spécificité hypoxique du caractère himalayen est souvent sous-évaluée. Et c’est (c’était) aussi valable pour moi!
L’évaluation de la difficulté d’une ascension en Himalaya a été complètement faussée par l’abandon de la notion de cordée, par l’utilisation et la systématisation des cordes fixes. Jusqu’à présent, j’estimais que le critère d’altitude s’additionnait à la difficulté technique alors que c’est un élément qu’il faut multiplier, sans oublier la notion de paliers lié à l’altitude.
Pour essayer d’illustrer ce propos, prenons un exemple précis : la partie technique de l’ascension de l’Island Peak est une pente de neige et de glace de 180 à 200 m de hauteur et d’une inclinaison moyenne de 50 à 55 °. Il me semble que ce passage peut être côté AD dans les Alpes. Sauf que pour l’Island Peak, il se situe entre 5500 et 6000 m, ce qui change tout, puisque l’hypoxie diminue de manière dramatique nos capacités physique (et donc technique). Et ce même passage situé 1000 m plus haut sera encore plus difficile à franchir puisque nos capacités auront encore diminué. Pourtant, c’est le même passage !
Ce qui veut dire que pour envisager l’ascension de l’Island Peak, il faut que le leader de la cordée soit à l’aise dans un niveau D dans les Alpes. Ce qui laisse rêveur quand on voit la réalité !
Choisir une progression en cordée de deux et réduire de fait l’utilisation des cordes fixes oblige d’appréhender différemment la notion de difficulté technique.
En changeant ainsi simplement un élément de notre pratique, c’est l’ensemble de l’activité qui s’en trouve modifiée. La relation entre les alpinistes change de nature pour se positionner sur des valeurs d’honnêteté et de solidarité pour être capable de vivre un réel engagement.
En parallèle, l’équipe népalaise prend, à l’intérieur de l’expédition, une nouvelle dimension car il y a nécessité de « rester ensemble », de « faire ensemble ». Les Népalais, quand ils sont embauchés et payés comme porteurs d’altitude, doivent avoir les mêmes compétences techniques que les occidentaux, mais à un niveau supérieur puisque le poids porté, même raisonnablement calibré rends la progression plus difficile.
Pour vivre des ascensions avec ce niveau d’exigence, ce niveau de qualité, il faut forcément diminuer la difficulté technique et/ou augmenter la durée, et porter beaucoup d’attention à la constitution des équipes d’alpinistes (occidentaux et Népalais).
En guise de conclusion :
La tendance actuelle de vouloir augmenter sans limites les moyens mis à disposition des alpinistes pour gravir un sommet himalayen ne me semble ni raisonnable ni pertinent.
Il me semble plus intéressant de choisir des objectifs d’ascension avec une adéquation entre les capacités des alpinistes (individuelles et collectives, techniques et relationnelles) et la nature réelle du projet.
Pour, au final, limiter le plus possibles les moyens mis en œuvre, tout en réunissant les conditions d’une réussite respectueuse des individus et de l’environnement.
Un vaste chantier… Pour tous.
Paulo, janvier 2010