Posté en tant qu’invité par mon blanc sec:
[quote=« trr, id: 1752131, post:60, topic:143090 »]
Au finale, j’ai surtout voulu réagir face aux critiques à mon sens un peu injustes (et bien agressives) envers Germain :
-> Pourquoi moquer systématiquement les gens qui se réveillent loin des montagnes avec l’envie de faire le Mont-Blanc ? Cela parait rien de plus normal, c’est le plus haut, faut bien une raison pour faire les choses et ça en est une puissante. Et elle peut être sans arrière pensée trop dirigée par le besoin de remplir un CV !
-> Pourquoi s’en prendre si violemment à Germain qui me parait maladroit dans ses propos de notre point de vue d’alpinistes avertis mais plutôt honnête dans sa motivation (sûrement moins pour se faire mousser que ce qui peut exister) et son retour d’expérience. Et surtout donnant toute sa confiance à quelqu’un qui connaît, un guide. Est-ce Germain ou les « sachants » qui lui ont proposé/permis de faire le Mont-Blanc comme ça qui devraient être la cible de vos critiques ?
Pour moi, cette histoire est celle d’un « rêveur » et d’un « capable » qui se disent « On tente ? ».
Malheureusement, c’est sûrement très biaisé par le consumérisme et l’aspect mercantile dans de trop nombreux cas, mais le limiter à ça et tirer à boulets rouges sur Germain, ça me semble réducteur.[/quote]
Pour ma part, je n’ai pas eu l’impression d’avoir eu une critique agressive et injuste. Mais si j’ai donné cette impression, je m’en excuse.
J’étais surtout très étonné de cette « pratique » de l’alpinisme, car quoi qu’on en dise, c’est de l’alpinisme, même si le Mt Blanc est facile. Ce n’est pas ma vision des choses car je trouve cela trop porté sur un consumérisme de masse qui oublie l’essentiel : pourquoi on pratique, quel est le cheminement ? La pratique, c’est comme l’artisan ou l’artiste (et d’autres métiers), elle s’acquiert au fil du temps, par tâtonnements, recherches, expériences, échecs… et on s’enrichit de ces choses pour aller à chaque fois plus loin dans sa progression, voire se surpasser de temps à autre et tenter d’aller plus loin, plus haut, voire de se limiter à ce que l’on sait faire ou ce que l’on connait.
La question est donc : doit-on considérer ce sommet comme un terrain de jeu facile (la voie normale) à la portée de tous ou comme un espace qui a ses règles strictes (acquisition des bases, entrainement, pratique régulière, expériences multiples) ou l’arrivée au sommet doit se vivre comme un enchainement régulier à partir, et vers, d’autres courses plus ou moins techniques ? Ici, deux mondes s’affrontent :
1/ Hier j’ai sauté à l’élastique, aujourd’hui je fais le Mt Blanc et demain j’irais faire une séance de circuit à bord d’une Ferrari (avec ma box-cadeau reçue à Noël)
2/ Hier j’ai fait les Dômes de Miage, aujourd’hui c’est la Tour Ronde et demain, peut-être le Mont Blanc si tout va bien
Sont-ils compatibles ? Les deux peuvent-ils cohabiter ? A la différence des musées, ou l’amateur d’art éclairé côtoie le candide sans que les deux ne risquent pas grand chose, ici la différence se voit plutôt rapidement et l’alpiniste expérimenté aura probablement moins de chance de partir à la faute que le candide « montagnard » qui rêve de neiges éternelles et d’un petit coup de speed dans sa vie. Mais ici comme au musée, la lecture de la Joconde sera bien simplifiée par la pratique du premier qui saura interpréter le tableau (météo, conditions, horaire, etc…) alors que le second en sera encore à décrire ce même tableau, plus contemporain, comme une grosse bosse de neige sous laquelle fuit un couloir bien pourri. L’un et l’autre raconteront alors une course bien différente et pourtant réalisée le même jour. Loin de moi l’idée d’interdire au second d’entrer dans cet univers. Je dis juste que cela demande humilité et apprentissage d’où nait l’expérience.
Mais oui, aujourd’hui, le Mont Blanc par la voie normale est un terrain de jeu, un « musée contemporain ». A l’amateur d’aller voir ailleurs, dans d’autres musées, pour assouvir sa passion et poursuivre dans son cheminement personnel.
Ici, le parallèle à l’art est encore plus flagrant car le tableau « voie normale du Mont blanc » a été transfiguré par une élite. Des « élites » ont réellement fabriqué ce terrain de jeu comme d’autres élites ont fabriqué l’art contemporain en disant : l’art c’est ça, allez voir, consommez et même si vous n’y comprenez rien, c’est pas grave, on vous guide. Dans les deux cas, on a fabriqué une bouse immonde (et je le dis d’autant plus que je suis moi-même artiste) ou l’on lobotomise la majorité avec une « inculture ».
Sur ce sujet et pour ceux qui aime l’art, je vous renvoi sur le site de Nicole Esterolle (notez le jeu de mots) qui dit tout le bien qu’elle pense de l’art contemporain et de ses élites http://www.schtroumpf-emergent.com/blog/.
Germain, n’est en effet pas responsable, juste mal guidé par nos élites qui tentent de lui faire déchiffrer (ou consommer) une œuvre éphémère de la Biennale de Venise 2015 plutôt que de l’immerger patiemment dans l’œuvre de Léonard de Vinci pour terminer sur La Joconde. A ce sujet, voici ce que dis Yoyo Maeght de cette biennale (petite-fille de l’éditeur, galeriste et mécène Aimé Maeght qui créa la Fondation Marguerite et Aimé Maeght, à Saint-Paul-de-Vence) :
Ouf, je me suis échappée de Venise.
J’avoue être écœurée par cette biennale. La majeure partie des installations prétendent vouloir dénoncer les drames de notre époque et le plus souvent en jouant la provocation, comme celle d’un artiste, que volontairement je ne citerai pas, qui a transformé l’église de Santa Maria della Misericordia en Mosquée.
D’autres pavillons ou expositions étalent les souffrances, tortures, mutilations, dans des vidéos incompréhensibles, malsaines, mais surtout moches.
Aujourd’hui, on me dit qu’il faut lire un pensum avant de pouvoir apprécier une œuvre. Non, non et non je ne cautionnerai pas ce dévoiement. L’art et la littérature doivent rester distincts, même s’il peuvent servir les mêmes causes : éclairer, dire, dénoncer, critiquer, faire réagir.
L’art doit rester lisible instinctivement, le rapport physique à l’art ne doit pas être remplacé par un faux intellectualisme. Si je veux des « discours » et autres « propos », j’achète des livres.
Alors, les artistes, ayez le courage d’écrire, car les succès littéraires se mesurent au nombres d’exemplaires diffusés et non au prix d’une ou deux pièces vendues (ou devrais-je dire fourguées) à quelques collectionneurs terrifiés à l’idée d’être traités de démodés.
Selon la tendance branchée actuelle, il faudrait alors que nous n’écoutions plus de musique, mais lisions les « intentions » du compositeur. Ne regardions plus des œuvres d’art, mais lisions les « concepts » des artistes.
Je veux encore m’émerveiller devant la beauté, même parfois étrange ou dérangeante, je veux encore laisser mon regard s’amuser à découvrir les subtilité d’une œuvre.
Messieurs les censeurs, vous allez me traiter de rétrograde, inutile, j’accepte de me m’auto-qualifier ainsi.
Alors, les montagnards, artistes vous aussi dans votre domaine, ayez le courage de pratiquer, car les succès de cordée se mesurent au nombres de sommets réalisés et non au prix d’une ou deux ascensions du Mont Blanc (ou devrais-je dire fourguées) à quelques amateurs, collectionneurs d’adrénaline, terrifiés à l’idée d’être traités de démodés.
Alors moi, comme d’autres, l’artiste et le montagnard que je suis, prends d’autres chemins, plus sombres, moins éclairés, plus vrais, plus empreints de sens. Et je m’y sens bien, loin de la frénésie ridicule d’une montagne mercantile ou d’un art contemporain que seuls quelques milliardaires peuvent se payer et probablement ne pas vraiment comprendre, si ce n’est pour se faire mousser devant leurs amis en annonçant le prix de l’œuvre. Et par ricochet, notre société tombe dans ce travers stupide, dans toutes les strates de la population, de la plus riche à la moins fortunée. Ici le Mont Blanc en est réduit à une œuvre contemporaine incomprise par la majorité, ou seule l’intention d’aller au sommet prédomine au dépends de la musique que les montagnes jouent et que l’on doit écouter patiemment, album après album. Intention, je le précise, écrite et savamment entretenue par quelques élites, élus, politiques et sous-fifres au service de la même cause : « Mont Blanc - voie normale » que l’on peut facilement se payer pour dire ensuite à ses amis « je l’ai fait, ça m’a couté un œil, j’y suis allé même si je n’y ait pas compris grand chose ».
Je finirais par ces quelques lignes de Pierre Chapoutot de son livre « la montagne c’est pointu » paru en 1996 , alpiniste amateur chevronné (disparu dans une avalanche) que j’ai eu le plaisir de rencontrer :
…Et c’est ainsi que j’entrepris candidement, numéro après numéro, de dresser l’inventaire des nuisances insupportables dont la montagne était la victime, en commençant par les déposes aériennes et la pratique des sports mécanisés, pour ouvrir ensuite l’épineux dossier des refuges, ce qui revenait à mettre le CAF en présence de ses propres responsabilités. je savais que je risquais de déclencher une tempête. Déjà peu de temps auparavant, le terrain avait été tâté par un superbe article de Michel Ballerini, intitulé « Le grand cirque », qui était une talentueuse et virulente dénonciation du déferlement du conformisme, de la vulgarité et de la violence dans ce qui était devenu un gigantesque Luna Park alpin - en bref, la mise en évidence de la barbarie touristique. Cela avait soulevé un véritable tollé, et voilà que je venais souffler sur les braises… Il se trouve que le destin se mêla de mettre son grain de sel. Ce fut, entre autre, la cocasse affaire du « Banquet du Mont Blanc ». Une association de restaurateurs en mal de publicité avait conçu l’idée saugrenue d’inviter les « majors » des grandes écoles à gueuletonner somptueusement au sommet du Mont Blanc, au prix naturellement de la mise en place d’une formidable noria d’hélicoptères. Ainsi se trouvaient tout à coup rassemblés les symboles de ce contre quoi je rompais lance après lance, de la réduction de la montagne à l’état de produit, au déferlement incontrôlé des déposes aériennes…
L’art culinaire rendu au même point que l’art contemporain, juste pour quelques élites. Stupide et incompréhensible. Et l’alpinisme désacralisé pour une cause ridicule. C’était avant 1996, c’était il y a longtemps…
Puis les années 2000 arrivèrent, la foule a suivi. … Allons tous nous goinfrer au sommet, il parait qu’il y a un musée que personne ne comprends, je veux voir ça !